Lettre d’Edwy Plenel à François
Hollande
à propos de la Palestine
De l’alignement préalable sur la droite extrême israélienne à
l’interdiction de manifestations de solidarité avec le peuple palestinien, sans
compter l’assimilation de cette solidarité à de l’antisémitisme maquillé en
antisionisme, François Hollande s’est engagé dans une impasse. Politiquement,
il n’y gagnera rien, sauf le déshonneur. Mais, à coup sûr, il y perd la France.
Monsieur le Président,
cher François Hollande, je n’aurais jamais pensé que vous puissiez rester, un
jour, dans l’histoire du socialisme français, comme un nouveau Guy Mollet. Et,
à vrai dire, je n’arrive pas à m’y résoudre tant je vous croyais averti de ce
danger d’une rechute socialiste dans l’aveuglement national et l’alignement
international, cette prétention de civilisations qui se croient supérieures au
point de s’en servir d’alibi pour justifier les injustices qu’elles commettent.
Vous connaissez bien
ce spectre molletiste qui hante toujours votre famille politique. Celui d’un
militant dévoué à son parti, la SFIO, d’un dirigeant aux convictions
démocratiques et sociales indéniables, qui finit par perdre politiquement son
crédit et moralement son âme faute d’avoir compris le nouveau monde qui
naissait sous ses yeux. C’était, dans les années 1950 du siècle passé, celui de
l’émergence du tiers-monde, du sursaut de peuples asservis secouant les jougs
colonisateurs et impériaux, bref le temps de leurs libérations et des indépendances
nationales.
Guy Mollet, et la
majorité de gauche qui le soutenait, lui opposèrent, vous le savez, un déni de
réalité. Ils s’accrochèrent à un monde d’hier, déjà perdu, ajoutant du malheur
par leur entêtement, aggravant l’injustice par leur aveuglement. C’est ainsi
qu’ils prétendirent que l’Algérie devait à tout prix rester la France, jusqu’à
engager le contingent dans une sale guerre, jusqu’à autoriser l’usage de la
torture, jusqu’à violenter les libertés et museler les oppositions. Et c’est avec
la même mentalité coloniale qu’ils engagèrent notre pays dans une désastreuse
aventure guerrière à Suez contre l’Égypte souveraine, aux côtés du jeune État
d’Israël.
Mollet n’était ni un
imbécile ni un incompétent. Il était simplement aveugle au monde et aux autres.
Des autres qui, déjà, prenaient figure d’Arabes et de musulmans dans la
diversité d’origines, la pluralité de cultures et la plasticité de croyance que
ces mots recouvrent. Lesquels s’invitaient de nouveau au banquet de l’Histoire,
s’assumant comme tels, revendiquant leurs fiertés, désirant leurs libertés. Et
qui, selon le même réflexe de dignité et de fraternité, ne peuvent admettre
qu’aujourd’hui encore, l’injustice européenne faite aux Juifs, ce crime contre
l’humanité auquel ils n’eurent aucune part, se redouble d’une injustice durable
faite à leurs frères palestiniens, par le déni de leur droit à vivre librement
dans un État normal, aux frontières sûres et reconnues.
Vous connaissez si
bien la suite, désastreuse pour votre famille politique et, au-delà d’elle,
pour toute la gauche de gouvernement, que vous l’aviez diagnostiquée vous-même,
en 2006, dans Devoirs de vérité (Stock). « Une faute, disiez-vous, qui a été
chèrement payée : vingt-cinq ans d’opposition, ce n’est pas rien ! » Sans
compter, auriez-vous pu ajouter, la renaissance à cette occasion de l’extrême
droite française éclipsée depuis la chute du nazisme et l’avènement
d’institutions d’exception, celles d’un pouvoir personnel, celui du césarisme
présidentiel. Vingt-cinq ans de « pénitence », insistiez-vous, parce que la
SFIO, l’ancêtre de votre Parti socialiste d’aujourd’hui, « a perdu son âme
dans la guerre d’Algérie ».
Vous en étiez si
conscient que vous ajoutiez : « Nous avons encore des excuses à présenter au
peuple algérien. Et nous devons faire en sorte que ce qui a été ne se
reproduise plus. » « Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir raison, de prendre la
bonne direction, de choisir la juste orientation, écriviez-vous encore. Mais
nous devons, à chaque moment majeur, nous poser ces questions simples :
agissons-nous conformément à nos valeurs ? Sommes-nous sûrs de ne pas altérer
nos principes ? Restons-nous fidèles à ce que nous sommes ? Ces questions
doivent être posées à tout moment, au risque sinon d’oublier la leçon. »
Eh bien, ces
questions, je viens vous les poser parce que, hélas, vous êtes en train
d’oublier la leçon et, à votre tour, de devenir aveugle au monde et aux autres.
Je vous les pose au vu des fautes stupéfiantes que vous avez accumulées face à
cet énième épisode guerrier provoqué par l’entêtement du pouvoir israélien à ne
pas reconnaître le fait palestinien. J’en dénombre au moins sept, et ce n’est
évidemment pas un jeu, fût-il des sept erreurs, tant elles entraînent la France
dans la spirale d’une guerre des mondes, des civilisations et des identités,
une guerre sans issue, sinon celle de la mort et de la haine, de la désolation
et de l’injustice, de l’inhumanité en somme, ce sombre chemin où l’humanité en
vient à se détruire elle-même.
Les voici donc ces
sept fautes où, en même temps qu’à l’extérieur, la guerre ruine la diplomatie,
la politique intérieure en vient à se réduire à la police.
Une faute
politique doublée d’une faute intellectuelle
1. Vous avez
d’abord commis une faute politique sidérante. Rompant avec la position traditionnellement équilibrée de la
France face au conflit israélo-palestinien, vous avez aligné notre pays sur la
ligne d’offensive à outrance et de refus des compromis de la droite
israélienne, laquelle gouverne avec une extrême droite explicitement raciste,
sans morale ni principe, sinon la stigmatisation des Palestiniens et la haine
des Arabes.
Votre position, celle
de votre premier communiqué du 9 juillet, invoque les attaques du Hamas pour
justifier une riposte israélienne disproportionnée dont la population civile de
Gaza allait, une fois de plus, faire les frais. Purement réactive et en grande
part improvisée, elle fait fi de toute complexité, notamment celle du duo
infernal que jouent Likoud et Hamas, l’un et l’autre se légitimant dans la ruine
des efforts de paix.
Surtout, elle est
inquiétante pour l’avenir, face à une situation internationale de plus en plus
incertaine et confuse. À la lettre, ce feu vert donné à un État dont la force
militaire est sans commune mesure avec celle de son adversaire revient à
légitimer, rétroactivement, la sur-réaction américaine après les attentats du
11-Septembre, son Patriot Act liberticide et sa guerre d’invasion contre
l’Irak. Bref, votre position tourne le dos à ce que la France officielle, sous
la présidence de Jacques Chirac, avait su construire et affirmer, dans
l’autonomie de sa diplomatie, face à l’aveuglement nord-américain.
Depuis, vous avez
tenté de modérer cet alignement néoconservateur par des communiqués invitant à
l’apaisement, à la retenue de la force israélienne et au soulagement des
souffrances palestiniennes. Ce faisant, vous ajoutez l’hypocrisie à
l’incohérence. Car c’est une fausse compassion que celle fondée sur une fausse
symétrie entre les belligérants. Israël et Palestine ne sont pas ici à égalité.
Non seulement en rapport de force militaire mais selon le droit international.
En violation de
résolutions des Nations unies, Israël maintient depuis 1967 une situation
d’occupation, de domination et de colonisation de territoires conquis lors de
la guerre des Six Jours, et jamais rendus à la souveraineté pleine et entière
d’un État palestinien en devenir. C’est cette situation d’injustice prolongée
qui provoque en retour des refus, résistances et révoltes, et ceci d’autant
plus que le pouvoir palestinien issu du Fatah en Cisjordanie n’a pas réussi à
faire plier l’intransigeance israélienne, laquelle, du coup, légitime les
actions guerrières de son rival, le Hamas, depuis qu’il s’est imposé à Gaza.
Historiquement, la
différence entre progressistes et conservateurs, c’est que les premiers
cherchent à réduire l’injustice qui est à l’origine d’un désordre tandis que
les seconds sont résolus à l’injustice pour faire cesser le désordre. Hélas,
Monsieur le Président, vous avez spontanément choisi le second camp, égarant
ainsi votre propre famille politique sur le terrain de ses adversaires.
2. Vous avez
ensuite commis une faute intellectuelle en confondant sciemment antisémitisme
et antisionisme. Ce serait
s’aveugler de nier qu’en France, la cause palestinienne a ses égarés,
antisémites en effet, tout comme la cause israélienne y a ses extrémistes,
professant un racisme anti-arabe ou antimusulman. Mais assimiler l’ensemble des
manifestations de solidarité avec la Palestine à une résurgence de l’antisémitisme,
c’est se faire le relais docile de la propagande d’État israélienne.
Mouvement
nationaliste juif, le sionisme a atteint son but en 1948, avec l’accord des
Nations unies, URSS comprise, sous le choc du génocide nazi dont les Juifs
européens furent les victimes. Accepter cette légitimité historique de l’État
d’Israël, comme a fini par le faire sous l’égide de Yasser Arafat le mouvement
national palestinien, n’entraîne pas que la politique de cet État soit hors de
la critique et de la contestation. Être antisioniste, en ce sens, c’est refuser
la guerre sans fin qu’implique l’affirmation au Proche-Orient d’un État
exclusivement juif, non seulement fermé à toute autre composante mais de plus
construit sur l’expulsion des Palestiniens de leur terre.
Edwy Plenel (laregledujeu.org) |
Confondre
antisionisme et antisémitisme, c’est installer un interdit politique au service
d’une oppression. C’est instrumentaliser le génocide dont l’Europe fut coupable
envers les Juifs au service de discriminations envers les Palestiniens dont,
dès lors, nous devenons complices. C’est, de plus, enfermer les Juifs de France
dans un soutien obligé à la politique d’un État étranger, quels que soient ses
actes, selon la même logique suiviste et binaire qui obligeait les communistes
de France à soutenir l’Union soviétique, leur autre patrie, quels que soient
ses crimes. Alors qu’évidemment, on peut être juif et antisioniste, juif et
résolument diasporique plutôt qu’aveuglément nationaliste, tout comme il y a
des citoyens israéliens, hélas trop minoritaires, opposés à la colonisation et
solidaires des Palestiniens.
Brandir cet argument
comme l’a fait votre premier ministre aux cérémonies commémoratives de la rafle du Vél’ d’Hiv’, symbole de la collaboration de l’État français au génocide commis par les nazis, est aussi indigne que ridicule. Protester contre les violations répétées du droit international par l’État d’Israël, ce serait donc préparer la voie au crime contre l’humanité ! Exiger que justice soit enfin rendue au peuple palestinien, pour qu’il puisse vivre, habiter, travailler, circuler, etc., normalement, en paix et en sécurité, ce serait en appeler de nouveau au massacre, ici même !
Edwy Plenel
Source :
eburnienews.net 6 août 2014
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