lundi 28 janvier 2013

Il y a 63 ans, le 28 janvier 1950, « disparaissait » le sénateur Victor Biaka Boda, un parmi nos 60 martyrs (chiffre officiel) de cette époque héroïque.

Le Démocrate, journal du PDCI-RDA dans sa livraison du 13 juillet 1950 dénonce la répression qui frappe la colonie et cible les responsables. Ce qui lui vaut un procès pour atteinte à l’honneur et à la considération de m. le gouverneur Péchoux et diffusion de nouvelles fausses de nature à troubler la paix publique. Accusation que rejette naturellement le journal qui voit plutôt dans les événements qui se succèdent une planification orchestrée par le gouvernement pour détruire le RDA. « Ainsi tout s’explique, écrit le journal, l’interdiction du congrès de Bobo-Dioulasso, les grandes forces policières lors de la tenue de le tenue de ce congrès à Abidjan, les sanglantes provocations du 6 février, les fusillades de Palaka, de Bouaflé, les tueries de Dimbokro, d’Affery, d’Agboville, de Séguela, etc. ». Il en est de même de la tenue de la première conférence « du Comité dit de défense de l’Afrique centrale au lendemain des événements du 6 février, les discours grandiloquents et provocateurs du sieur Coste-Floret ». Le journal cite en outre « la circulaire qui subordonne cyniquement le judiciaire à l’exécutif, les fanfaronnades des proconsuls jouant au Néron et au Napoléon ; les non moins imbéciles attitudes de leurs acolytes noirs aidant à s’enchaîner eux-mêmes ; les coups de fusil et de revolvers que l’on tire avec une facilité surprenante : tout cela prouve que le gouvernement veut, à la faveur de provocations policières, "détruire le RDA". Ses hommes de main ne s’en cachet pas ».
de tout ce qui a été écrit par e journal seuls les passages suivants ont fait l’objet de la plainte. « Et comme à Madagascar, les gros planteurs, les gros directeurs des banques et des grandes maisons de commerce, les hauts fonctionnaires déclarent qu’il fallait dix mille morts pour éclaircir la situation… Toute la machination de la sanglante répression a été montée à Paris sur l’instigation et avec l’encouragement des colonialistes ». Cette plainte était au demeurant inutile puisque aussi bien Paul Béchard que Laurent Péchoux allaient eux-mêmes confirmer les faits et de surcroît être confondus par les déclarations de l’ancien gouverneur Orselli devant la commission d’enquête parlementaire sur les incidents survenus en Côte d’Ivoire.
Sur l’origine, l’ampleur et l’extension des événements qui ont ébranlé la Côte d’Ivoire, nous avons plusieurs témoignages dont celui de Ouezzin Coulibaly contenu dans un document distribué lors de la conférence de presse qu’il tient à Paris  le 19 octobre 1951 sur le procès de Grand-Bassam. En ce qui concerne « l’origine des incidents qui ont commencé d’ailleurs avant 1949, on la trouve dans l’opposition à l’émancipation des Africains manifestée par le colonat et le gros commerce. Ces derniers, en effet, entendent demeurer les maîtres et les bénéficiaires quasi exclusifs de la production ivoirienne ». Quant à l’ampleur et l’extension des événements, il rappelle que « la plupart des incidents ont pour cause immédiate un affrontement entre des membres du PDCI et des adhérents des petits partis soutenus par l’administration et parfois animés par des hommes qui ont quitté le PDCI. Il sen suit des querelles, violences diverses, pillages, destructions et incendies, mesures d’intimidation, arrestations de membres du PDCI qui entraînent des manifestations pour obtenir la libération des détenus et dans les cas les plus graves, d’opérations de forces de police faisant des morts et des blessés ».
Au cœur de ce processus répressif se trouvait donc une « administration incapable de s’affranchir de la domination et de la subordination à la chambre de commerce » et qui justifie son intervention par la contrainte où elle s’est trouvée de « maintenir l’ordre devant une décision délibérée de chasser les Français et de leur substituer un nouveau pouvoir ». c’est la version que l’administration donne elle-même à René Arthaud membre de la commission parlementaire chargée d’enquêter sur les incidents de la colonie. A l’occasion de son « Reportage sur la terreur coloniale en Afrique noire » René Arthaud dénonce les pratiques administratives et met directement en cause les administrateurs pour leur légèreté. « En l’espace d’une heure, écrit-il, il a été établi en premier lieu que la méthode des otages, l’arrestation du père pour le fils, méthode chère aux tortionnaires de la gestapo et qui leur avait valu la haine de tout ce que l’humanité compte d’hommes honnêtes et généreux, ne répugne en aucune façon à certains membres de l’administration coloniale. En second lieu, il était également établi qu’aux yeux de M. Thomas (administrateur de la subdivision de Dimbokro) et du gendarme Bignac, point n’était nécessaire de s’embarrasser à l’égard des nègres de formalités aussi oiseuses, et de garanties telles que mandats d’amener ou mandats d’arrêt ».
L’ampleur de la répression explique sans doute tous ces manquements graves à la procédure judiciaire. En effet durant l’année 1949, ce sont dix localités qui sont touchées : Bongouanou le 20 janvier, Bocanda le 23 du même mois, Abidjan-Treichville le 6 février, Ferkessédougou-Palaka le 3 mars, Bondoukou le 5 octobre, Abengourou le 14 octobre, Dabou le 18 octobre, Agboville le 19 du même mois, Bouaké le 13 décembre, Zouénoula les 14, 15 et 16 du même mois. En 1950, la répression s’étend à douze autres localités : Gonafla le 2 janvier, Daloa et N’Gokro le 6, Issia le 7, du 22 au 26 des incidents se déroulent sue la route de Sinfra où a lieu l’attaque de la prison, Dimbokro les 20 et 30, Séguéla le 31 janvier et le 2 février, Kétékro-Bonikro le 11 février, Yorobodi le 24 mai et Guiglo en juin.
C’est au cours de cette année qu’interviennent la tentative d’arrestation du député Houphouët-Boigny le 26 janvier et l’assassinat du sénateur BIAKA Boda le 28 janvier à Bouaflé. Plusieurs versions ont été données depuis. Hubert Richmond, receveur des PTT dans la localité à cette époque, relate la fin tragique du sénateur dans un manuscrit daté de 1960 et intitulé « Petites histoires du RDA : 1949-1953 ». « En présence du supplicié, écrit-il, les militaires creusaient un trou. Comme la terre était dure en cet endroit, le trou avait au moins 50 centimètres de profondeur ? Gauthereau avait ordonné aux militaires d’ensevelir Victor Biaka Boda vivant. Cet ordre avait été exécuté. Gauthereau avait sorti son pistolet automatique et avait logé deux balles dans la tête de Victor Biaka Boda ».
Cette version de la mort du sénateur, une parmi plusieurs autres, diffère de celle que Georges Chaffard considère comme l’hypothèse toujours soutenue par le RDA et selon laquelle le sénateur aurait succombé à un interrogatoire trop brutal de Gauthereau. On peut penser que ce dernier n’était pas seul à conduire l’interrogatoire, s’il avait bien effectivement eu lieu, puisque se trouvait curieusement réunis dans la petite localité de Bouaflé ce jour-là tout l’aréopage de l’administration du secteur.
Devant la commission d’enquête parlementaire, en sa séance du 13 novembre 1950, Ouezzin Coulibaly cite des noms et fait état de témoignages accablants qui convergent tous vers l’administrateur Raymond Gauthereau. « S’il faut en croire tous ces témoignages, déclarait-il, l’administrateur a été avisé tout au moins de la présence de Biaka à Bouaflé. J’ai déjà dit que, le même jour, il y avait présents à bouaflé, le procureur de la république, le substitut du procureur, M. Pautrat, le juge de paix M. Thuillier, l’administrateur du cercle, M. Butavand et le chef de subdivision M. Gauthereau. Il est tout de même curieux qu’un parlementaire dont la présence ne peut se cacher, disparaisse dans un petit village où il y avait tant de personnalités d’autorité, sans que personne ne fut au courant. Dans ce groupe de personnalités, il y a certainement quelqu’un qui était responsable en ce moment de l’ordre public et qui, en tant que tel, était responsable, qu’il le veuille ou non, de ce qui se passait au village. A-t-on établi cette première responsabilité ? les attestations données plus haut montrent assez clairement que l’almamy Aly Diaby connaissait sinon les coupables, du moins les responsables. Il semble même que l’attitude de certains gardes du cercle serait significative au moment de l’enquête. Le fait le plus caractéristique de cette affaire, c’est qu’il semblerait que le chef de subdivision Gauthereau a été directement et personnellement mêlé à la question. Ainsi, dans la nuit du 27 au 28, entre minuit et le matin, une jeep conduite par les Alaouites, dans laquelle se trouvait M. Gauthereau, a circulé dans le quartier où le sénateur Biaka se trouvait hébergé. La documentation que je tiens à la disposition de la justice semble indiquer d’une façon précise qu’il n’est pas possible que quelque chose se soit passé durant cette nuit à l’insu du chef de subdivision. D’ailleurs, un autre témoignage semblerait indiquer que les pouvoirs publics n’ont pas été, du moins constamment, dans l’ignorance de ce qui se passait. » Une plainte déposée contre Raymond Gauthereau aboutira à un non lieu. L’homme, nous apprend encore Georges Chaffard, était en 1965 fonctionnaire international, chef de la mission d’assistance de l’ONU au Cambodge !


Extrait de « Aux origines de la nation ivoirienne, 1893-1946 (volume III) : Nationalisme africain et décolonisation française 1945-1960 » de René-Pierre Anouma, Editions L'Harmattan, 2008 (pages124-127).

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