mercredi 13 août 2014

La CPI, une coûteuse inutilité*

Fantoche et heureux.
Le "président" de la "Communauté internationale"
au milieu de ses sicaires

Au cours des mois récents, nombre de violences inter­nationales ont retenu l'attention des médias, mais n'ont guère mobilisé les diplomaties au-delà de mesures symboliques qui ne les ont pas empêchées de se déployer. On ne négocie plus, ou à vide. La diplomatie internationa­le se limite à des protestations et à des dénégations; unilatérales. Dérive inquié­tante face à des conflits qui, pour l'instant, demeurent de basse intensité, sauf pour les civils exposés à de grands massacres.
S'il ne s'agissait que de rendre
une vraie justice, la CPI
n'aurait que l'embarras du choix...
Alors que, depuis des décennies, des efforts considérables ont été entrepris pour prévenir le retour des massacres et réprimer leurs auteurs, aujourd'hui, qu'observons-nous ? L'absence de la Cour pénale internationale (CPI) face aux attein­tes massives au droit humanitaire qu'elle a pour objet de sanctionner. En Libye, en Irak, en Syrie, à Gaza, saisie ou non, elle est impuissante. Or le statut de Rome a été adopté, en 1998, sous la pression de la société civile internationale qui s'en fai­sait l'expression. On peut pour chaque conflit trouver une explication, comme les obstacles à sa saisine : imagine-t-on tra­duire M. Nétanyahou, qui démontre son dédain à rencontre du droit humanitaire, devant la CPI ?
Mais le mal est plus profond. Il tient à la nature même de la CPI, vouée à devenir une nouvelle Société des nations, construi­te sans bases solides ni moyens d'action. Comment une Cour sans appui coercitif d'une police internationale, qui suppose, pour fonctionner, la coopération des Etats dont les responsables peuvent être pour­suivis, dont la conception même a reposé sur la méfiance à l'égard du Conseil de sécurité, pourrait-elle être efficace ? Sans moyens d'action : enquêtes impossibles sur des terrains de bataille, mandats d'ar­rêt inexécutés, procédures transformant chaque procès en feuilleton judiciaire, témoins qui se dérobent.
Ce n'était pas être étroit, pessimiste, voi­re réactionnaire que de prévoir un tel aboutissement, et de ne pas voir dans la CPI une avancée formidable du droit inter­national. On a critiqué ceux qui en dou­taient. Ils se consolaient avec Stendhal écri­vant que tout bon raisonnement offense. Sans glaive et sans balance, la CPI est vouée à des procès résiduels d'opposants livrés par leurs gouvernements. Avant elle, des tribunaux pénaux spéciaux (ex­-Yougoslavie, Rwanda), institués par le Conseil de sécurité et appuyés sur son autorité, ont fonctionné et condamné à juste titre – mais leurs incriminations ont visé les vaincus plus que les vainqueurs. 
Une coûteuse inutilité 
Le fantoche et son apprenti (de G à D)
La justice pénale suppose une société politique consensuelle, appuyée sur la for­ce publique. D'où le dilemme de la justice internationale pénale dans la société inter­nationale, société polémique qui peine à devenir une société politique. Ou bien elle est borgne, une justice de vainqueurs qui intervient après la bataille – glaive sans balance. Ou bien elle est impartiale, indé­pendante – mais alors elle est une balance sans glaive, incapable de se saisir des accu­sés pour les juger. La CPI cumule ces deux défauts : si elle fonctionne, elle oublie de regarder sur le côté si les personnes pour­suivies ne sont pas les seules qui devraient l'être. Si elle ne fonctionne pas, elle est d'une coûteuse inutilité.

Les victimes collatérales sont le droit humanitaire, violé sans réaction, et le droit international, exposé à l'opprobre, alors qu'il est organisateur de la société interna­tionale et instrument de sa gestion. Encore faut-il ne pas le confondre avec l'idéologie juridique qui le fourvoie dans des aventu­res déclaratoires et improvisées.

« Sans glaive et sans balance,
la CPI est vouée à des procès résiduels
d'opposants livrés par leurs gouvernements. »

La CPI ne peut être une alternative au Conseil de sécurité, mais son complé­ment. Le droit international est un droit politique et la politique n'est pas soluble dans le droit. Construire des institutions sans bases politiques est voué à l'échec, et c'est bien le triste sort qui menace la CPI. Espérons que nous nous trompons !
 
Serge SUR (Professeur émérite à l'université Panthéon-Assas) 
(*) - Titre original : « La CPI, une juridiction qui ne fonctionne pas » 

 
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Source : Le Monde 7 août 2014

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