mardi 20 novembre 2012

Ammar Bagdache : « Ils ne pourront pas nous vaincre »

ENTRETIEN AVEC ERNESTO GÓMEZ ABASCAL


Dr Ammar Bagdache
Ernesto Gómez Abascal : Comment le Parti Communiste de Syrie (PCS) juge-t-il le gouvernement de Bachar Al Assad ?
Ammar Bagdache : Pour le Parti Communiste de Syrie, c’est un gouvernement patriotique, anti-impérialiste et antisioniste, malgré qu’il applique un modèle économique clairement capitaliste. Même si le Parti Baas, qui était et est toujours la force dirigeante du gouvernement, a proclamé le socialisme arabe en Syrie, il n’est pas socialiste au sens marxiste du terme. Cependant, le PCS fait partie du Front Progressiste composé aujourd’hui de 10 partis.
Nous avons un ministre dans le gouvernement et nous considérons, qu’à ce niveau du parcours, c’est la meilleure option. Nous sommes et nous avons toujours été disposés à améliorer le système. En 2005 nous nous sommes opposés à des changements calqués sur le modèle néolibéral, nous avons la preuve aujourd’hui qu’ils ont été le terreau d’une catégorie marginale que l’opposition armée a su s’attirer. Des erreurs ont été commises, maintenant il faut les corriger.
EGA : Y a-t-il des forces et des partis de gauche parmi ceux qui combattent pour renverser le gouvernement de Bachar Al Assad ? Face au gouvernement actuel, existe-t-il une alternative de gauche ?
AB : Quelques personnes qui étaient de gauche, y compris des marxistes, vivent à l’extérieur du pays depuis pas mal de temps, mais elles ont changé. Certains avaient fait de la prison en Syrie, aujourd’hui ils ont renoncé au marxisme, plusieurs ont même rejoint les Frères Musulmans, d’autres sont devenus les agents des monarchies du Golfe.
En Syrie, il y a des gens qui se considèrent de gauche et qui veulent des changements et des réformes, mais ce sont des individualités, pas des partis ou des forces politiques organisées, ils sont tout de même opposés à l’intervention étrangère. Le gouvernement que nous avons en Syrie a une position constructive pour réaliser des changements importants, ils commençaient à être adoptés mais l’intervention armée étrangère empêche, pour le moment, leur mise en application normale.
Si le gouvernement actuel venait à être renversé, la seule éventualité serait la prise du pouvoir par les Frères Musulmans, ce qui constituerait un grand bond en arrière pour un peuple qui, depuis pas mal d’années, bénéficie d’un système laïque moderne, ne connaît pas le sectarisme et n’a jamais vécu avec de telles tensions. Mais nous sommes optimistes, même si la lutte dure encore un certain temps, nous sommes certains qu’ils ne pourront pas nous vaincre.
EGA : Sur la situation militaire, comment voyez-vous la suite ?
AB : Plus le temps passe, plus il est clair qu’ils ne pourront pas nous vaincre. Ils [l’opposition armée, NdT] n’ont pu prendre le contrôle d’aucune ville importante, malgré leur plan initial et l’arrivée de milliers de mercenaires extrémistes et salafistes, assistés des services spéciaux US et leurs alliés de l’OTAN qui travaillent depuis la Turquie, pays avec qui nous partageons une longue frontière. Le Qatar et l’Arabie saoudite leur apportent également le soutien économique et militaire. Bien sûr, notre gouvernement est soutenu par la majorité de la population. Les forces armées de la nation et les milices populaires restent unies et en ordre combatif. Malgré la situation compliquée dans laquelle se trouve le pays, les institutions fonctionnent.
EGA : Pensez-vous qu’en Libye, il y avait la possibilité de soutenir quelque force révolutionnaire ou progressiste pour une alternative au gouvernement de Kadhafi ?
AB : Le cas de la Libye est totalement différent à celui de la Syrie. Même si le peuple libyen jouissait du meilleur niveau de vie d’Afrique, avec le PIB par habitant le plus important, la personnalité de Kadhafi était très contestée, il était très incohérent dans ses positions et il a souvent abusé de méthodes anticommunistes. Il s’était réconcilié avec l’occident, mais il n’existait ni parti ni aucune force organisée connue, avec un programme révolutionnaire, progressiste ou anti-impérialiste, qui aurait pu recevoir un soutien en tant qu’alternative au gouvernement de Kadhafi.
Le positionnement approprié des révolutionnaires était de laisser les libyens résoudre leurs problèmes et s’opposer par tous les moyens à l’intervention de l’alliance impérialiste et la réaction arabe. Notre parti n’avait aucune sympathie pour Kadhafi, mais c’est l’OTAN qui l’a renversé et non le peuple libyen. Aujourd’hui, le gouvernement installé à Tripoli est assujetti aux intérêts des impérialistes.
EGA : Comment le PCS caractérise-t-il le Hezbollah et l’Iran, un parti et un pays à caractère islamique ?
AB : Nous voyons qu’ils maintiennent des positions patriotiques, contre l’impérialisme et le sionisme, par conséquent ils sont des alliés. Le Hezbollah au Liban dirige un mouvement dans lequel participent aussi des partis et des organisations chrétiennes, sunnites et même marxistes. Il y a des musulmans de sensibilités politiques différentes et notre parti, part du principe qu’avec la situation actuelle dans la région, la place d’une force politique est d’être du côté des intérêts du peuple, d’être anti-impérialiste et antisioniste. C’est pourquoi nous considérons Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, comme étant un véritable révolutionnaire.
EGA : Pensez-vous qu’un parti ou une force de gauche puisse parvenir au pouvoir dans un pays de la région ?
AB : Nous n’écartons pas cette possibilité, cela dépend des masses, du peuple. En 1958, je crois que peu de gens dans le monde avait prévu qu’une révolution allait triompher à Cuba, et deux ans plus tard qu’elle proclamerait le socialisme. Le rôle d’un leadership est également très important et on ne peut pas l’exclure totalement.
EGA : Le président égyptien Mohammed Mursi, des Frères Musulmans, a tenu un discours, lors de la dernière assemblée générale de l’ONU il y a quelques jours, qui semble montrer que ce grand pays est en train de reprendre la main sur sa politique extérieure. Qu’en pensez-vous ?
AB : Je pense qu’il agit selon la volonté des masses, du peuple égyptien qu’il ne peut ignorer. Ce qu’il déclare ne doit pas faire plaisir aux USA et encore moins à Israël. Il est possible que Mursi travaille à redonner à l’Egypte le leadership du monde arabe. De plus, il est impossible d’être plus grande marionnette de l’impérialisme que Moubarak, ce serait très difficile. À l’Assemblée Générale de l’ONU, s’il a déclaré qu’il était opposé à une intervention extérieure contre mon pays, c’est parce qu’il a vu que le peuple syrien organise la résistance contre l’agression que lui soumettent l’occident et les pays du golfe, cela peut influer ses positions. Il faudra voir par la suite s’il maintient une ligne contraire aux USA et Israël.
EGA : Quelle devrait être la position de la gauche internationale, des révolutionnaires, par rapport à l’intervention manifeste de l’impérialisme et la réaction arabe pour produire des changements de régime ?
AB : Notre parti estime que les forces révolutionnaires et progressistes internationales doivent soutenir les gouvernements et les partis anti-impérialistes et antisionistes face à l’agression de la réaction, de l’impérialisme avec sa politique interventionniste et d’ingérence qui transgresse les lois internationales. De nos jours, c’est cela qui caractérise une position de principes et révolutionnaire.
On ne peut se réclamer de gauche ou se dire progressiste et révolutionnaire et en même temps adhérer à ce que disent et font les Hillary Clinton, les monarques corrompus du Golfe et les dirigeants de l’OTAN.

Ammar Bagdache est secrétaire général du Parti communiste syrien et membre du parlement de la République Arabe de Syrie.
Ernesto Gómez Abascal est écrivain et journaliste cubain, ex-ambassadeur dans différents pays du Proche-Orient.
Titre original : "Conversación con el Dr. Ammar Bagdache..." Article publié le 2 octobre 2012 par Rebelión.org. Trad. Jilata

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Source : Le Grand Soir 7 octobre 2012

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