Dans une tribune publiée dans Le Figaro, l'ancien
Premier ministre Dominique de Villepin s'inquiète du silence de la France
face à l'escalade de la violence entre Israéliens et Palestiniens. Il appelle
de ses vœux une interposition de l'ONU.
« Stop the killing in Gaza now ! »
« Arrêtez le massacre à Gaza
maintenant ! »
(Anonyme, Iran, 2014)
|
Lever la voix face au massacre
qui est perpétré à Gaza, c'est aujourd'hui, je l'écris
en conscience, un devoir pour la France, une France qui est attachée indéfectiblement à l'existence et à la sécurité d'Israël mais qui ne saurait
oublier les droits et devoirs
qui sont conférés à Israël en sa qualité d'État constitué. Je veux dire à tous ceux qui sont tentés par la résignation face à l'éternel retour de la guerre qu'il est temps de parler et d'agir.
Il est temps de mesurer l'impasse d'une France
alignée et si sûre du recours
à la force. Pour lever le voile des mensonges, des omissions
et des demi-vérités.
Pour porter un espoir de changement. Par mauvaise conscience, par intérêt
mal compris, par soumission à la voix du plus fort, la voix de la France s'est tue, celle qui faisait parler
le général de Gaulle au lendemain de la guerre des Six-Jours, celle qui faisait parler
Jacques Chirac
après la deuxième intifada. Comment comprendre aujourd'hui que la France
appelle à la «retenue» quand on tue des enfants en connaissance de cause
? Comment comprendre que la France s'abstienne lorsqu'il
s'agit d'une enquête internationale sur les crimes
de guerre commis des deux côtés ?
Comment comprendre que la première
réaction de la France, par la voix de son président, soit celle du soutien
sans réserve à la politique
de sécurité d'Israël ? Quelle impasse
pour la France que cet esprit d'alignement et de soutien au recours à la force.
Je crois que seule la vérité permet l'action. Nous ne construirons pas la paix sur des mensonges. C'est pour cela que nous avons un devoir
de vérité face à un conflit
où chaque mot est piégé,
où les pires accusations sont instrumentalisées.
Ayons le courage
de dire une première vérité: il n'y a pas en droit international de droit à la sécurité qui implique
en retour un droit à l'occupation et encore moins un droit au massacre. Il y a un droit à la paix qui est le même pour tous les peuples.
La sécurité telle que la recherche
aujourd'hui Israël
se fait contre la paix et contre le peuple palestinien. En lieu et place de la recherche
de la paix, il n'y a plus que l'engrenage de la force qui conduit à la guerre perpétuelle à plus ou moins basse intensité. L'État israélien
se condamne à des opérations régulières à Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie terrifiante parce qu'elle
condamne les Palestiniens au sous-développement et à la souffrance, terrifiante parce qu'elle
condamne Israël peu à peu à devenir un État ségrégationniste, militariste et autoritaire. C'est
la spirale de l'Afrique du Sud de l'apartheid avant Frederik
De Klerk et Nelson Mandela, faite de répression violente, d'iniquité et de bantoustans humiliants. C'est la spirale
de l'Algérie française entre putsch
des généraux et OAS face au camp de la paix incarné par de Gaulle.
Il y a une deuxième
vérité à dire haut et fort:
il ne saurait y avoir de responsabilité collective d'un peuple pour les agissements de certains.
Comment oublier le profond
déséquilibre de la situation, qui oppose
non deux États, mais un peuple
sans terre et sans espoir
à un État poussé par la peur ? On ne peut se prévaloir du fait que le Hamas instrumentalise les civils
pour faire oublier
qu'on assassine ces derniers, d'autant
moins qu'on a refusé de croire et reconnaître en 2007 que ces civils
aient voté pour le Hamas, du moins pour sa branche politique. Qu'on cite, outre les États-Unis, un seul pays au monde qui agirait de cette façon. Même si les situations sont, bien sûr, différentes, la France est-elle
partie en guerre en Algérie en 1995-1996 après les attentats
financés par le GIA ? Londres a-t-elle bombardé l'Irlande dans les années
1970 ?
Troisième vérité
qui brûle les lèvres
et que je veux exprimer ici: oui il y a une terreur
en Palestine et en Cisjordanie, une terreur organisée et méthodique appliquée par les forces
armées israéliennes, comme
en ont témoigné
de nombreux officiers et soldats israéliens écœurés par le rôle qu'on leur a fait jouer. Je ne peux accepter d'entendre que ce qui se passe en Palestine n'est pas si grave puisque ce serait pire ailleurs.
Je ne peux accepter qu'on condamne un peuple entier à la peur des bombardements, à la puanteur des aspersions d'«eau sale» et à la misère
du blocus. Car je ne peux accepter qu'on nie qu'il y a quelque chose qui dépasse nos différences et qui est notre humanité
commune.
Il n'y a aujourd'hui ni plan de paix, ni interlocuteur capable
d'en proposer
un. Il faut tout reprendre
depuis le début. Le problème
de la paix, comme en Algérie entre 1958 et 1962, ce n'est pas «comment
?», c'est «qui ?».
Il n'y a pas de partenaire en Palestine car les partisans de la paix ont été méthodiquement marginalisés par la stratégie du gouvernement d'Israël.
La logique de force a légitimé hier le Hamas contre le Fatah. Elle légitime
aujourd'hui les fanatiques les plus radicaux du Hamas voire
le Djihad islamique. Se passer de partenaire pour la paix, cela veut dire s'engager dans une logique
où il n'y aurait plus que la soumission ou l'élimination.
Il n'y a plus de partenaire pour la paix en Israël car le camp de la paix a été réduit au silence
et marginalisé. Le peuple israélien
est un peuple de mémoire, de fierté et de courage. Mais aujourd'hui c'est une logique
folle qui s'est emparée de son État, une logique qui conduit à détruire
la possibilité d'une solution
à deux États, seule envisageable. La résignation d'une partie du peuple
israélien est aujourd'hui le principal danger. Amos Oz, Zeev Sternhell ou Elie Barnavi sont de plus en plus seuls à crier dans le désert, la voix couverte par le vacarme
des hélicoptères.
Il n'y a plus non plus de partenaire sur la scène internationale, à force de lassitude
et de résignation, à force de plans de paix enterrés. On s'interroge sur l'utilité
du Quartette. On désespère de la diplomatie du carnet de chèques de l'Europe qui se borne à payer pour reconstruire les bâtiments palestiniens qui ont été bombardés hier et le seront à nouveau
demain, quand les États-Unis dépensent deux milliards de dollars par an pour financer
les bombes qui détruisent ces bâtiments.
Face à l'absence de plan de paix, seules des mesures
imposées et capables de changer
la donne sont susceptibles de réveiller
les partenaires
de leur torpeur. C'est au premier
chef la responsabilité de la France.
Le premier outil pour réveiller la société
israélienne, ce sont les sanctions. Il faut la placer
devant ses responsabilités historiques avant qu'il ne soit trop tard, tout particulièrement à l'heure où il est question d'une opération terrestre
de grande envergure à Gaza. Cela passe par un vote par le Conseil
de sécurité de l'ONU d'une résolution condamnant l'action d'Israël, son non-respect des résolutions antérieures et son non-respect du droit humanitaire et du droit de la guerre.
Cela signifie concrètement d'assumer des sanctions économiques ciblées et graduées, notamment pour des activités directement liées aux opérations à Gaza ou aux activités économiques dans les colonies.
Je ne crois guère
aux sanctions face à des États autoritaires qu'elles renforcent. Elles peuvent être utiles dans une société démocratique qui doit être mise face aux réalités.
Le deuxième outil,
c'est la justice
internationale. L'urgence aujourd'hui, c'est d'empêcher que des crimes de guerre
soient commis. Pour cela, il est temps de donner droit aux demandes palestiniennes d'adhérer
à la Cour pénale internationale, qui demeure
aujourd'hui le meilleur
garant de la loi internationale. C'est une manière
de mettre les Territoires palestiniens sous protection internationale.
D. de Villepin (Photo: Sebastien Soriano/Le Figaro) |
Le troisième outil à la disposition de la communauté internationale, c'est l'interposition. À défaut de pouvoir
négocier une solution,
il faut l'imposer
par la mise sous mandat de l'ONU
de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem Est, avec une administration et une force de
paix internationales. Cette administration serait soumise
à de grands
périls, du côté de tous les extrémistes, nous le savons, mais la paix exige des sacrifices. Elle aurait vocation
à redresser l'économie et la société sur ces territoires par un plan d'aide significatif et par la protection des civils. Elle aurait
également pour but de renouer
le dialogue interpalestinien et de garantir des élections libres sur l'ensemble de ces territoires. Forte de ces résultats, elle appuierait des pourparlers de paix avec Israël
en en traçant les grandes lignes.
Nous n'avons pas le droit de nous résigner à la guerre
perpétuelle. Parce qu'elle continuera de contaminer toute la région.
Parce que son poison
ne cessera de briser l'espoir
même d'un ordre
mondial. Une seule injustice tolérée
suffit à remettre
en cause l'idée même de la justice.
Dominique de Villepin
Source :
FIGAROVOX 01/08/2014
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire