dimanche 11 novembre 2012

Quand Bédié demandait le « recomptage » des bulletins…

Déclaration du Pdci-Rda au soir du premier tour


« Le PDCI-RDA a constaté que l’élection présidentielle du 31 octobre 2010 s’est déroulée de façon globalement satisfaisante malgré quelques actes de violence relevés ça et là dans les zones de forêts.
Le PDCI-RDA note également le fort taux de participation des Ivoiriens à ce scrutin, signe d’une réelle volonté de changement.
Toutefois, le PDCI-RDA dénonce le climat d’opacité entretenu par la commission électorale indépendante lors des opérations de dépouillement des bulletins de vote, ainsi que lors du comptage des suffrages.
C’est ainsi que les représentants des candidats n’ont pas été admis à prendre part ni à la centralisation ni à la consolidation des résultats comme arrêté d’accord partie.
D’ailleurs, la mission d’observation électorale de l’Union Européenne en Côte d’Ivoire a relevé cette opacité et trouvé inacceptable le refus de la CEI d’autoriser l’accès sans « explication rationnelle » à ses locaux et en plusieurs endroits du pays à ses observateurs. La mission a également noté que l’acheminement des PV des bureaux de vote jusqu’à Abidjan et leur traitement posent problème.
Dans ce même ordre d’idées, de nombreux éléments matériels fondent la suspicion qui pèse sur le processus de proclamation des résultats. Ainsi, on constate des erreurs de calcul des voix obtenues par le candidat BEDIE dans nombre de localités notamment à Soubré où la CEI a proclamé pour BEDIE 55.971 voix au lieu de 56.129 et pour Laurent GBAGBO 31.126 voix au lieu de 30.472. Il en est de même à Grand Bassam où le candidat Laurent GBGBO est crédité de 22.189 voix au lieu de 12.000, ce qui fait un écart de plus de 10.000 voix. Ce genre d’anomalies est constaté dans plusieurs localités du pays.
Fort de tout ce qui précède, le PDCI-RDA doute de la crédibilité des résultats proclamés.
Le PDCI-RDA dénonce une volonté manifeste de tripatouillage des résultats.
Le PDCI-RDA exige l’arrêt de la proclamation des résultats et le recomptage des bulletins de vote. »

Fait à Abidjan, le 3 novembre 2010
Le Directeur national de campagne, Prof. Alphonse Djédjé MADY



COMMENTAIRE

L’un des faits les plus mystérieux de ce que d’aucuns qualifient de « crise postélectorale » – mais qui n’est pas que cela, tant s’en faut ! –, c’est l’évolution de l’attitude du candidat Bédié face à son résultat du 31 octobre 2010. Le premier à dénoncer des « tripatouillages » ayant eu pour but et pour résultat de l’éliminer artificiellement du deuxième tour, et le premier à demander – logiquement – un « recomptage » général des bulletins de vote, il rengaine brusquement ses griefs, ses récriminations et ses prétentions dès qu’il se retrouve derrière la muraille du Protectorat franco-onusien du Golf Hôtel. La veille, il estimait que le suffrage universel l’avait placé devant Ouattara ; le lendemain, sans explication, il se range avec armes et bagages derrière le même Ouattara…
Un miracle ? Si c’en était un, il fut beaucoup aidé par la République française dont tout le monde a pu mesurer l’engagement picrocholien du président d’alors, Nicolas Sarkozy, aux côtés des fantoches actuellement au pouvoir à Abidjan. C’est du moins ce qu’affirme le quotidien abidjanais Le Temps dans sa livraison du 18 novembre 2011, sous le titre « Paris veut déposséder Bédié de ses biens » (article signé d’un certain K.K.M.) :
« Le candidat du Pdci dut accepter d’être sacrifié lors de la présidentielle de 2010 au profit de son allié, dans la vaste stratégie de fraude qui l’a fait arriver en troisième position, derrière le candidat du Rdr, là où il aurait dû le battre pour affronter Laurent Gbagbo au second tour. On était donc en droit de penser qu’après avoir rempli son « contrat », Bédié trouverait le répit. Et que Sarkozy lèverait l’hypothèque que l’Elysée fait peser sur ses biens en France. Que non ! Le chantage et les pressions continuent. Pour demander à Bédié de se tenir tranquille auprès de son allié de circonstance. Car on sait que Bédié et Ouattara n’ont pas la même vision des choses sur plusieurs points. (…). La France ne peut pas se permettre de laisser Bédié prendre ses distances avec le régime Ouattara. Car, si Ouattara s’appuie sur les armes pour maintenir sa dictature, il a grandement besoin de la parodie de légitimité que seule la présence de Bédié au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) peut lui conférer. Aussi, indiquent nos sources, ces derniers temps l’Elysée se serait mis à agiter de façon plus énergique l’épouvantail de la confiscation des biens et du gel des avoirs de Bédié. Plusieurs notes auraient été adressées dans ce sens au président du Pdci en guise d’avertissement. Et, pour lui montrer que ce n’est pas un jeu, Paris pourrait mettre partiellement sa menace à exécution en usant du stratagème classique d’accusation d’« enrichissement illicite », de « biens mal acquis » que la France n’hésite pas à déployer, avec la participation de la justice française, contre les chefs d’Etat africains qui refusent de se laisser dicter leur conduite. »
Mais en politique il n’y a pas de mystères ; et dans la Côte d’Ivoire telle qu’Houphouët nous l’a laissée, encore moins qu’ailleurs. La posture adoptée par Bédié depuis la création, à Paris ! – précision importante –, de la coalition dénommée « Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix » (RHDP), est sans doute ce qui, en la circonstance, correspond le plus à sa vraie personnalité. Mais rappelez-vous le Bédié bouffi de vanité qui, le 22 décembre1999, s’adressant aux députés de la nation, martelait ces paroles qui durent sonner aux oreilles françafricaines comme une véritable déclaration de guerre. Des paroles dignes du marbre. Des paroles que, jusqu’à ce fatidique 22 décembre 1999, on n’avait entendues qu’à Conakry en 1958, à Léopoldville en 1960 ou Ouagadougou entre 1983et 1987 :
« La citoyenneté est la pierre angulaire de la démocratie et de la souveraineté nationale. La démocratie n'est pas le libre cours laissé à des minorités violentes qui veulent imposer leur point de vue en dépit des lois. Par exemple, vouloir empêcher l'application de dispositions constitutionnelles ou le déroulement régulier d'un scrutin ne sont pas, c'est le moins qu'on puisse dire, des actes démocratiques. Les changements démocratiques ne s'obtiennent pas par la violence et dans la rue mais pacifiquement dans les urnes. Deuxième point : La citoyenneté est la pierre angulaire de la démocratie et de la souveraineté nationale. Même si, dans certains pays, l'on a récemment étendu le droit de vote à certains non nationaux (lors de scrutins locaux, à titre expérimental), la citoyenneté, c'est-à-dire la capacité de voter et de se présenter aux suffrages, est fondamentalement et, pourrait-on dire, consubstantiellement attachée à la nationalité. A plus forte raison lorsqu'il s'agit de la candidature à la magistrature suprême. C'est parce que la Côte d'Ivoire est un pays d'accueil largement et généreusement ouvert qu'il a paru au législateur qu'il était nécessaire que la nationalité des candidats découle à la fois du droit du sol et du droit du sang, c'est-à-dire à la fois de la naissance sur le territoire national et de la filiation. Quoi de plus logique et de plus naturel ?
L'intégration à la communauté nationale est un processus et non pas le résultat d'un coup de baguette magique à effet instantané. A fortiori est-il concevable, et même convenable, quoi qu'on puisse juridiquement le faire, de chercher à tirer parti, de façon la plus intéressée, d'une éventuelle appartenance à plusieurs nationalités ? Quelles sont ces personnes qui se disent Ivoiriennes les jours pairs et non Ivoiriennes les jours impairs ? N'y a-t-il donc pas, dans nos formations politiques, assez de personnalités ivoiriennes présentant les qualités requises pour être des candidats valables à l'élection présidentielle ? Oserais-je ajouter que dans les pays où certains se donnent volontiers en modèles, voire en censeurs, il existe des dispositions légales semblables aux nôtres et qui s'appliquent aux conditions de l'éligibilité à la magistrature suprême.
C'est ce lien fort entre nationalité et citoyenneté qui fonde la souveraineté et l'indépendance de la Nation. Aujourd'hui, cette souveraineté et cette indépendance sont grossièrement mises en cause par des personnes et des organisations qui s'arrogent la faculté de décider de ce qui est bon pour les Ivoiriens. Nos aînés n'ont pas lutté pour l'indépendance pour que nous acceptions aujourd'hui de nouvelles soumissions. La nationalité, la citoyenneté, la démocratie et la souveraineté nationale sont les quatre côtés d'un carré magique qu'il nous faut défendre avec calme et détermination devant ces ingérences inacceptables. C'est aux Ivoiriens de décider par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et de choisir librement l'un d'entre eux pour conduire le destin de la Nation en refusant les aventures hasardeuses et l'imposture insupportable ». (Fraternité Matin du 23 décembre 1999).
Quel contraste, n’est-ce pas ?, entre ce Bédié-là et le Bédié d’aujourd’hui qui joue si bien les nécessités dans l’ombre et au service de ceux qui l’on renversé !

Les mêmes causes, dit l’adage, entraînent toujours les mêmes effets. La même sorte de défi avait coûté la vie à Lumumba et Sankara, et à Sékou Touré la tranquillité durant toute la durée de son règne. Mais Bédié lui, plus chanceux ou, plus vraisemblablement, moins craint, encourut seulement l’interruption brutale d’une carrière lucrative jusqu’alors sans accrocs.
Ceux qui l’ont retourné après sa chute devaient bien le connaître. Ils devaient savoir que c’est un homme à facilement s’accommoder de la perte du pouvoir, mais pas de la perte de son confort domestique. Que, pour préserver ce confort, il était capable de sacrifier le fameux « carré magique » dont il entretenait hypocritement les députés ce fatal 22 décembre… Bref, qu’il suffirait de l’effrayer un peu pour le révéler à lui-même tel qu’il est profondément.

Reste, pour nous, à nous expliquer comment ce petit arriviste, qui ne serait jamais monté si haut s’il n’avait pas été porté par la faveur d’Houphouët, a-t-il pu se croire assez fort pour défier ainsi les autorités françaises alors qu’il ne pouvait pas ignorer leur susceptibilité, ni l’emprise multiforme qu’elles continuent d’exercer sur la Côte d’Ivoire, ni leur capacité de nuisance tant de fois constatée ici et ailleurs ? C’est que, à force de se raconter des histoires sur Houphouët et ses prestiges, Bédié s’était persuadé qu’il lui suffisait d’être le président de la Côte d’Ivoire pour en imposer au monde entier… Ne raconte-t-on pas qu’Houphouët était universellement respecté et qu’il était si influent qu’il pouvait se permettre de manipuler Foccart et De Gaulle soi-même ? C’est ainsi que, devenu président à son tour, Bédié se crut aussi de taille à défier la France. Elle n’aimait pas son concept d’« ivoirité » ? Qu’importe ! Tant que Ses reproches et Ses mises en garde à ce propos restèrent des paroles verbales, il crut qu’il ne courait aucun risque à persévérer. Il le croyait encore le jour où, fuyant les tueurs du général Guéi, il alla se livrer à Son 43e BIMa et fut déporté chez Elle. Sans doute persista-t-il dans cette illusion au début de ce drôle d’exil, jusqu’à ce que, exaspérée par tant de sotte prétention, la France décide d’employer ces grands moyens dont nous parle Le Temps. Alors Bédié fut bien obligé d’admettre que, vu de France, un président de la République de Côte d’Ivoire était vraiment peu de chose…

En prenant les choses sous cet angle, l’histoire que rapporte Le Temps est au moins plausible. Car même si le rôle d’eunuque en chef qu’il tient dans le sérail ouattariste est celui qui va le plus naturellement au sybarite natif de Doukro, c’est quand même le genre de rôle qu’un homme quel qu’il soit accepte difficilement de jouer, à moins qu’il n’y soit énergiquement poussé par une cause extérieure.

L’autre leçon de cette histoire tragi-comique, c’est que nous pouvons y trouver un biais pour comprendre comment fut inventé le personnage d’Houphouët, que Bédié, avec beaucoup d’autres, revendique comme son modèle. Lui aussi, d’abord, les Français l’attirèrent chez eux, en 1950, en lui faisant peur. C’est à quoi servit le meurtre du sénateur Biaka Boda ! Puis ils lui mirent entre les mains le même marché : « Ou bien tu te soumets, ou bien on te casse ! » C’est ainsi qu’ils ont toujours agi dans ce pays, depuis le temps du gouverneur Angoulvant, avec ceux qui osent leur résister.

Marcel Amondji

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