Né en Guinée Bissau, devenu ingénieur agronome au Portugal,
Amilcar Cabral fonda le PAIGC (Parti Africain pour l'Indépendance de la Guinée
et du Cap Vert), le parti de libération de la Guinée, avant d'être assassiné en
Guinée Conakry en 1973.
Amilcar Cabral est né le 12 septembre 1924 à Batafa, en Guinée
Bissau, qui est alors une colonie portugaise. Il est le fils de Juvénal Cabral
(originaire du Cap-Vert), enseignant dans une école élémentaire. Sa mère, Iva
Pinhel Evora travaille comme couturière pour aider la famille. Bon élève,
Cabral achève ses études secondaires en 1943, à Mindelon, sur l’île de San
Vincente.
En 1945 il obtient une bourse et va poursuivre des études
d’agronomie à Lisbonne, la capitale du Portugal où il restera jusqu’en 1952.
D’une personnalité attrayante et ouverte, Cabral se fait facilement des amis et
rencontre à Lisbonne un certain nombre de personnes qui joueront plus tard un
grand rôle dans les luttes d’indépendance de l’Afrique australe et lusophone.
Il s’agit notamment de Mario de Andrade, d’Agostinho Neto, de Viriato Da Cruz
(qui deviendra le 1er secrétaire du MPLA), d’Eduardo Mondlane (fondateur du
Frelimo), Marcelino Dos Santos, Vasco Cabral...etc
Cabral profite de ces années pour ouvrir ses horizons, lire et
réfléchir sur la condition des africains. Cabral et ses amis sont aussi
influencés par les idées « révolutionnaires » de par leurs lectures
et leurs rencontres. En 1949, Cabral retourne au Cap Vert pour des travaux
d’été, donne plusieurs conférences et commence à avoir pour leitmotiv de rendre
les Cap-Verdiens conscients des problèmes auxquels leur société fait face. Il
est pour lui essentiel que l’homme de la rue soit éduqué, bien informé. Une
avant-garde intellectuelle doit se créer pour faire sortir de l'ignorance ceux
des Cap Verdiens qui y sont. Mais les autorités coloniales portugaises lui
interdisent vite de donner des conférences. De retour au Portugal, Cabral se
met en relation avec d’autres étudiants issus des colonies portugaises, et
entreprend une quête identitaire, la « réafricanisation des esprits ».
Cette quête se matérialise par la création du « Centro de Estudos
Africanos » (Centre des Etudes Africaines), un centre qui joue un rôle non
négligeable dans la formation des futures organisations politiques des colonies
portugaises.
En 1950, Cabral est diplômé d'agronomie et commence une période
d'apprentissage au centre d’agronomie de Santarem. En 1952, il retourne en
Guinée Bissau pour les services de l'agriculture et des forêts de Guinée
portugaise. Le retour de Cabral en Guinée Bissau n’est pas dû au hasard. Il a
en effet eu la possibilité de travailler dans d'autres colonies portugaises et
au Portugal. Mais il a une idée en tête : contribuer à l’amélioration des
conditions de vie de son peuple, et mettre fin à la domination coloniale
portugaise. Il dirige rapidement le centre agronomique de Bissau.
En 1953, Cabral entreprend le recensement agricole de la Guinée,
un travail colossal grâce auquel il s’imprégne de la réalité profonde du pays,
ce qui lui permettra aussi plus tard de mettre en place une stratégie de
mobilisation adaptée à la vie en Guinée Bissau.
En 1955, le gouverneur lui demande de quitter la Guinée Bissau et d’aller
travailler en Angola. Cabral en profite pour prendre contact avec les groupes
et les formations qui formeront le futur MPLA (Mouvement pour la Libération de
l’Angola). En 1956, il est de retour et effectue des travaux agronomiques
considérables sur la culture de la canne à sucre et le coton. Le 19 septembre
1956 Cabral et cinq de ses compagnons parmi lesquels Luiz Cabral, son
demi-frère (futur président de la république de Guine-Bissau), Aristide
Perreira (futur président de la république du Cap-Vert), Abilio Duarte (futur
ministre et président de l’Assemblée nationale du Cap-Vert) fondent le parti
africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC). La Guinée
est alors régie par le code de l’Indigénat qui établit une discrimination
raciale de fait. Le parti fondé par Cabral est une organisation clandestine qui
ne va acquérir de statut légal que quatre ans plus tard lorsqu’une délégation
du PAIGC à Conakry, dans la Guinée de Sékou Toure.
En novembre 1957 Cabral rencontre à Paris Viriato Da Cruz, Mario
De Andrade, et Marcelino Dos Santos, pour faire le point sur l’évolution de la
lutte dans les colonies portugaises. Puis Cabral organise clandestinement le
PAIGC en Guinée. Le parti se concentre d’abord sur la population urbaine, qu’il
considère à cette époque comme le moteur de la révolution, en créant des
cellules clandestines et un mouvement syndical. Le 3 août 1959, le PAIGC
connaît une défaite importante puisqu’une grève d’ouvriers est réprimée (une
cinquantaine de victimes) et une grosse partie de l’infrastructure du parti est
démantelée. Cabral décide alors de réorganiser le PAIGC en mobilisant
prioritairement les campagnes. C’est un grand changement dans l’orientation
du parti qui provient de l’observation des réalités du terrain, de la prise
en compte des revers subis et d’une meilleure connaissance du processus des
luttes de libération.
En janvier 1960, Cabral assiste à la seconde conférence des
peuples africains à Tunis, et se rend à Conakry en mai. Il se rend également à
une conférence internationale à Londres en juin où il dénonce pour la première
fois publiquement le colonialisme portugais (cette dénonciation sera publiée en
Angleterre sous le titre de « Facts about portuguese colonies »,
signée sous son pseudonyme, Abel Djassi). Il affirme cependant clairement,
comme il le fera tout au long des années de bataille qu’il se bat contre le
système colonial instauré par le Portugal, et non contre le peuple portugais. A
la même époque, le FRELIMO (Front de Libération du Mozambique) est créé.
Au début des années 60, le PAIGC opère à partir de la république
de Guinée Conakry. Il prépare les militants et les membres du parti à étendre
son action en Guinée-Bissau afin de continuer à construire les cellules et
l’infrastructure clandestines. Il cherche également à obtenir le soutien des
pays voisins (Guinée Conakry, Sénégal). En 1962, il se rend à l’ONU à New-York
afin de présenter un mémoire sur le colonialisme portugais en Guinée.
En 1963, la guérilla éclate avec une attaque du PAIGC dans le
sud de la Guinée Bissau. Le PAIGC met en place un front nord en juillet, ce qui
oblige les portugais à se battre sur deux fronts. Rapidement, le PAIGC contrôle
le sud du pays. L’année suivante, Cabral préside un congrès du PAIGC en région
libérée, puis en mai participe à un séminaire organisé par le centre Frantz
Fanon de Milan où son analyse et ses interventions commencent à le faire
connaître. En 1964-1965 le PAIGC met en place dans les régions libérées de
nouvelles structures politico-administratives.
C’est en janvier 1966 que Cabral participe à la conférence
tricontinentale de La Havane où est créée l'organisation de solidarité des
peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine. Cette conférence marque
l’accession de Cabral comme dirigeant révolutionnaire majeur en Afrique et
grande figure de la révolution dans les pays du tiers monde. Son intervention
analyse la naissance, les objectifs et le développement des luttes de
libération dans le tiers-monde. Il analyse également le rôle ambivalent joué
par la bourgeoisie, qui est à la fois « agent du colonialisme et agent de
la révolution ». Pour Cabral, cette petite bourgeoisie « doit être
capable de se suicider comme classe pour renaître comme travailleurs
révolutionnaires, entièrement identifiée aux aspirations les plus profondes du
peuple auquel elle appartient. »
En 1968, le PAIGC contrôle les deux tiers de la Guinée-Bissau, a
renforcé son infrastructure politique et administrative (création de « magasins
du peuple » pour fournir les populations libérées en produits de première
nécessité), ainsi que de brigades mobiles chargées d’encadrer la population. Le
PAIGC met en place dans certaines régions les bases d’une structure étatique
(création d’écoles, amélioration de postes sanitaires, amélioration de la
condition féminine…). Cabral élabore déjà le processus qui quatre ans plus tard
amènera la Guinée Bissau à proclamer unilatéralement son indépendance.
A partir de 1969 Cabral mène une intense activité diplomatique :
en janvier il se rend au Soudan où se tient une conférence de solidarité avec
les peuples des colonies portugaises. En avril, il est devant la commission des
Droits de l’homme de l’ONU où il dénonce une fois de plus le colonialisme
portugais. Il est de retour sur le terrain à Conakry en novembre où il dirige
un séminaire de formation des cadres du PAIGC. Il traite notamment des
problèmes de l’héritage magico-religieux des sociétés africaines, du poids des
croyances du passé et de l’emprise des mentalités traditionnelle, notamment
sous l’angle de la magie.
Les portugais devant l’ampleur de l’avancée militaire et de
l’activité diplomatique de Cabral ont entrepris de réagir en déployant de gros
moyens militaires, en africanisant la guerre par incorporation massive
d’africains dans les troupes portugaises, en accordant des promotions aux
élites traditionnelles qui collaborent avec eux. Les portugais entreprennent
également d’améliorer les conditions sociales des habitants de Guinée Bissau
afin que ceux-ci leur soient plus favorables (distribution de riz à rendement
élevé, mise en valeur des terres, construction d’écoles et de postes
sanitaires…).
Le PAIGC réussit malgré tout à conserver ses positions et Cabral
est toujours sur le front international pour faire connaître son combat. En
février 1970, il séjourne à l’université de Syracuse à l’occasion d’une réunion
en la mémoire d’Eduardo Mondlane, dirigeant du Frelimo, assassiné un an
auparavant. Cabral prononce un discours sur la lutte de libération en tant que
fait et facteur de culture. Puis se rend au siège des Nations-Unies à
Washington, puis devant la commission des affaires étrangères du congrès
américain.
En avril, il se rend à Moscou à l’occasion de la commémoration
du centième anniversaire de la naissance de Lénine. En juin, il est à Rome où
il participe à la « conférence de solidarité avec les peuples des colonies
portugaises. » A la fin de la conférence, Cabral, Marcelinho Dos Santos et
Agostinho Neto sont reçus par le Pape Paul VI. Le 22 novembre, le gouvernement
de Guinée Bissau lance un commando pour capturer ou assassiner les leaders du
PAIGC, mais celui-ci échoue. En avril 1971, Cabral est à Stockholm, en juin à
Addis-Abeba à l’occasion à l’occasion de la conférence des chefs d’Etat et des
gouvernements africains. En août, il se rend à Dublin, à Helsinki (où il est
reçu par le président de la république finlandaise), à Londres où il est reçu
par le secrétaire général du parti travailliste. Il donne une conférence de
presse à la chambre des communes.
En février 1972 il prend la parole lors de la 163ème session du
conseil de sécurité de l’ONU, et invite les Nations-Unies à envoyer une mission
d’observation dans les territoires libérés. L’activité diplomatique extrêmement
importante de Cabral vise à faire proclamer l’indépendance dans les territoires
passés sous contrôle du PAIGC. Misant sur la renommée internationale acquise
par la lutte du PAIGC grâce à ses efforts sur la scène internationale, Cabral
veut passer au stade de l’indépendance effective, et déclencher ainsi la chute
finale du colonialisme portugais.
Une mission des Nations-unies se rend effectivement sur le
terrain dans les régions libérées du sud de la Guinée du 2 au 8 avril 1972. Et
son rapport amène les Nations unies à considérer le PAIGC « comme véritable et
légitime représentant des peuples de la Guinée et du Cap-Vert ». Un peu plus
tard, l’assemblée générale de l ‘ONU demandait aux Etats, gouvernements,
organisations nationales et internationales de renforcer leur aide au PAIGC et
de traiter exclusivement avec lui des problèmes concernant la Guinée-Bissau et
le Cap-Vert. La stratégie menée par Cabral et ses alliés portait donc ses
fruits.
Par la suite le conseil de sécurité de l’ONU adoptait à
l’unanimité une résolution condamnant le colonialisme portugais en demandant
que cessent les guerres coloniales et que les troupes d’occupation soient
retirées et des négociations ouvertes. Fin août 1971, le conseil supérieur de
la lutte (l’organe dirigeant du PAIGC) décide de préparer les conditions pour
une élection au cours de l’année 1972, afin de constituer la première assemblée
populaire de Guinée-Bissau. Quelques mois plus tard, les représentants de
l’assemblée nationale populaire sont élus (273 conseillers régionaux et 120
membres de l’assemblée nationale populaire). Un mois plus tôt, une délégation
du PAIGC, menée par Cabral s’était rendue en Asie (Japon, Chine et Corée du
Nord), puis en octobre Cabral avait pris la parole devant la quatrième
commission de l’assemblée générale de l’ONU.
Le 20 janvier 1973, à quelques mois de la proclamation de
l’indépendance, un coup de tonnerre survient : Amilcar Cabral est assassiné à
Conakry ! Les assassins sont des membres de son parti, le PAIGC, originaires de
Guinée qui auraient commis le meurtre, espérant que les Portugais leur
donneraient l'indépendance à la condition que les Cap-Verdiens soient écartés
de la direction du PAIGC.
Source : AFRICAN DREAM 17
Juin 2008
AMILCAR
CABRAL ET LA CONTRIBUTION DU PAIGC AUX MOUVEMENTS DE LIBÉRATION NATIONALE
PAR GERARD CHALIAND, POLEMOLOGUE
Le recul du temps restitue ou
confère aux êtres comme aux œuvres leur place, au-delà des engouements
particuliers et circonstanciels d'une époque. Nous regardons déjà l'époque,
exaltante à bien des égards, des mouvements de libération nationale dirigés
contre le colonialisme qui s'étend, pour l'essentiel, de 1945 à 1975 et qui a
profondément modifié la carte du monde comme appartenant déjà au passé.
Rétrospectivement, la figure d'Amilcar Cabral, tenu dès le milieu des années
soixante comme un dirigeant de grande valeur par des secteurs de l'opinion
relativement spécialisés, apparaît aujourd'hui, non seulement à l'échelle du
continent africain mais à celle du tiers monde, comme exemplaire et sans cesse
grandissante.
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A. CABRAL au FRONT |
L'histoire contemporaine n'a
pas manqué de personnages flamboyants, de dirigeants protestataires ou
charismatiques souvent quasi négligés dès leur disparition de la scène ou du
pouvoir. Il y a eu, au cours des décennies soixante et soixante-dix, des
personnalités politiques ou des dirigeants plus prestigieux dont la célébrité a
été, bien souvent, liée aux mythes révolutionnaires ou aux engouements
romantiques d'une époque. Avec le recul du temps et une plus juste appréciation
de ce qui a été effectivement accompli, il est hautement probable qu'en tant
que dirigeant révolutionnaire, Amilcar Cabral occupe en Afrique la première
place. A l'échelle du tiers-monde, il est de ceux, guère plus nombreux que les
doigts d'une main, qui, par la réflexion et l'action, la rigueur intellectuelle
et l'aura de leur personnalité, ont laissé un héritage qui, à condition de
n'être pas momifié, continuera à être source d'inspiration.
Dans le cadre d'une
problématique qui se situe dans la mouvance marxiste, il convient de souligner
chez Cabral l'absence quasi totale de dogmatisme et d'idéologisation au sens
péjoratif du terme. C'est-à-dire au sens où les réalités sont considérées comme
trop contraignantes pour qu'on en tienne compte, tandis que l'idéologie, de
façon ultra-volontariste, s'efforce de ployer les hommes et les faits. Devant
l'inévitable échec de cette tentative, les idéologues préfèrent blâmer les
réalités plutôt que critiquer leurs propres aberrations. A cet égard, Amilcar Cabral
n'a cessé d'être un pragmatique, tenant compte des héritages historiques, de la
complexité sociale et des facteurs culturels.
S'il a tendu, selon moi, à
surestimer les capacités (ou la possibilité) de la petite bourgeoisie ou d'une
fraction de celle-ci à « se suicider en tant que classe », il a été à
contre-courant du conformisme révolutionnaire établissant comme catéchisme la
prééminence du prolétariat — au moins telle qu'il s'exprime dans les Congrès —
un des premiers à souligner le rôle moteur des éléments d'origine
petite-bourgeoise des pays colonisés dans la lutte de libération. Cabral s'est efforcé
de partir des réalités locales afin d'y adapter la stratégie du PAIGC. Je ne
rappelle que pour mémoire son analyse de la société guinéenne et la
connaissance concrète du terrain que celle-ci impliquait. Cela paraît
fondamental si l'on se souvient des nombreuses directions révolutionnaires, en
Amérique latine, en Afrique et au Moyen-Orient, qui se sont contentées
d'appliquer mécaniquement des analyses abstraites, des programmes ronflants,
et qui n'ont pu très longtemps dissimuler leurs échecs derrière des slogans.
Rares ont été en fait, au
cours des dernières décennies, les dirigeants capables de penser une lutte en
produisant une contribution intellectuelle sérieuse résistant à l'épreuve du
temps tout en animant et en organisant un parti et une guerre de libération
nationale.
Après avoir constaté, au cours
de l'année 1959, les carences et la fragilité d'une stratégie axée sur les
villes, Amilcar Cabral et le PAIGC tirent les leçons de l'échec consécutif à la
répression de Pidjiguitti et s'orientent vers la préparation d'une guérilla
rurale. A une époque où l'Amérique latine, de 1959 à 1967, reste fascinée par
la théorie erronée du « foco » qui prétend entamer et mener à bien la lutte de
libération sans préparation politique et sans encadrement des masses, Cabral et
le PAIGC appliquent de façon adaptée aux conditions de la Guinée les principes
de la guerre révolutionnaire. Ecole de formation de cadres ; patient travail au
cours des années 1960-62 pour jeter les bases d'une infrastructure politique
clandestine à l'intérieur de la Guinée. D'emblée, la lutte armée en 1963-64
est menée à l'intérieur du pays, tant au sud qu'au nord, et ne ressemble pas à
tant d'autres luttes, en Afrique et ailleurs où l'on se contente de mener des
opérations de commandos plus ou moins fugaces à partir de frontières voisines.
A cet égard, l'effort
fondamental du PAIGC est qu'il est le premier mouvement de libération à
l'échelle de l'Afrique à instituer dans les régions contrôlées des hiérarchies
parallèles. Une fois la phase initiale de l'implantation réussie, le PAIGC fait
procéder à l'élection de comités de village qui, par leur existence même, sont
la négation de l'ordre colonial.
Ces comités de villages — et
j'en ai vu un bon nombre lors de ma visite au maquis en compagnie
|
A. CABRAL ET L'ENFANT |
d'Amilcar
Cabral en mai-juin 1966 — prenaient en charge l'ensemble des problèmes
économiques, sociaux et militaires du village. Le PAIGC fournissait, dans la
mesure de ses moyens, les instituteurs, les infirmiers ou infirmières ainsi que
les magasins du peuple. Je voudrais rappeler ici que ces comités de villages
étaient composés de 5 membres élus, dont obligatoirement 2 femmes.
Je regrette, à cet égard,
qu'il n'y ait pas dans la liste déjà substantielle des contributions à ce
symposium de thème traitant du problème des femmes et de leur émancipation.
Amilcar Cabral y avait toujours accordé une place importante bien avant que le
mouvement féministe dans le monde d'aujourd'hui ait pris l'importance qu'il a.
Bien des jeunes filles qui refusaient le mariage forcé ont eu recours au parti
durant la lutte et tout au long de celle-ci leur contribution a été non
négligeable — en particulier sur le terrain de la production mais aussi comme
infirmières, combattantes et cadres supérieurs.
Pour la période 1963-1974, le
PAIGC est l'exemple majeur d'une guérilla réussie à l'échelle du continent
africain. Plusieurs généraux portugais se sont cassé les dents en Guinée. C'est
que le PAIGC n'a manqué ni d'organisation, ni de cadres dévoués et que le
travail politique a toujours été considéré comme plus important encore que la
lutte militaire. Ainsi une partie non négligeable de la population rurale
a-t-elle été mobilisée, encadrée et organisée. J'ajouterai que Cabral a été un des
très rares dirigeants au sein du tiers monde à ne pas évacuer les problèmes des
faiblesses et insuffisances des mouvements de libération. Trop souvent, en
effet, tout ce qui est négatif est commodément attribué au colonialisme. Or
prendre son destin en main c'est aussi voir et corriger ses carences.
Quand, avec la
contre-offensive menée avec énergie par le général Spinola, commence vers 1970
la période du relatif équilibre des forces où le PAIGC ne progresse que peu
compte tenu des conditions géographiques, sociales et militaires, Amilcar Cabral
a le talent stratégique et l'imagination de déplacer la guerre sur le plan
diplomatique. En œuvrant pour la reconnaissance de la souveraineté de la
Guinée-Bissau — encore occupée — par le truchement de l'élection d'une
Assemblée populaire dans les régions libérées par le PAIGC. Après l'assassinat
d'Amilcar Cabral, le PAIGC procède à ces élections et obtient, fait unique à
l'époque dans les annales des mouvements de libération, la reconnaissance de
plus de 90 Etats.
Les succès du PAIGC sont
nombreux. Ses échecs, rares. L'échec politique et stratégique majeur d'Amilcar
Cabral et des quelques cadres qui commencèrent la lutte est d'avoir tenté de
lier la lutte du Cap-Vert et celle de la Guinée. Non point que cette liaison,
généreuse autant que dictée par les circonstances, n'ait mené à l'indépendance
la Guinée et le Cap-Vert. Mais en tant que pari optimiste sur une fusion
éventuelle du destin des deux pays, il s'est heurté tant lors de l'assassinat
d'Amilcar Cabral qu'au lendemain du coup d'Etat de 1980 en Guinée au même
mélange de préjugé qu'on ne peut appeler autrement que raciste et de
nationalisme étroit. Peut-être ne pouvait-il en être autrement dans le cadre
d'une époque de plus en plus portée à jalousement exalter l'identité et la
différence ?
Cela, cependant, n'enlève rien
à l'exemplarité de la lutte de libération menée par le PAIGC — ni à l'héritage
d'Amilcar Cabral — qui restent des contributions majeures de l'Afrique à
l'histoire contemporaine.
Gérard
Chaliand
(Intervention
lors du Symposium international Amilcar Cabral, Praia, Cap-Vert 17-20 janvier
1983 ; in « Pour Cabral », Présence africaine 1987).