jeudi 24 janvier 2013

Blé Goudé l’intrigant, mais aussi l’imprudent…

Blé Goudé est entre les mains de la justice ivoirienne. Sans tambour ni trompette du côté du pouvoir. Sans fleurs ni couronnes dans le camp de ses proches. Reddition ? Arrestation ? Arrangement politico-judiciaire ? Pas de photos triomphalistes. Pas de pleurs ni de témoignages attristés. Tout se passe à coups de communiqués, plats, secs, sans émotion. Blé Goudé aura intrigué jusque dans les mains de la justice.

Blé Goudé l’intrigant, mais aussi l’imprudent. Il parlait trop, faisait la une des journaux presque tous les jours, donnait des vidéoconférences, s’entretenait avec la presse internationale au téléphone, faisait connaître son avis sur tout et sur rien. De mémoire d’analystes, c’est la première fois qu’un exilé politique recherché par la justice parlait autant, sans scrupule ni précaution. Dans ce monde d’aujourd’hui, peut-on se cacher vraiment ? Oussama Ben Laden qui avait mis en place les systèmes de cache les plus sophistiqués de notre ère a été découvert. Saddam Hussein qui a choisi un terrier a été cueilli. Ces deux événements étaient pourtant suffisants pour inspirer prudence à ceux qui ne souhaitaient pas se faire attraper. Dans son livre « In the line of Fire », Pervez Musharaf, l’ex-Président pakistanais, décrivait comment par des détails anodins, ses services secrets étaient parvenus à mettre la main sur les terroristes les plus redoutables. Il n’est plus facile de se cacher. Et notre Blé national parlait, parlait, comme s’il souhaitait que l’on le retrouvât.

En Côte d’Ivoire, les secrets d’Etat et les secrets personnels ont un délai de péremption et de prescription très court : l’on saura bientôt toute la vérité sur les conditions de la présence en Côte d’Ivoire de Blé Goudé. Laissons au temps et à l’Histoire de faire belle œuvre sur ces secrets et concentrons-nous un peu sur les perspectives qu’ouvre l’entrée en jeu, en Côte d’Ivoire, du « général de la rue ». Je voudrais me risquer ici à une analyse plate, opportuniste et peut-être cynique et retenir les points suivants.

1 - Blé Goudé entre les mains de la justice ivoirienne, c’est une bonne nouvelle pour tous les prisonniers de l’après-11 avril 2011. L’on ne sait pas combien ils sont ces détenus. Mais que Blé Goudé devienne l’un des leurs permet d’attirer davantage l’attention de la presse et de l’opinion publique internationales sur leur sort et de leur conférer aisément le statut de prisonniers politiques. Car ce dernier, quoi que l’on pense de lui, est mondialement connu et perçu de l’extérieur comme la personnification de l’ère Gbagbo. Que les faucons et les colombes de cette ère soient tous détenus ou recherchés à l’extérieur et à l’intérieur de la Côte d’Ivoire pourrait faire d’eux des victimes d’une justice partiale.

2 - Le Fpi pourrait ne pas beaucoup gagner à l’entrée inopportune de Blé Goudé dans le débat politique national. Bien sûr, le sujet en ajoutera à la liste des préoccupations et doléances du parti. Mais Blé Goudé, qui a toujours clamé ne pas être du Fpi, a visiblement pris ses distances, depuis plusieurs mois, avec le parti de son mentor. Ses supporters, réels ou virtuels, sont idéologiquement attachés au Fpi. Cependant, si dans les efforts de réconciliation nationale et d’apaisement du camp Gbagbo, Blé Goudé donnait des signes positifs et encourageait le dialogue national, il deviendrait une alternative crédible nationale et se poserait comme un incontournable interlocuteur, vu le nombre de ses sympathisants, jeunes et vieux. Le Fpi ne gagnerait pas à ce que sa voix et celle du « jeune patriote » soient discordantes. Il perdrait du crédit progressivement et certainement aussi, sa posture unique et obligée de canal de la réconciliation nationale.

3 - Si Blé Goudé est bien traité, comme je suppose qu’il le sera, vu les conditions floues de son transfert en Côte d’Ivoire, et qu’il lui est donné des moyens d’expression publique qui garantissent son indépendance, la Côte d’Ivoire gagnera, tout au moins, sur le volet sécuritaire. En effet, comme nous l’avions souligné dans d’autres analyses, les groupes armés qui se sont fait connaître par la violence sont de tous les bords, mais une partie est constituée de jeunes qui ont idolâtré « le général ». Rappelons-nous que ces jeunes sont ceux qui se sont enrôlés massivement dans l’armée à son appel en 2002, à l’éclatement de la rébellion armée, et au plus fort de la crise politique, en mars 2011. S’il leur lance des appels au civisme et à une reconversion citoyenne, ou même s’il les rallie à sa cause politique, il y a fort à parier que 2013 soit moins sanglant que l’a été 2012. Dans cette lancée, les appels au calme de Blé Goudé pourraient conduire à d’autres redditions, dont celle de militaires connus.

4 - La présente analyse ne tend pas à exagérer l’importance du leader des « jeunes patriotes ». Mais il faut le reconnaître, celui-ci jouit d’une très grande popularité. En témoigne le nombre d’organes de presse du monde entier qui ont écrit des pages spéciales sur son arrestation. Et c’est là justement qu’atterrit le dernier aspect de notre analyse. En ayant quitté l’exil et la clandestinité, Blé Goudé s’ouvre devant lui une vraie carrière politique. L’exil, ceux qui l’ont vécu le disent, est cruel et dans son cas, un accident aurait pu vite arriver dans cette précarité. Lorsqu’il en aura fini avec ses démêlés avec la justice ivoirienne et internationale (il y a fort à parier qu’à moyen terme, des procédures soient engagées contre lui en France, par exemple par des citoyens français ou autres), il sera sur le marché politique avec les bénéfices de sa « martyrisation », comme en ont bénéficié les plus grands leaders politiques ivoiriens. Cependant Blé Goudé, même s’il bénéficie de sympathies importantes, n’a pas d’électorat régional propre à lui. Comme ses ex-amis de la rébellion, leur vivier politique est aussi celui des leaders auxquels ils se sont alliés et qu’ils ont défendu au prix des armes ou de la rue. Il leur faudra conforter leurs propres électorats pour exister au-delà des alliances de circonstance. Et c’est là toute la difficulté qu’il lui faudra résoudre.

VINCENT TO BI IRIE
 

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Source : Fraternité Matin 22 Janvier 2013

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