Blé Goudé est entre les mains de la justice
ivoirienne. Sans tambour ni trompette du côté du pouvoir. Sans fleurs ni
couronnes dans le camp de ses proches. Reddition ? Arrestation ? Arrangement
politico-judiciaire ? Pas de photos triomphalistes. Pas de pleurs ni de
témoignages attristés. Tout se passe à coups de communiqués, plats, secs, sans
émotion. Blé Goudé aura intrigué jusque dans les mains de la justice.
Blé Goudé l’intrigant, mais aussi l’imprudent. Il parlait
trop, faisait la une des journaux presque tous les jours, donnait des
vidéoconférences, s’entretenait avec la presse internationale au téléphone,
faisait connaître son avis sur tout et sur rien. De mémoire d’analystes, c’est
la première fois qu’un exilé politique recherché par la justice parlait autant,
sans scrupule ni précaution. Dans ce monde d’aujourd’hui, peut-on se cacher
vraiment ? Oussama Ben Laden qui avait mis en place les systèmes de cache les
plus sophistiqués de notre ère a été découvert. Saddam Hussein qui a choisi un
terrier a été cueilli. Ces deux événements étaient pourtant suffisants pour
inspirer prudence à ceux qui ne souhaitaient pas se faire attraper. Dans son
livre « In the line of Fire », Pervez Musharaf, l’ex-Président pakistanais,
décrivait comment par des détails anodins, ses services secrets étaient
parvenus à mettre la main sur les terroristes les plus redoutables. Il n’est
plus facile de se cacher. Et notre Blé national parlait, parlait, comme s’il
souhaitait que l’on le retrouvât.
En Côte d’Ivoire, les secrets d’Etat et les secrets
personnels ont un délai de péremption et de prescription très court : l’on
saura bientôt toute la vérité sur les conditions de la présence en Côte
d’Ivoire de Blé Goudé. Laissons au temps et à l’Histoire de faire belle œuvre
sur ces secrets et concentrons-nous un peu sur les perspectives qu’ouvre
l’entrée en jeu, en Côte d’Ivoire, du « général de la rue ». Je voudrais me
risquer ici à une analyse plate, opportuniste et peut-être cynique et retenir
les points suivants.
1 - Blé Goudé entre les mains de la justice
ivoirienne, c’est une bonne nouvelle pour tous les prisonniers de l’après-11 avril
2011. L’on ne sait pas combien ils sont ces détenus. Mais que Blé Goudé
devienne l’un des leurs permet d’attirer davantage l’attention de la presse et
de l’opinion publique internationales sur leur sort et de leur conférer
aisément le statut de prisonniers politiques. Car ce dernier, quoi que l’on
pense de lui, est mondialement connu et perçu de l’extérieur comme la
personnification de l’ère Gbagbo. Que les faucons et les colombes de cette ère
soient tous détenus ou recherchés à l’extérieur et à l’intérieur de la Côte
d’Ivoire pourrait faire d’eux des victimes d’une justice partiale.
2 - Le Fpi pourrait ne pas beaucoup gagner à
l’entrée inopportune de Blé Goudé dans le débat politique national. Bien sûr,
le sujet en ajoutera à la liste des préoccupations et doléances du parti. Mais
Blé Goudé, qui a toujours clamé ne pas être du Fpi, a visiblement pris ses distances,
depuis plusieurs mois, avec le parti de son mentor. Ses supporters, réels ou
virtuels, sont idéologiquement attachés au Fpi. Cependant, si dans les efforts
de réconciliation nationale et d’apaisement du camp Gbagbo, Blé Goudé donnait
des signes positifs et encourageait le dialogue national, il deviendrait une
alternative crédible nationale et se poserait comme un incontournable
interlocuteur, vu le nombre de ses sympathisants, jeunes et vieux. Le Fpi ne
gagnerait pas à ce que sa voix et celle du « jeune patriote » soient
discordantes. Il perdrait du crédit progressivement et certainement aussi, sa
posture unique et obligée de canal de la réconciliation nationale.
3 - Si Blé Goudé est bien traité, comme je suppose
qu’il le sera, vu les conditions floues de son transfert en Côte d’Ivoire, et
qu’il lui est donné des moyens d’expression publique qui garantissent son
indépendance, la Côte d’Ivoire gagnera, tout au moins, sur le volet
sécuritaire. En effet, comme nous l’avions souligné dans d’autres analyses, les
groupes armés qui se sont fait connaître par la violence sont de tous les
bords, mais une partie est constituée de jeunes qui ont idolâtré « le général
». Rappelons-nous que ces jeunes sont ceux qui se sont enrôlés massivement dans
l’armée à son appel en 2002, à l’éclatement de la rébellion armée, et au plus
fort de la crise politique, en mars 2011. S’il leur lance des appels au civisme
et à une reconversion citoyenne, ou même s’il les rallie à sa cause politique,
il y a fort à parier que 2013 soit moins sanglant que l’a été 2012. Dans cette
lancée, les appels au calme de Blé Goudé pourraient conduire à d’autres
redditions, dont celle de militaires connus.
4 - La présente analyse ne tend pas à exagérer
l’importance du leader des « jeunes patriotes ». Mais il faut le reconnaître,
celui-ci jouit d’une très grande popularité. En témoigne le nombre d’organes de
presse du monde entier qui ont écrit des pages spéciales sur son arrestation.
Et c’est là justement qu’atterrit le dernier aspect de notre analyse. En ayant
quitté l’exil et la clandestinité, Blé Goudé s’ouvre devant lui une vraie
carrière politique. L’exil, ceux qui l’ont vécu le disent, est cruel et dans
son cas, un accident aurait pu vite arriver dans cette précarité. Lorsqu’il en
aura fini avec ses démêlés avec la justice ivoirienne et internationale (il y a
fort à parier qu’à moyen terme, des procédures soient engagées contre lui en
France, par exemple par des citoyens français ou autres), il sera sur le marché
politique avec les bénéfices de sa « martyrisation », comme en ont bénéficié
les plus grands leaders politiques ivoiriens. Cependant Blé Goudé, même s’il
bénéficie de sympathies importantes, n’a pas d’électorat régional propre à lui.
Comme ses ex-amis de la rébellion, leur vivier politique est aussi celui des
leaders auxquels ils se sont alliés et qu’ils ont défendu au prix des armes ou
de la rue. Il leur faudra conforter leurs propres électorats pour exister
au-delà des alliances de circonstance. Et c’est là toute la difficulté qu’il lui
faudra résoudre.
VINCENT TO BI IRIE
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette
rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne
seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et
des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «
crise ivoirienne ».
Source : Fraternité
Matin 22 Janvier 2013
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