vendredi 24 mai 2013

Hommage à un géant de la littérature africaine


 
Décédé aux Etats-Unis, le 21 mars, à l’âge de 82 ans, l'écrivain nigérian Chinua Achebe, auteur du célèbre roman Le monde s'effondre (en anglais : Things Fall apart), a été inhumé hier jeudi 23 mai 2013 dans sa ville natale d’Ogidi, dans l'Etat d'Anambra, au sud-est du Nigeria. De nombreuses personnalités nigérianes, dont le président Goodluck Jonathan, et étrangères, comme Justin Welby, l'Archevêque de Cantorbéry, et des écrivains, se sont déplacés à Ogidi pour rendre un dernier hommage au disparu en compagnie d’une foule considérable de ses admirateurs connus et anonymes. Pour notre part, en guise d’hommage, nous invitons nos amis à lire ou à relire cette nécrologie – glanée sur le web – du géant disparu, qui unit l’évocation de l’homme et de son œuvre à l’opinion de quelques personnalités africaines et étrangères sur l’un et sur l’autre.
 
Vie et œuvre de Chinua Achebe
 
Chinua Achebe, auteur nigérian et homme de lettres dont l’imposante œuvre de renommée internationale a cherché à faire revivre la littérature africaine et réécrire l'histoire du continent qui a longtemps été dite par des voix occidentales, est décédé à Boston le 21 mars. Il avait 82 ans.
« En fin de compte, a écrit Chinua Achebe, j'ai commencé à comprendre qu’il y a une telle chose que la détermination politique de la vérité d’un récit. Ceux qui ont le pouvoir sur les autres peuvent organiser des histoires à leur sujet quand, comme et où ils le souhaitent. »
Cette prise de conscience a marqué de part en part l’engagement littéraire de Chinua Achebe. Déjà dès sa première œuvre, Things Fall Apart (en français : Le monde s’effondre) elle s’exprimait.
Things Fall Apart, se déroule à la fin du 19e siècle, et raconte l'histoire d'Okonkwo, qui s’élève de la pauvreté pour devenir un riche fermier et chef de village Igbo. La domination coloniale britannique jette sa vie dans la tourmente, et à la fin, incapable de s'adapter, il explose dans la frustration, tuant un Africain au service des Anglais, et se suicide
Les éloges pour Things Fall Apart n'étaient pas unanimes. Certains critiques britanniques ont pensé qu'il idéalisait la culture précoloniale de l’Afrique au détriment de l'empire britannique. Par ailleurs, d'autres critiques estiment que ses premières œuvres étaient plus idéologiques que littéraires. Mais la stature de Chinua Achebe n’a cessé de s’affirmer jusqu'à ce qu'il soit considéré comme un phare littéraire et politique, qui a influencé des générations d'écrivains africains ainsi que beaucoup en Occident.
«Il serait impossible de dire à quel point "Things Fall Apart" a influencé la littérature africaine », écrit Kwame Anthony Appiah, un universitaire de Princeton. « C’est comme si on demandait comment Shakespeare a influencé les écrivains anglais ou Pouchkine les écrivains russes ».
M. Appiah, professeur d'études africaines, a trouvé une « intense énergie morale » dans l’œuvre de Chinua Achebe, ajoutant qu'il a su « capturer le sentiment de menace et de perte qu’ont dû éprouver de nombreux Africains quand l’invasion coloniale a bouleversé leur vie ».
Selon, Josué Guébo, écrivain ivoirien et président de l’Association des écrivains de Côte d’Ivoire, « Qui peut oublier le contraste saisissant entre le valeureux Okwonkwo et le lymphatique Unoka ? Flamme de vie qui renaît de plus belle de père en fils ou au contraire se dilue dans les sentes troubles de la lignée… Mémoire. Respect ».
« En sa compagnie, les murs de la prison tombaient », avait eu à  commenter à son sujet Nelson Mandela. Le président sud-africain Jacob Zuma a salué un « colosse de la littérature africaine ». L'écrivaine sud-africaine et Prix Nobel de littérature, Nadine Gordimer s'est déclarée « choquée » par sa mort. « Ce n'était pas seulement un grand écrivain, c'était un ami proche. Je suis choqué par son départ », a-t-elle dit. « C'était un auteur très lu et un humaniste, nous correspondions, mais nous ne nous sommes pas vus depuis quelques années ». Nadine Gordimer, en 1998 avait salué M. Achebe dans une revue du New York Times, l'appelant « un romancier qui vous fait rire pour tout aussitôt reprendre votre souffle dans l'horreur, un écrivain qui n'a pas d'illusions, mais qui n'est pas non plus désillusionné ».
« Le monde a perdu l'un de ses meilleurs écrivains et l'Afrique a perdu un diamant littéraire », a déclaré Mike Udah, porte-parole de l'État d'Anambra, où Achebe est né.
« Une des rares valeurs sûres de la littérature négro-africaine ou simplement africaine », écrit Olympe Bhêly Quenum, qui invite ceux qui sont soucieux de connaître l’Afrique des profondeurs « à lire, relire, puis relire encore Chinua Achebe ».
Albert Chinualumogu Achebe est né le 16 novembre 1930 à Ogidi, un village ibo. Son père s’est converti au christianisme. A travers des études de littérature anglaise, Achebe a d’abord subi l’influence des écrivains anglo-saxons comme Shakespeare, Milton, Defoe, Swift, Wordsworth, Coleridge, Keats et Tennyson. Mais le tournant a été la lecture de Monsieur Johnson, une œuvre inscrite au programme universitaire, écrite en 1952 par un anglo-irlandais, Joyce Cary, et ayant pour cadre le Nigeria. Le protagoniste du roman est un Nigérian docile qui sera fusillé par son maître anglais. Alors que l’œuvre était, à l’instar de la critique britannique, saluée par leurs professeurs comme l’un des meilleurs romans jamais écrits sur l’Afrique, Achebe et ses camarades n’étaient pas du même avis. Ils réagirent avec « exaspération contre ce personnage idiot et maladroit », comme l’écrira plus tard Chinua Achebe.
Il rejoint une génération d'écrivains ouest-africains qui, dans les années 1950 ont pris conscience du fait que la littérature occidentale tenait captif le continent.
Son compatriote Amos Tutuola, venait d’ouvrir la voix avec la publication en 1952 de The Palm-Wine Drinkard. Après sa licence en 1953, Chinua Achebe s’installe à Londres, où il travaille à la BBC, en même temps qu’il s’essaie à l’écriture. C'est à Londres qu'il écrivit le premier jet d’un roman dont le personnage principal est Okonkwo, Things Fall Apart, qui sera après moult péripéties, publié sous sa version abrégée chez Heinemann en 1958
A l’instar de la plupart de ses confrères ouest-africains, Chinua Achebe a exploré l’innocence villageoise corrompue par le contact de la grande ville sous influence occidentale.
Dans son deuxième roman, No Longer at Ease, paru en 1960, Chinua Achebe raconte l’histoire du petit fils d’Okonkwo, Obi, qui apprend à s'intégrer dans la société coloniale britannique. Elevé comme un chrétien et éduqué en Angleterre, Obi abandonne la campagne pour un emploi en tant que fonctionnaire à Lagos, la capitale. Coupé des valeurs traditionnelles, il succombe à la cupidité et à la fin est poursuivi pour corruption.
Dans son troisième roman, Arrow of God (1964), M. Achebe retourne dans le cadre d’un village Igbo du début du 20e siècle. Le prêtre traditionnel du village, Ezeulu, envoie son fils, Oduche, à l’école des missionnaires chrétiens dans l'espoir qu'il acquerra les manières des Blancs et ainsi contribuera à la protection de sa communauté. Au lieu de cela, Oduche se convertit au colonialisme et attaque la religion et la culture Igbo.
La guerre civile au Nigeria, également connu comme la guerre du Biafra, a brisé les espoirs de Chinua Achebe pour un avenir postcolonial plus prometteur, et a profondément affecté sa production littéraire. La guerre a commencé en Janvier 1966, lorsque des officiers Igbo ont tué le Premier ministre et d'autres fonctionnaires et se sont emparé du pouvoir. Sept mois plus tard, les insurgés ont été renversés par un contre coup d'Etat de commandants militaires du Nord musulman.
Avant la fin de l’année, les troupes musulmanes avaient massacré quelque 30.000 Igbos vivant dans le nord. Les Igbos du Nigeria ont alors fait sécession, déclarant la région sud-est République indépendante du Biafra. La guerre civile a fait rage jusqu'en 1970, année où les troupes gouvernementales ont envahi la Région Est et ont écrasé les sécessionnistes.
Le quatrième roman de Chinua Achebe, A Man of the People, publié au début de 1966, avait prédit le cours des événements avec une telle précision que le gouvernement militaire de Lagos a décidé qu'il devait être au nombre des conspirateurs du premier coup d'Etat, une accusation qu’il a niée. Cette méfiance a déterminé Chinua Achebe à fuir le Nigeria et à s’installer en Grande-Bretagne avec sa femme, Christiana, leurs deux fils, Ikechukwu et Chidi, et leurs deux filles, chinelo et Nwando.
Après la guerre civile, Chinua Achebe est retourné au Nigéria pendant deux ans avant d'accepter des postes d'enseignants dans les années 1970 à l'Université du Massachusetts et à l'Université du Connecticut. Il retournera au bercail à nouveau en 1979 pour enseigner l'anglais à l'Université du Nigeria.
La guerre civile a été le thème d'un grand nombre de ses écrits au cours de ces années. Parmi les plus importants se trouvent un recueil de poésie, Beware, Soul Brother (1971), qui a remporté le Prix de poésie du Commonwealth, et un recueil de nouvelles,  Girls at War, paru en 1972.
Mais depuis plus de 20 ans, un syndrome de blocage d’inspiration l'a empêché d’écrire du roman. Il a attribué cette sécheresse à un traumatisme émotionnel consécutif à la guerre civile. « Le roman semblait être une chose frivole à faire », a-t-il déclaré au Washington Post en 1988.
Cette année-là, Achebe a finalement publié son cinquième roman, Anthills of the Savannah. C’est l'histoire de trois anciens camarades d'école dans un pays fictif qui ressemble au Nigeria. L'un d'eux devient un dictateur militaire, le second est nommé ministre de l'information, et le troisième est rédacteur en chef du principal journal du pays. Tous connaîtront des fins violentes.
Le roman a été largement admiré. Dans un compte rendu en 1988 dans la New York Review of Books, le journaliste écossais Neal Ascherson a écrit : « Chinua Achebe dit, avec une honnêteté implacable, que l'Afrique elle-même est à blâmer, et qu'il n'y a pas d’excuse valable à mettre la faute sur le passé colonial ou dans les manipulations politiques et commerciales des Occidentaux ».
Chinua Achebe a à peine eu le temps de savourer ces éloges quand il a été grièvement blessé dans un accident de voiture en 1990, à Lagos. Paralysé des membres inférieurs, il a reçu un traitement médical à Londres et a déménagé aux États-Unis, en prenant un poste d'enseignant au Bard College dans la vallée de Hudson, où il est resté jusqu'en 2009. En 2007, il a reçu le Man Booker International Prize pour l'ensemble de son œuvre. L'automne dernier, Chinua Achebe a publié There Was a Country : A Personal History of Biafra.
Le retour de la Démocratie au Nigeria en 1999 a incité M. Achebe à visiter le pays pour la première fois en près d'une décennie. Il a rencontré le président nouvellement élu, M. Olusegun Obasanjo, et avec prudence l'a loué comme le meilleur leader possible « en ce moment ». Il s'est également rendu dans son village natal, Ogidi.
Il est retourné aux États-Unis, mais son cœur est resté dans son pays natal, avait-il dit.
 
Amené, Traduit et Adapté par Binason Avèkes

Source : Babilown_Mawolè (23 mars 2013)

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