lundi 28 janvier 2013

« La "disparition" du patriote ivoirien Victor Biaka Boda. Plaidoyer pour libérer sa dépouille mortelle »

de Devalois Biaka, L'Harmattan, Paris 1993.


Introduction

 
Le sénateur V. Biaka Boda
Je ne connais pas bien le Sénateur Victor Biaka Boda. Je me souviens vaguement de la grande affluence d'hommes, de femmes, de jeunes et d'enfants qui envahissaient la concession de mon père, Chef de village, dans les années 40 et 50, pour voir et écouter un grand commis appelé Victor Biaka Boda dont les visites à Dahiépa,  son village natal, étaient épisodiques, pour ne pas dire rares en raison sans doute de ses responsabilités politiques en Côte d'Ivoire et surtout au Sénat français. Tout le monde disait qu'il luttait pour chasser les colons  blancs de la Côte d'Ivoire où venait d'être créé un parti pour l'émancipation politique: le PDCI-RDA.
Je ne voudrais pas m'étendre sur l'accueil réservé dans ma région natale au PDCI-RDA. Qu'il me soit cependant permis d'écrire que le village de Victor Biaka Boda était le principal forum où furent organisés par les leaders de ce parti les grands meetings de sensibilisation des populations rurales du canton Gbadi. Des slogans « vive le RDA ! », « vive Houphouët ! » résonnent encore dans ma mémoire. Il y avait plusieurs partis politiques dont les deux principaux étaient le PDCI-RDA dirigé par Félix Houphouët-Boigny et le parti progressiste S.F.I.O. de Dignan Bailly.  Il est inutile d'insister sur le militantisme parfois violent des partisans et adversaires de ces deux partis. Un détail mérite cependant d'être mentionné : mon village considéré comme bastion du PDCI-RDA, en état d'alerte permanente, était victime d'agressions extérieures commanditées par les partisans de Dignan Bailly.
Nous en étions là lorsqu'un soir, des rumeurs faisant état de la « disparition » de Victor Biaka Boda envahirent Dahiépa. Ma famille, directement concernée par la mauvaise nouvelle, fut plongée dans une profonde tristesse. Des femmes et des filles se jetaient à terre dans un tintamarre de lamentations incessantes qui durèrent environ une semaine.
Brusquement, une atmosphère de terreur plana sur mon village. On chuchotait qu'il était interdit de parler de Victor Biaka Boda, de sa « disparition » et de le pleurer sous peine de sanctions sévères pouvant aller jusqu'à la peine capitale. Le nom de Victor Biaka Boda devint tabou. Aucun Responsable du PDCI-RDA ne vint dans le canton Gbadi pour donner des informations précises sur ce qui était arrivé à Victor Biaka. Avait-il « disparu » ou était-il réellement mort ? Pourquoi le PDCI-RDA restait-il muet ? Pourquoi Antoine Dépri Domoraud, fils adoptif de Victor Biaka Boda, n'était-il pas venu à Dahiépa pour donner des explications et apaiser les inquiétudes ? Autant de questions auxquelles nul ne pouvait donner des réponses exactes.
Quelques mois plus tard, des langues se délièrent. La certitude de la mort de Victor Biaka Boda se précisa. Comment était-il mort ? Mystère ! S'il était mort, où se trouvait sa dépouille mortelle ? Mystère et silence complet !
Mon imagination d'enfant fut frappée par deux faits : l'interdiction de pleurer un grand militant et l'indifférence totale des dirigeants du PDCIRDA au sujet de sa « disparition ». Une voix intérieure, celle qui m'a toujours parlé pendant les moments de détresse, m'incita à rechercher la vérité sur la mort du Sénateur. J'ai parcouru la Côte d'Ivoire et l'Europe en quête de cette vérité.
L'Histoire est ainsi faite qu'elle s'évade toujours lorsque les dictateurs la séquestrent. Nul ne peut cacher longtemps la vérité.
Depuis 1950, l'affaire Victor Biaka Boda est frappée du sceau du secret par Houphouët-Boigny. A telle enseigne que la majorité des Ivoiriens ignorent l'homme Biaka Boda, c'est-à-dire le citoyen, le nationaliste et son combat politique, les conditions de sa mort tragique et le sort réservé à sa dépouille mortelle.
Le présent plaidoyer étayé de documents d'archives joints en Annexes, est le résultat de longues recherches commencées en 1967 alors que j'étais encore un jeune lycéen. Son but est d'informer le peuple ivoirien et la communauté internationale des conditions dans lesquelles le Sénateur Victor Biaka Boda a trouvé la mort à Bouaflé, dans la nuit du 27 au 28 Janvier 1950. Je voudrais ainsi apporter toute la lumière sur le vrai combat et l'assassinat d'un nationaliste qui a dit Non au colonialisme et dont la mémoire a été effacée par Houphouët-Boigny et son équipe pour faire prévaloir leur propre prestige.
Mais l'impérieux devoir commande notamment que le problème de la libération de la dépouille mortelle du Sénateur Victor Biaka Boda soit posé. Ayant épuisé en Côte d'Ivoire tous les recours discrets et pacifiques, auxquels la dictature a toujours répondu par le mépris, je suis amené à soumettre à l'opinion nationale et internationale, la question de ses restes mortels séquestrés depuis plus de quarante ans par les forces du mal.
Les souffrances infligées par Houphouët-Boigny et ses collaborateurs à la région natale de Victor Biaka Boda, la mort de son fils aîné Guy-César Biaka Boda fauché en pleine jeunesse, s'inscrivent dans la logique d'une haine implacable qui dépasse le cadre politique.
Quel «crime» Victor Biaka Boda a-t-il commis contre la Côte d'Ivoire pour mériter la mort, l'oubli et l'opprobre d'une non-sépulture ? Sa biographie retracée à partir des témoignages et des archives de Côte d'Ivoire et du Sénat français peut répondre en partie à cette question.

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