Appelé depuis le 8 février à diriger le détachement de
liaison de la mission européenne de formation de l'armée malienne (UETM), le
colonel Bruno Héluin, que nos lecteurs connaissent déjà pour avoir mérité de
figurer dans notre rubrique « Le Bêtisier militaro-ultramarin », a
confié au quotidien Le Monde ses premières impressions sur l’état de ladite
armée. Nous vous recommandons chaudement, amis du CVBB, de lire cette interview
deux fois, la deuxième après y avoir remplacé le mot « Mali » et ses
dérivés par « Côte d’Ivoire » et « ivoirien(ne) », histoire
de voir l’effet que ça fait… Pour corser l’épreuve, nous vous rappelons qu’il y
a quelques années, sous Bédié, la France dépêcha chez nous plusieurs officiers,
dont un général trois étoiles !, et un préfet, pour effectuer un audit de
notre système de défense et de sécurité.
Voici comment à l’époque le journaliste Abel Doualy rendit compte de
l’événement dans l’officieux « Fraternité Matin ».
UN AUDIT
EN COURS SUR l'ARMÉE ET LA POLICE
« Le chef de l’Etat, qui a
défini le 4 août dernier une nouvelle politique de défense et de sécurité, a
demandé au président de la République française de lui envoyer une mission
d’audit pour examiner ce qu’il fallait faire pour que les forces armées, la
gendarmerie et la police soient le plus adaptées possible à cette nouvelle
politique de
défense. C’est ce que nous avons fait pendant vingt jours avec une
délégation comprenant six officiers et un préfet. Nous sommes au terme de la
première partie de notre mission qui est une mission exploratoire, et nous
rendrons un rapport définitif d’audit à la fin février prochain. »
Ainsi se présente la quintessence de l’audience que le chef de l’Etat,
S.E.M. Henri Konan Bédié accordée hier en fin de matinée en sa résidence de
Daoukro à des officiers français conduits par le général Fruchard, inspecteur
des troupes de marine françaises, qui s’est ouvert à la presse au terme de leur
rencontre avec le président de la République.
Quelles pourraient être les grandes lignes de ce rapport d’audience en
attendant la version définitive en février 1998 ? « Pour l’instant, a fait remarquer le général Fruchard, les choses sont confidentielles et nous
avons encore beaucoup à travailler pour élaborer définitivement le
rapport ».
A cette audience accordée à la délégation française composée de deux
officiers et d’un préfet, ont pris part le ministre de la Défense, M. Bandaman
N’Gatta, l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire S.E.M. Christian Dutheil de
La Rochère et le secrétaire général du Conseil national de Sécurité, le général
Tanny Ehuény Joseph.
Abel Doualy - Fraternité Matin 22 décembre 1997, page 31
Après cette audience historique à Daoukro, on n’entendit
plus jamais parler de la commission d’audit du brave général Fruchard ni de son
rapport. A lire les propos du colonel Héluin (ci-dessous), il semblerait qu’en
France non plus. Sinon, ce brave colonel parlerait-il de l’armée malienne et de
ses cadres avec une telle suffisance ? Comme si, dans cette région, c’était la seule armée sous-équipée, qui n’est
pas entraînée et dont les cadres pléthoriques seraient corrompus…
Si ce rapport ne fut pas publié, il n’en doit pas moins
exister quelque part, dans les archives du ministère français de la Défense par
exemple… Colonel, faites votre possible pour vous le procurer. Ça vous rendra certainement
plus humble et encore plus apte à remplir votre mission. Car en constatant
l’état lamentable de nos malheureuses FANCI déjà à la fin des années 90, vous
comprendrez que l’armée d’un pays à l’économie soi-disant florissante, une
armée dont de nombreux officiers français portaient alors très officiellement
l’uniforme et les insignes depuis des années, pouvait être encore plus nulle
que celle d’un pays pauvre comme le Mali ; un pays, qui plus est, livré
depuis plus de vingt ans à des politiciens incapables, cupides et vénaux que
Paris soutenait en sous-main, tel ce bouffon d’ATT dont le capitaine Sanogo et
ses camarades ont débarrassé leur patrie le 22 mars 2012.
Ironie de l’histoire, cet événement a eu lieu deux ans, pratiquement jour pour jour, avant le renversement de Bédié par un coup d’Etat militaire exécuté …dans une totale indifférence de la France.
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L’interview du colonel Héluin
Quelles sont les conclusions de votre audit de
l’armée malienne ?
C'est
une armée qui Vit au Jour te jour. Nous avons aussi constaté un manque évident de formation.
Au Mali, il n'y a pas d'école d'application pour
se spécialiser dans la transmission, l'artillerie, l'infanterie ou la cavalerie. Quand un officier arrive, il découvre son métier, littéralement ! Les militaires ne
s'entraînent pas, faute de moyens. Enfin, l'armée malienne est sous-équipée et dépend
des dons depuis trois ans. Autrement dit, le
monde entier venait se débarrasser ici de son
vieux matériel. Au niveau des transmissions, des
systèmes russe, chinois, américain et français cohabitent. Sous couvert de bonne volonté, nous avons donc aggravé
les dysfonctionnements.
Pourtant l’armée malienne a bénéficié du programme de
formation américain ?
Les
Américains ont surtout formé des bataillons
dans le Nord, en majorité des Touareg. Quand l'armée malienne a explosé (face aux rebelles au début 2012), ce
sont ces unités-là qui ont disparu. Les Américains avaient axé leur mission de formation sur le contre-terrorisme. En visant les Touareg, c'était une façon de faire du renseignement. Nous voulons éviter cet écueil en
travaillant avec tous les bataillons.
Quel est le niveau de corruption au sein de
l’armée ?
Il est
difficile de l'évaluer précisément, mais la corruption est évidente. Depuis 2006, les Maliens ont commandé 800 pick-up. Aujourd'hui,
il n'en reste quasiment aucun. Une partie a été volée, certains cadres ont récupéré les moteurs neufs.
C’est la gestion de la misère. Et l'exempte n'est
pas donné par le haut. Le clientélisme est le
mode de promotion. Apres son coup d'Etat du 22 mars 2012, le capitaine Sanogo a limogé 6l généraux et il en reste 42. Il y avait donc 104 généraux pour une arme de 20000
soldats. A titre de comparaison, la France compte 150 généraux pour un effectif
(de l’armée de terre) de 120000 hommes.
Faut-il intégrer dans l’armée malienne les milices
constituées pour s’opposer aux islamistes ?
L’armée
est en train de recruter 4000 jeunes de 17 à 19 ans, dont certains
appartiennent aux milices. Mais ils sont
choisis sur des critères objectifs.
Aucune milice, en tant que corps constitué, ne basculera dans l’armée. Ces jeunes seront sortis de leur milieu pour suivre six
mois de formation. J’ai travaillé avec l’état-major malien sur la question. Les chefs ou cadres de milices d'autodéfense ne seront pas intégrés.
Le chef putschiste du 22 mars 2012, le capitaine
Sanogo, est à la tête du Comité de réforme de l’armée. Avez-vous travaillé avec
cette structure ?
Je suis
un militaire, j’obéis aux politiques. J’ai reçu un ordre : pas de contact
avec le capitaine Sanogo ni avec le Comité de réforme.
Un ordre donné par qui ?
Par
l’Union européenne. C’est une décision politique. Il ne m’appartient pas de la
commenter.
Donc, ce comité n’est pas l’outil approprié pour
réformer l’armée malienne ?
C'est un
acteur local, influent, visiblement. Il ne m'appartient pas de dire s'il est approprié ou pas. C'est aux Maliens d'en juger. Même si je ne suis pas dupe. Ce comité est sans doute informé de nos travaux.
L’appui de la communauté internationale est-il
suffisant ?
Non. La
communauté internationale dit « il faut absolument reconstruire l'armée malienne », mais il n'y a pas un centime d'euro
remis à l'armée malienne. Rien
n'a été donné, alors que 8 millions
d'euros ont été promis le 29 janvier à la
conférence des donateurs d'Addis-Abeba. Parallèlement, cette même communauté
internationale équipe la Mission internationale
de soutien au Mali (Misma, le contingent africain déployé par la Cedeao). Or l'armée malienne en a davantage besoin. Parce qu'elle doit retrouver, vite, les moyens de défendre son territoire national et de faire face à la menace.
Intérim
Source : Le
Monde 23 avril 2013
en maraude
dans le web
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ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et
des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la
« crise ivoirienne ».
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