vendredi 22 août 2014

Le consensus des affamés

2013, à Paris, la mission "diplomatique" du FPI
fait étape chez l'ambassadeur Charles Gomis,
devant un buffet bien garni.
Après nous avoir expliqué que nous ne devrions plus serrer la main à nos proches, le gouvernement vient de lever la suspension qu’il avait imposée à tous les navires venant des pays où l’ébola sévit, sans la moindre explication. Qu’est-ce qui a changé ? Ou alors, accepter à nouveau de recevoir ces navires, mis en quarantaine pendant quelques jours, est finalement moins dangereux que serrer la main de son voisin de quartier ou de son collègue de bureau ! Et tout ça, au nom de l’argent roi ?
 
Je suis, pour ma part, perplexe sur la manière dont ce gouvernement conçoit ses responsabilités, sur ce je m’en-foutisme ambiant auquel bon nombre de nos compatriotes se sont facilement habitués ou qui accommode certains, dont les desseins n’en sont toujours pas pour autant clairement avoués à mon grand désespoir…
 
Pour le reste, je sais que certaines personnes m’attendent sur la crise qui secoue le FPI et qui n’est probablement pas finie en raison des enjeux fortement personnalisés par les fantasmes de retour au pouvoir qui envahissent certains. Il y en a qui voudraient que je réponde à ceux qui me taxent d’être anti-Affi sans la moindre démonstration du reste ou, pour d’autres, que je renforce la position de ceux qui me veulent dans une telle posture. Pris d’ailleurs sous cet angle, je présume que mon propos va certainement décevoir plus d’un. Parce que, de mon point de vue, le débat sur la stratégie capable de sortir le Président Gbagbo de La Haye n’est plus tout à fait nouveau, ou, à tout le moins, seulement entretenu dans des salons cossus. Qu’en conséquence, il est loisible au plus humble des militants du FPI ou au plus petit des citoyens ivoiriens intéressés par la question de savoir qui représente les meilleurs gages de sortie de Laurent Gbagbo de la CPI.

Ce que les bombes franco-onusiennes ont
 fait du symbole de notre souveraineté.
Ouvrier des rêves qui le dépassent,
le militant est souvent le premier
à le payer de sa liberté ou de sa vie.
Ce sur quoi je m’interroge plutôt, c’est l’apparent consensus naissant sur la manière d’accéder désormais au pouvoir en Afrique. Je ne veux pas me ridiculiser en feignant de découvrir que ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire et qui fut d’une rare violence est tout à fait nouveau pour les Africains, et que la communauté internationale devrait avoir honte de piétiner des valeurs pour lesquelles nous les idéalisons chez nous. En revanche, la rapidité avec laquelle de nombreuses élites, y compris celles qui ont longuement appelé à se mobiliser contre l’impérialisme occidental, se sont persuadé que le pouvoir en Afrique dépendait exclusivement de l’homme blanc me laisse sans voix. Pas essentiellement parce que je les destinais à des choses plus élevées, mais parce que je me dis tout de même que ces personnes auraient au moins honte de l’image qu’elles offrent.
Or, de mon point de vue, c’est ce qui hante le FPI. Les convulsions multiples et interminables sur la page Gbagbo que certains veulent tourner n’est, à cet égard, qu’une conséquence de cette nouvelle découverte. Beaucoup croient en effet que la seule façon de prospérer à nouveau est d’instrumentaliser à la fois notre défaite comme une erreur stratégique tout en légitimant la force brutale qui a vaincu nos résistances. Ce serait donc pour avoir osé défier l’homme blanc que nous nous sommes retrouvés là, obligés de faire la manche. Ce qui n’est pas faux d’un strict point de vue factuel. Mais une fois cela dit, en quoi ces violences disqualifient-elles nos rêves d’auto-détermination, surtout lorsqu’ils constituent nos seules chances de vie meilleure ? Car en politique, il n’y a pas que le rêve ou les fantasmes des élites qui comptent ! Il y a aussi l’espoir de changement du militant qu’il faut prendre en compte. Ouvrier des rêves qui le dépassent souvent, le militant est souvent le premier à payer de sa vie et l’on l’a encore vu dans cette crise postélectorale immonde.
Pour mieux illustrer cette partie de mon propos, je me permets d’évoquer les échanges, houleux parfois, que j’ai, à différentes occasions, eu avec un membre de la direction du FPI. Il ne comprenait pas mon hostilité (supposée) envers le président Pascal Affi N’guessan. Alors, dès qu’il finissait d’en vanter les mérites, ce camarade m’expliquait ce que les détracteurs du président du parti demandaient comme service en sous-main. Soit pour que ceux qu’ils soupçonnaient d’accointances avec le pouvoir les aidassent à négocier quelques privilèges avec le régime, soit pour obtenir des rentes viagères obtenues sous Gbagbo mais bloquées par la ouattarandie. Alors, ses yeux s’illuminaient, croyant avoir réussi à vaincre mes réticences. Car, quoi que je dise ou fasse, pour certaines personnes, je suis incapable de porter mon propre discours ou ma propre logique. Alors je me figeais, blessé et étonné que certains au FPI se sentent plus légitimes à vivre dignement que la majorité des militants et d’humbles dont la discipline les porte essentiellement.
Tous ceux qui gisent là croyaient suivre de vrais
chefs ; des chefs aussi capables qu'eux-mêmes
d'accepter les plus grands sacrifices.
Je trouve, en effet, scandaleux que le ministre Alain Dogou, qui a été le premier à appeler les jeunes à se constituer en bouclier humain autour de la résidence de Laurent Gbagbo, clairement menacé par les bombardements franco-onusiens, ait accepté d’entrer à la CEI sans se poser la moindre question. Sans se demander en particulier ce que sont devenus ces jeunes gens, et si montrer tant d’insouciance envers leurs douleurs servait son image.
A propos d’image, je me demande également quel genre d’explications l’on trouve au FPI pour cohabiter à la CEI avec Youssouf Bakayoko, l’homme qui ne s’est pas gêné de retrouver Alassane Ouattara dans son QG pour le proclamer élu président de la République, avant de mettre le cap sur Paris d’où il a vécu en toute sécurité les bombardements franco-onusiens. A moins que, finalement, le consensus dont il est question ne soit celui des affamés. 

Joseph Titi, éditorialiste  

 
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Source : Aujourd’hui 18 août 2014

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