J. Vergès chez lui |
20 août 2013
- 20 août 2014. Il y a un an, en l'église Saint-Thomas-d'Aquin, le père de La
Morandais célébrait les obsèques de Jacques Vergès. Aujourd'hui, plus que
jamais, le génial avocat nous manque. Sa présence nous manque, et sa voix, et
son talent, et son courage, et sa passion de la vérité. J'ai longtemps cru que
les phrases les plus bêtes jamais écrites en langue française étaient le
"Du passé faisons table rase", de "L'Internationale", et le
"Je me fous du passé, je repars à zéro", chanté par Édith Piaf. J'en
oubliais une que l'on prête à Georges Clemenceau : "Les cimetières sont
pleins de gens irremplaçables qui ont tous été remplacés." Des trois,
celle-ci est sans conteste la plus imbécile et, ce qui est beaucoup plus grave,
la plus ignoblement impie. Les êtres que nous avons aimés sont irremplaçables,
et ceux de ces êtres qui, outre à avoir été aimés, ont rendu l'humanité plus
noble, plus belle, grâce à leurs actions, à leurs œuvres, le sont plus encore
que les autres. Si l'on ne sent pas cela, on ouvre grande la porte à la
barbarie, aux formes les plus abjectes du nihilisme.
Jacques
Vergès ne sera jamais remplacé. Ni dans le cœur de celle qui l'aime d'amour, ni
dans le
cœur de celles et de ceux qui furent ses amis, ni dans les pensées de
ceux, innombrables, qui luttèrent à ses côtés pour les causes politiques, tant
en Europe que dans le tiers-monde, qu'il croyait justes. Au cimetière
Montparnasse où il repose, Jacques Vergès est entouré d'êtres irremplaçables :
Baudelaire est irremplaçable, comme le sont Cioran, Jean Seberg, Serge
Gainsbourg ou Simone de Beauvoir. Lorsqu'on a donné au monde ce qu'ils lui ont
donné, on n'a pas à craindre la mort, car on l'a à jamais vaincue.
Cette idée
que l'on peut effacer le passé, repartir à zéro, remplacer les êtres aimés ou
admirés est pire que sotte, elle est ignoble. Ce qui fonde la grandeur de
l'homme, c'est sa mémoire. Nous sommes ce dont nous nous souvenons, et c'est
pourquoi il est essentiel de ne jamais renier nos amours, nos enthousiasmes,
nos admirations, car ce sont eux qui constituent ce qu'il y a de meilleur en
nous. Les professionnels de l'oubli, les spécialistes de la page tournée sont
toujours de petits et méprisables personnages.
J. Vergès et R. Dumas sont reçus par le président L. Gbagbo en 2011 |
Vous
connaissez tous l'église Saint-Eustache, sur les marches de laquelle se déroule
une page inoubliable de la littérature française, celle où le coadjuteur, futur
cardinal de Retz, rend, aux premières pages de Vingt ans après, une
visite nocturne à un mystérieux mendiant. Eh bien, au flanc de cette magnifique
église, se trouve le musée du Barreau qui, du procès de Marie-Antoinette à
celui du maréchal Pétain, est le Mémorial des avocats qui, dans les temps les
plus troublés de l'histoire de France manifestèrent pour leur beau métier une
passion qui parfois leur coûta la vie. Jacques Vergès y aura sa place, il l'a
déjà. Vivant, il faisait l'histoire. Mort, il y est entré pour toujours.
Gabriel Matzneff
Source :
Le Point.fr 20 août 2014
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