samedi 29 septembre 2012

UNION AFRICAINE, UNE DECENNIE D’ECHECS…

Défaillante en Libye, absente au Mali, dépassée en Côte d’Ivoire, l’Union africaine cristallise les critiques. L’ancien président de l’Afrique du Sud, Thabo Mbeki dresse ici un bilan et fixe une perspective.

Pour tous les Africains de notre continent et ceux de la diaspora, la naissance de l’Union africaine (UA), il y a maintenant dix ans, portait en elle la promesse d’un rêve d’émancipation. Aujourd’hui se pose une question : ce rêve est-il devenu réalité ou bien a-t-il encore été ajourné ? L’UA a fêté ses 10 ans le 15 juillet, à Addis-Abeba [Ethiopie]. On aurait pu penser que l’assemblée profiterait de cet anniversaire pour revenir sur le chemin fait au cours de ces dix ans, évaluer les enjeux actuels et évoquer la route qui reste à parcourir. Malheureusement, cette question d’une importance pourtant décisive n’était même pas inscrite à l’ordre du jour. Non, la priorité était l’élection du président de la commission de l’UA, après l’échec embarrassant de la 18e Assemblée, il y a six mois, dans la recherche d’un consensus. Le message délivré par les échecs répétés de ces assemblées est des plus douloureux
: malgré les espoirs suscités par la création de l’Union africaine, il s’agit en réalité d’un faux départ. Et, à bien des égards, la promesse officielle d’un avenir meilleur pour l’Afrique apparaît comme une simple déclaration d’intention.

Faux départ

En effet, toutes les régressions stratégiques rencontrées par l’Afrique au cours des dix premières années d’existence de l’UA découlent de notre échec à faire valoir notre droit à l’autodétermination, malgré son importance primordiale dans les combats historiques contre l’impérialisme, le colonialisme et l’apartheid, qui ont fait couler tant de sang africain. Sur tout le continent, les peuples ont le sentiment que la force collective du leadership africain s’est considérablement affaiblie, avec la menace d’un éventuel retour en arrière en dépit des nombreuses avancées réalisées.
Nul ne peut nier qu’une grande partie de l’Union africaine a fini par devenir une coterie sans principes, déterminée à profiter du pouvoir politique pour s’enrichir, portée par une idéologie selon laquelle la vocation première du pouvoir est d’enrichir ses détenteurs. Dans une grande partie de l’Afrique, cette conception du pouvoir politique a fait des émules au sein de la soi-disant classe politique, et cette aptitude à s’enrichir au mépris des plus pauvres a été rendue possible par une mainmise unique, exclusive, sur le pouvoir politique. Une grande partie de la vie politique locale n’est désormais qu’une lutte sans merci pour le pouvoir, avec pour objectif l’enrichissement personnel aux dépens du développement national et social que promettait l’adoption, lors de l’Assemblée générale des Nations unies du 14 décembre 1960, de la déclaration fondant l’Organisation de l’unité africaine [ancêtre de l’UA]. La réalité sociale et historique qui a engendré la corruption de cette coalition pour la libération était et demeure le système de valeurs capitaliste, qui voit dans l’accumulation privée des profits et des richesses l’aboutissement de l’existence humaine. Et il s’agit là du premier échec stratégique dans notre combat pour faire valoir notre droit l’autodétermination.
Le deuxième échec stratégique est lié au rejet, notamment par les puissances occidentales, des prescriptions de la déclaration de l’ONU de 1960 selon lesquelles nous aussi, les Africains, devons jouir Librement du droit à choisir notre statut politique et à poursuivre librement notre développement économique, social et culturel. Les faits précités pourraient faire croire que l’UA était vouée à l’échec. Ce serait une conclusion hâtive, car l’UA a accompli de grandes choses au cours de ces dix ans. Les bases de la croissance économique forte et durable que nous connaissons en Afrique depuis quelques années sont le fruit des décisions prises et des actions conduites par l’UA, mais aussi de décisions prises immédiatement avant sa création. En matière de justice et de droits de l’homme, l’UA a créé la Cour africaine des droits des peuples et des hommes, toujours en activité. L’UA a également mis en place le Conseil de sécurité et de paix, et adopté le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), un projet de développement pour l’Afrique conçu par les Africains. Dans ce contexte, l’UA a également réussi à remettre à l’ordre du jour politique et économique mondial le développement de l’Afrique tel qu’il est défini par les Africains.
Nous pensions avoir définitivement mis un terme à cinq cents ans d’esclavage, d’impérialisme, de colonialisme et de néocolonialisme, au cours desquels les Africains n’étaient que des pions déplacés (en grande partie) par les pays européens. Nul ne peut nier que l’UA peine à faire adopter à ses Etats membres, à l’échelle nationale, toutes les décisions prises à l’échelle du continent, et il s’agit sans doute de l’un de ses plus gros échecs, qui a considérablement affaibli l’impact de nombreuses politiques progressistes.
L’impuissance de l’UA à faire valoir les droits des peuples africains face à la communauté internationale s’est illustrée de façon flagrante dans le conflit libyen en 2011, au cours duquel les puissances occidentales se sont arrogé de manière unilatérale et éhontée le droit de décider de l’avenir du pays. Et, suprême humiliation, les trois membres africains du Conseil de sécurité de l’ONU [Maroc, Afrique du Sud et Togo] ont ignoré les décisions de l’UA sur la Libye et ont voté pour la résolution 1973, alibi des puissances occidentales afin de justifier l’imposition d’un dictat impérialiste en Libye et plus généralement en Afrique.

Défis pour l’avenir

Le défi du développement africain tel qu’il est défini par les Africains n’est plus une priorité de l’agenda politique et économique mondial. Il est donc inévitable que l’Occident mette tout en œuvre, par le biais d’un prétendu « soft power », pour cantonner l’Afrique dans la dépendance. Comme l’a démontré le conflit libyen, l’Occident interviendra en Afrique quand bon lui semblera, exploitant délibérément nos faiblesses afin d’évincer tout gouvernement africain qui ne lui conviendrait pas et de se positionner ainsi comme le seul intervenant crédible dans le destin de l’Afrique. C’est pourquoi il ne faut pas avoir peur de défendre le droit à l’autodétermination concrétisé par la création de l’UA.
Et c’est à l’Union africaine qu’incombe la mission sacrée de mobiliser et de fédérer nos forces afin de concrétiser ce rêve, sans laisser des conflits mesquins nous diviser. Car si la réalisation de ce rêve était encore une fois retardée, cela risquerait de finir par une explosion.

Thabo Mbeki (Sunday Times Johannesburg)

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  Source : CIVOX. NET 29 Septembre 2012

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