lundi 21 janvier 2013

MALI, NOUVEL AVATAR DE LA FRANÇAFRIQUE

Ainsi, Cassandre avait raison ! La guerre africaine de François Hollande a bien commencé au Mali. Pendant que stratèges, politiques et humanitaires se mobilisent sur le Moyen-Orient et la Syrie, c'est en Afrique que la France intervient. Laissons tomber quelques instants, pour une analyse sereine, le pesant catéchisme diplomatico-communicationnel, qui veut que c'est « en appui de », « à la demande de », que la France est intervenue !
« En appui » de quoi ? Comme pour d'autres interventions, le schéma de la diplomatie française était bien, par le biais des régimes relais, de mobiliser la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), l'Union africaine, l'ONU dans un savant crescendo de demandes, déclarations et résolutions légitimant l'intervention militaire. Cette dernière aurait eu pour fer de lance les forces tchadiennes habituées du désert, les corps du Nigeria et du Sénégal, et des contingents régionaux. La réalité était déjà tout autre : des forces spéciales françaises, dirigées depuis Ouagadougou, étaient à pied d'œuvre au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie et même au Mali ! L'avancée surprise de colonnes de pick-up de plusieurs milliers de djihadistes fonçant vers Mopti et Bamako a dissipé cet écran de fumée médiatique, cette légende diplomatique et cette esquisse de « coalition » internationale.
Autant pour les naïfs voulant distinguer les « bons islamistes » d'Ansar Eddine des « mauvais » d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ou autre Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ! Echec à Ouagadougou, confusion à Bamako, erreurs d'analyse à Paris : le bilan d'un an d'action au Mali et au Sahel semble très mitigé ! Les scénarios de crises s'écrivent à partir de schémas logiques dépassés : trop souvent, militaires, diplomates ou humanitaires oublient la politologie africaine, la longue durée, les structures sociales (ainsi la segmentarité touareg et ses incessants retournements d'alliance) qui sous-tendent les conflits.
Alors que le pouvoir se fait une image négative, criminalisée, instrumentalisée de ses ennemis, je n'ai jusqu'ici lu aucune analyse en termes de religions, de cycle de pouvoirs, d'islamisation de longue durée et sur de grands espaces touchant le Sahel (et jusqu'à la Côte d'Ivoire !) : le philosophe arabe Ibn Khaldoun donnait ces clefs au... XIVe siècle ! L'historien Lucien Febvre (1878-1956) avertissait déjà d'étudier une crise religieuse comme celle de la Réforme en termes religieux, autour du sacré et du politique, et non sous l'angle d'un confus et très bushien « terrorisme international » !
Laissons de côté les cycles séculaires de corruption, et demandons-nous où pèchent dans le Mali contemporain les raisonnements en termes de « renseignement militaire ». L'intervention indirecte a échoué, ainsi que la négociation ; « jouer les Touareg » du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), pour « liquider AQMI », puis séparer Ansar Eddine des autres mouvements islamistes ont été deux manipulations manquées, laissant le nord du Mali aux mains de mouvements réunifiés et conquérants.
Intervenir à Bamako, sans mandat, pour détruire le pouvoir du capitaine Sanago et disperser islamistes et Touareg dans tout le Sahel risquent d'être deux erreurs majeures encore à venir. Mais pouvait-on faire autrement, autour de Mopti ? Evidemment non, et on ne peut qu'approuver le coup de semonce contre une armée islamiste qui semble vouloir conquérir et sans doute mettre à feu et à sang le sud et la capitale !
Mais pourquoi en est-on réduit à cette approbation forcée ? Nous ne pourrions approuver un interventionnisme massif qui se profile à Tombouctou, Kidal ou Gao et encore moins à Bamako, ce qui provoquerait une guerre civile et des massacres urbains. La volonté de faire un « double coup d'Etat » (au nord et dans la capitale) serait hasardeuse, la société civile, politique et même religieuse étant très divisée...
Par ailleurs, l'intervention, une fois de plus, n'a pas un « habillage » juridique convaincant, ni du côté de l'ONU, ni du côté malien : un pays qui n'a pas d'accord de défense ne peut être représenté par un président intérimaire sans grande légitimité ! Faire apparaître Dioncounda Traoré comme un président fantoche porte-voix des intérêts occidentaux et français pourrait se révéler un jeu fort dangereux.
Et plus dangereux encore serait une intervention française massive. D'une part, la « déclaration de guerre » aux mouvements islamistes locaux (doublée d'un raid manqué en Somalie) constituerait le territoire français comme une cible privilégiée de djihadistes de toutes obédiences. D'autre part, une extension d'une nouvelle « guerre nomade » au Sahel serait catastrophique : qui pourrait nourrir et soigner des dizaines de millions de déplacés et réfugiés en plein Sahel ? Bamako et Bangui sont les pierres de touche de la volonté de François Hollande « d'en finir avec la Françafrique », mantra de chaque nouveau régime français. La France est bien en retard d'une décolonisation, seul pays à entretenir des bases militaires permanentes depuis les indépendances et à intervenir régulièrement sur le continent – ce qui n'est pas une fatalité : une expédition militaire britannique est impensable par exemple au Kenya ou au Zimbabwe ! D'autres alliances sont pourtant possibles : avec les nationalistes, les démocrates anti-dictatures, la jeunesse urbaine, l'intelligentsia transnationale, et même les mouvements de lutte panafricains : ceux qui sont identifiés comme des ennemis... peuvent bien être à terme des alliés potentiels ! La fin des despotismes et des dictatures longtemps soutenus par les réseaux français, la contagion peut-être d'un « printemps africain » pourraient, si l'on en a la volonté politique, marquer l'ère du gouvernement de François Hollande : à condition que les socialistes fassent l'effort de penser la nature des régimes africains, qu'ils retirent les bases militaires, et dénoncent la corruption et les violences. Les bases d'une démocratisation de l'Afrique sont connues, en aura-t-on le courage ? A ce prix, d'un retournement stratégique, pourra se poser une nouvelle alliance entre la France et l'Afrique. Et décoloniser enfin les esprits.

Michel Galy

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Source : Le Nouveau Courrier 19-20 Janvier 2013

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