B. Dadié chez lui le 15/7/2013 (Photo G. Toualy) |
Lorsque
des amis m’ont informé du projet de faire, dans une revue, la présentation des
personnes ayant (eu) une part notable au combat d’émancipation des peuples
africains, un nom résonna dans ma tête : Bernard Binlin-Dadié ! Cet homme est
notablement présent et actif chaque fois qu’il est besoin de se battre en
faveur de la dignité humaine, de la liberté des peuples et plus précisément
pour la libération de l’Afrique. Sa part au combat est énorme, mais son nom et
son image restent comme ignorés des historiographes de notre temps, en matière
de lutte émancipatrice. Il est à mes yeux la preuve palpable de la véracité de
l’adage selon lequel « nul n’est prophète chez soi ». Alors, on réalise que les
véritables héros sont méconnus chez eux et en leur temps. Ils sont comme l’air,
dont personne ne se soucie qu’il est absolument indispensable à la vie, tant
qu’on l’a, et on ne prend conscience de son importance vitale que lorsqu’il
vient à manquer. Bernard Binlin-Dadié est de ces hommes dont l’histoire
retiendra qu’il aura combattu l’injustice, principalement celle exercée par les
acteurs de tous genres de l’impérialisme, à travers le colonialisme
déshumanisant, depuis plus de trois quarts de siècle. En fait, la dimension de
l’homme, au plan de l’action militante, est tellement immense que cela paraît
une véritable gageure que de prendre sur soi de parler de lui ! C’est
assurément ce qui explique que l’on ait si peu d’empressement à le présenter,
en tant que grand combattant ! En ce qui me concerne, j’ai parfaitement
conscience que je ne donnerai qu’une infime partie de la dimension de ce
patriarche de nos luttes émancipatrices. Mais j’ai décidé de me jeter à l’eau,
pour faire le pas audacieux, et dire de l’homme quelques mots. Mon souhait,
c’est qu’il y ait par la suite, des présentations plus détaillées de cette
figure emblématique de la lutte émancipatrice.
Dadié,
le patriarche infatigable du combat libérateur !
Bernard
Binlin-Dadié est aujourd’hui un patriarche, au sens biblique du terme. Né en
1916, il est à quelques années de la centaine. C’est un âge très honorable,
cette époque de sa vie où souvent l’homme regarde avec lassitude,
émerveillement, ou parfois une certaine condescendance, le déroulement de la
vie, en suivant les événements avec quelques regrets de ne plus avoir l’âge de
faire ceci et cela. Cet homme-là subit le poids de son âge, et on dit qu’il est
vieux ! Mais Bernard Binlin-Dadié n’est pas vieux : il n’a pas eu le temps de
vieillir ! D’ailleurs, il y a quelques jours, à l’occasion d’une manifestation
du Congrès National de la Résistance pour la Démocratie (CNRD), un courant
politique dont il est le président, il disait, le jeudi 11 avril 2013 :
« On ne devient pas vieux pour avoir vécu un
certain nombre d’années. On devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. Vous
êtes
« Vous êtes aussi
jeune que votre foi,
aussi vieux que
votre doute ;
aussi jeune que
votre confiance en vous-même,
aussi vieux que votre abattement. » |
aussi jeune que votre foi, aussi vieux que votre doute ; aussi jeune que
votre confiance en vous-même, aussi vieux que votre abattement »
. Cet
homme, à presque cent ans, est à la pointe de la lutte émancipatrice de
l’Afrique et principalement de la Côte d’Ivoire. Sa foi et sa confiance en
lui-même sont restées intactes depuis les années mil neuf cent trente, lorsque,
à la fin de ses études, à son premier poste de fonctionnaire de
l’administration coloniale, son patron, un colon averti qui lui trouvait des
allures d’insoumis sans aucun complexe, lui lança : « Tu ne peux pas enseigner ; tu irais en prison ! » Là-dessus, il
dut se contenter d’une autre fonction que celle d’enseigner, ce qui ne
l’empêcha pas de subir toutes sortes de brimades colonialistes y compris d’être
incarcéré à la prison de Grand-Bassam. Ses compagnons de lutte du début,
devenus réformistes pour la plupart, ne lui épargnèrent pas de subir les
tracasseries oppressives et l’isolement, à la proclamation des indépendances
factices de 1960, même s’il fut, quelques temps, ministre de la Culture sous le
règne du président Houphouët-Boigny ! Dadié n’abandonna pas pour autant le
combat.
Bernard
B. Dadié, l’incorruptible défenseur de la justice et de la liberté par le verbe
:
Les prisonnier du 6 février 1949 Debout, de G à D : Viéra, S. Koré, Paraiso, L. Kamara Assis, de G à D : J. Williams, Mockey, B. Dadié, M. Ekra |
Dadié
a choisi très tôt la lutte au plan des idées. Sa très large et dense production
littéraire en témoigne, de même que sa présence permanente sur le terrain, par
la publication d’articles de presse. « Climbié, Béatrice du Congo, Papassidi
maître escroc, Moa Ceul, Le pagne noir, Cailloux Blancs »…Voici quelques-unes
des productions littéraires de l’écrivain Bernard B. Dadié, « le seigneur des
lettres ivoiriennes », selon le mot de feu le journaliste, écrivain et critique
Jérôme Diégou Bailly. Son œuvre est plurielle et variée : il touche à tous les
genres de la littérature. Du conte au roman, en passant par la poésie, Dadié
écrit pour la défense de la justice et de la liberté, pour l’émancipation de
l’homme… Enfants, lorsque nous entendions le mot « indépendance », nous nous
rappelions cet extrait de « Climbié », l’oncle Ndabian parlant à son neveu : « Le travail, et après le travail,
l’indépendance ; n’être à la charge de personne…Telle doit être la devise de
votre génération … » A la vérité, Bernard B. Dadié fait partie aujourd’hui
de ces personnes qui sont une référence en matière de constance et de
pertinence dans la pensée et dans l’action. Il est une sorte de « conscience
morale » ainsi que le dit mon frère et camarade, le professeur Gnagne Yadou. En
plus de sa riche production littéraire, on ne saurait occulter sa présence
régulière dans les tabloïdes ivoiriens : il ne se passe pas de semaine sans
qu’un texte de haute facture, signé de Bernard B .Dadié, ne soit publié dans
l’un ou l’autre des quotidiens ivoiriens les plus lus. Evidemment nous parlons
ici des publications non engagées à ramer pour ceux qui tiennent le bâton en
faveur de l’oppression impérialiste ! Hier 12 avril, Dadié publiait encore un
texte plein d’enseignement et d’assurance, où il invitait les Ivoiriens à «
s’armer de l’amour du prochain et de la soumission à Dieu », pour mener le
combat contre ceux qui n’ont pas la crainte de Dieu et se disent puissants
parce qu’ils possèdent des bombes et imposent aux autres la force brutale.
Maîtrisant avec une rigoureuse précision le déroulement des faits et les dates
des événements importants de notre histoire, Bernard Dadié est une bibliothèque
vivante. Il a de ce fait une claire compréhension de toutes les ruses de
l’oppresseur, et chacune de ses interventions dans la presse est incontestable
lorsqu’il explique, dénonce, condamne ou appelle à la résistance. Au-delà de la
qualité esthétique des textes de Dadié, on est édifié, conforté, rassuré !
Aujourd’hui encore, la France de l’impérialisme inhumain, qui n’a jamais eu de
scrupule à opprimer en Afrique toute valeur réelle, ne rate aucune occasion de
faire payer à cet homme son attachement à la liberté, à la justice et à
l’égalité entre les hommes. C’est ainsi qu’en 2005, en tant que membre honoraire
des instances dirigeantes de la francophonie, il avait été invité à Paris, à
une réunion de cette institution. Eh bien, l’ambassade de France à Abidjan lui
refusa simplement le visa, pour l’empêcher de se rendre à cette rencontre : on
était à un moment délicat du coup d’Etat de la France contre notre pays, suite
aux tueries de novembre 2004, à l’Hôtel Ivoire, et Dadié venait de publier un
texte appelant à la résistance ! Et on continue de nous chanter que
l’organisation de la francophonie, qui est comme le franc CFA, un outil de
l’impérialisme insatiable, n’est qu’un cadre d’échanges culturels, dans cette
Afrique où subsistent des collabos inqualifiables et des apatrides de bas
étage, des individus qu’étouffent un égoïsme innommable. A l’époque, des
personnes informées ont suggéré au patriarche de protester contre cette avanie.
Mais, impassible et un peu rieur, il répondit : « Non ! Ce n’est pas nécessaire ! Cela ne vaut pas la peine ! La
francophonie, c’est leur chose, qu’ils en fassent ce qu’ils veulent ; nous,
nous avons des combats à mener ! » Tel est l’homme ! Fier, mais respectueux
de l’autre dans ses positions, même les plus
anormales !
Le Président du CNRD en séance |
Puisse
l’Eternel, notre Dieu, garder encore longtemps parmi nous, Bernard Binlin-Dadié
!
BEDI HOLY
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : La Dépêche d'Abidjan 2 Août 2014
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