A force de critiques et d’enterrements annoncés, on pourrait croire finie la « Françafrique », ce système d’exploitation et de violence qui a régi les relations internationales entre le continent et l’ancien colonisateur. Des changements de langage et d’hommes ne suffisent pas, comme le démontre déjà la gestion de la crise malienne par le président Hollande – et l’intervention militaire annoncée risque d’être son premier acte marquant en politique extérieure. Comme ses prédécesseurs, depuis un demi-siècle… L’arrivée au pouvoir d’un nouveau président à Paris marque aussi le début d’une série de rituels et de signaux destinés à l’Afrique francophone : qui reçoit-on le premier, et qui ne reçoit-on pas ? Quel voyage fondateur effectuera en Afrique le nouvel élu, quel discours et quelles promesses affichera-t-il ? A cette aune, que les africanistes détaillent avec gourmandise comme autrefois les kremlinologues savouraient les détails de la Nomenklatura, que de changements symboliques ! Le démocrate Macky Sall du Sénégal reçu le premier, fraîchement élu contre Abdoulaye Wade à Dakar par un scrutin incontestable. Début juin, le tapis rouge déroulé à M. Yayi Boni du Bénin, président en exercice de l’Union Africaine, consulté es qualité pour la résolution de la guerre au Nord Mali. Encore plus significatifs ceux que l’Elysée se refuse à inviter, malgré leurs demandes réitérées : ni Bongo du Gabon, non plus qu’Eyadema du Mali, tous deux héritiers de dynasties autoritaires ; non plus que Blaise Compaoré du Burkina, autoproclamé sage et doyen de l’Afrique de l’Ouest, non plus que l’ivoirien Ouattara, orphelin du sarkosysme et pourtant actuel président de la Cedeao. Mais qu’importent les symboles et les discours, si les actions restent les mêmes, notamment l’envoi de l’armée française à chaque crise ? Quel Etat en effet maintient des bases militaires permanentes en Afrique (Sénégal, Djibouti, Gabon) ? Quel pays est capable de lancer en quelques heures des « opérations extérieures » (Epervier au Tchad, Licorne en Côte d’Ivoire) ? Qui contrôle la masse monétaire de ses anciennes colonies par le jeu d’une monnaie issue de la colonisation, le franc CFA[i] ? Baptisé laudativement « Françafrique » par le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, dénoncé dès les années 1990 par le fondateur de « Survie », François-Xavier Verschave, ce système occulte de domination, violent et pervers, a survécu à ses fondateurs. En 1960 le premier ministre Michel Debré a vendu la mèche en déclarant à Léon M’Ba, président du Gabon : la France « donne l’indépendance à condition que l’Etat une fois indépendant s’engage à respecter les accords de coopération signés antérieurement. Il y a deux systèmes qui entrent en vigueur simultanément : l’indépendance et les accords de coopération. L’un ne va pas sans l’autre[ii]. » Et de fait, cette sujétion étatique, à la fois militaire et économique, est déclinée par des « accords de défense » aussi secrets que sommaires, entre les gouvernements français et africains – accords en fait à géométrie variable et parfois non appliqués selon l’opportunité décidée à Paris. Ainsi, les troupes françaises sont intervenues pour conforter des régimes souvent douteux comme au Tchad, Togo, Zaïre, Gabon tandis qu’elles se refusaient à des interventions conformes aux accords, comme au Congo en 1963, au Niger en 1974, au Tchad en 1975, ou au début de la rébellion ivoirienne contre le régime du président Laurent Gbagbo, téléguidée depuis le Burkina Faso en septembre 2002… Et cette série d’interventions devient une sorte de conflit permanent, en continuité avec les guerres coloniales : selon l’historien italien Chalci Novati1, un décentrage nécessaire par rapport à un débat trop français montre une longue « guerre à l’Afrique » continue, dont les relations franco-africaines – et ses scandales récents ne sont qu’une partie. Après le « containment » du communisme dans les années cinquante2 (ou « endiguement », cette doctrine officielle des administrations américaines successives), n’assiste-t-on pas à la même politique de l’Europe devant les migrations du continent noir d’une part, et contre ses velléités d’autonomie de l’autre ? Il faudrait replacer alors exploitation des matières premières, coups d’Etats et soutien des « dictatures à la française » du pré carré – l’ancien espace colonial, dans un système d’actions comprenant aussi la répression des flux humains vers l’Europe, la répression de la piraterie maritime à l’Est, le combat interminable contre les mouvements fondementalistes anti-occidentaux. Tout cela dans une désinformation continue et des « rideaux de fumée » médiatiques : « défense des ressortissants », si ce n’est des « intérêts français ». Les médias français, privés ou publics, ne participent-ils pas plus souvent qu’à leur tour de cette Françafrique aussi discrète que puissante ? L’ordinaire du « journaliste spécialiste de l’Afrique » n’est-il pas trop souvent de voyager dans l’avion ministériel ou présidentiel français, de recueillir confidences et parfois subsides du dictateur local – le maréchal président zaïrois Joseph Mobutu s’en vantait, lui qui avait d’abord été journaliste – quand ils ne sont pas invités dans les palais des despotes africains ? Sans compter la corruption ordinaire de tel hebdomadaire panafricain bien connu des dirigeants du Sud qui ont investi volontiers dans la radio Africa N°1 ou plus récemment la télévision Africa 24[iii]. Car la « conquête des cœurs et des esprits » passe par des médias sous contrôle, rebaptisant « fasciste » un régime populiste, et « démocrates » les dictateurs. Ainsi, en juillet 2011, une campagne sourde a commencé à Paris[iv] au moment où le nouveau président guinéen, le politologue Alpha Condé, a failli être abattu à coups de roquettes dans le palais présidentiel de Conakry. Les éditoriaux vertueux de la presse parisienne condamnent-ils l’attaque qui a failli tuer le premier président élu de Guinée ? Bien au contraire, ils sont axés sur le refus du nouveau pouvoir d’autoriser la presse guinéenne d’envenimer la situation (l’interdiction a été très vite levée). A croire qu’il y a un rapport avec la volonté de M. Condé de renégocier les contrats léonins avec les sociétés étrangères et de se tourner, à son tour, vers la Chine… Au moment où la crise électorale ivoirienne focalisait l’attention de la « communauté internationale », M. Blaise Compaoré se succédait à lui-même au Burkina Faso, avec un score de 80 % en novembre 2010, tandis que M. Paul Biya du Cameroun, qui gouverne depuis la Suisse la moitié de l’année, vient d’être « réélu » à Yaoundé après 29 ans de règne (octobre 2011), sans que l’Elysée, l’Union africaine ou la presse occidentale y trouve à redire… Il est vrai que les pseudo-élections des dictateurs à vie sont souvent cautionnées par des juristes ou des hommes politiques complaisants venus de Paris. Ainsi la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a-t-elle vertement tancé, en 2009, le député Jacques Toubon et… le président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et vice-président de la commission des droits de l’homme au Parlement européen, M. Patrick Gaubert, dépêchés sur place pour cautionner le régime du président congolais Denis Sassou N’Guesso ![v]
Bien sûr tous les « chevaliers blancs » ne sont pas exempts de partialité, y compris les organisations internationales comme Reporter sans frontières (RSF) pour la presse et « Transparency international » pour la corruption. Leurs liens financiers ou politiques avec le département d’Etat américain sont bien connus des spécialistes[vi]. La crise en Côte d’Ivoire a fait toucher du doigt « l’honneur perdu d’« Human Right Watch », ouvertement financée pour ce pays par la « Fondation Soros » – et menant de manière éhontée campagne sur campagne en faveur de M. Ouattara, identifié comme le défenseur de l’« open society » contre le contestataire Laurent Gbagbo, dès lors voué aux gémonies. Pour ne pas parler des silences d’Amnesty International sur les milliers de morts sudistes du régime Ouattara depuis avril 2011 (Plus de 3000 « victimes oubliées »), ou la présence à la FIDH du négationniste Florent Geel qui, refusant de dénoncer le millier de morts guérés de Duékoué, ville de l’Ouest ivoirien martyrisée à deux reprises par les milices ethniques pro Ouattara, est dénoncé de manière récurrente par les associations de victimes ! L’Histoire jugera-t-elle ceux qui gardent les yeux fermés devant les massacres, qui savent et ne protestent pas ? Trafic d’influence et corruption ne sont-ils pas que la conséquence de la doctrine du « pré carré » et du monopole de ses richesses ? Ce qui est au fond l’équivalent de la « doctrine Monroe » pour les Etats-Unis sur le continent américain serait soutenable si sa pratique était équitable pour les deux parties et si elle n’était violemment imposée par des interventions armées à répétition : quarante-trois depuis 1960 ! Entre violence militaire et mise en condition médiatique, le système françafricain subsiste aussi par une perversion continue des institutions démocratiques. Bien évidemment, la corruption ordinaire va bien plus loin que les mallettes de billets qui circulent dans les deux sens[vii] : le financement des campagnes électorales françaises n’est que la contrepartie des pourcentages sur les contrats ou les versements dans les paradis fiscaux sur les ventes de matières premières, en faveur des dirigeants africains.
L’association Sherpa, qui s’est fait une spécialité de la dénonciation des « biens mal acquis » des autocrates africains, a par exemple détaillé, selon une instruction en cours, le patrimoine de la famille Bongo du Gabon : « Au total, sont répertoriés 33 biens (appartements, hôtel particulier et maisons) appartenant au Gabonais Omar Bongo ou à sa famille, et 18 autres dont le président congolais et ses proches sont propriétaires. Le patrimoine de loin le plus imposant concerne M. Bongo lui-même. Son nom est associé à pas moins de 17 propriétés immobilières, dont deux appartements avenue Foch (88 m2 et 210 m2) et un de 219 m2 lui aussi situé dans le 16e arrondissement. A Nice, une propriété « est constituée de deux appartements (170 m2 et 100 m2), trois maisons (67,215 m2 et 176 m2) et d’une piscine[viii] »… Mais les richesses du couple Ouattara sont curieusement des « taches blanches pour Sherpa, cornaquée par Maître William Bourdon, comme si certaines indignations étaient très sélectives… Les néoconservateurs français (chiraquisme et sarkosysme ne sont sur ce point que des bushismes néocoloniaux…) ont contribué à adapter un « modèle interventionniste », qui fait se succéder attaques médiatiques puis « humanitaires », enfin diplomatiques : les corps expéditionnaires – où l’ONU est désormais impliquée : l’ONUCI, combien de mort civils en 2011 à Abidjan ? – sont bien l’ultima ratio de la Françafrique jetant son masque dans la terreur et sous les bombes ! Le continent attend-il trop d’une révolution sur le modèle arabe, qui briserait d’abord le lien ambigu avec l’ancien colonisateur ? Sur cette contagion démocratique éventuelle, mettant fin à la Françafrique, la Toile africaine fourmille de théories et de rumeurs : « descente » depuis l’Afrique du Nord de mouvements de libération, aide de démocrates occidentaux via les nouvelles technologies, et plus probablement insurrections de jeunesses urbaines au chômage, alliés à des paysans sans terre et des cadres nationalistes trouvant insupportable le train de vie des nouveaux maîtres. Le risque serait grand alors pour la France – et les ressortissants français, de « perdre l’Afrique » –, et les matières premières convoitées. C’est sans doute cette inquiétude de se couper de ressources essentielles tout autant que d’alliés historiques qui pousse le gouvernement de M. Hollande à s’ingérer certes avec précaution, dans la crise malienne. L’embrasement du Nord Mali est tout d’abord l’héritage prévisible du reflux des guerriers touaregs de Libye, tandis que l’armement bradé aux factions combattantes permettait aussi aux groupes islamistes de s’étendre. Et certes l’héritage est lourd : à la fin du régime précédent, les stratèges du café de Flore ont été relayés par des machiavels manqués, au Quai d’Orsay ou à la défense, qui ont voulu jouer les touaregs pour « liquider Aqmi ». Mais l’intervention militaire prônée par les relais de la Françafrique habituels, rhabillée par le président français aux couleurs de l’Union africaine et de l’ONU aurait, même appuyée par des supplétifs ouest africains, le plus grand mal à lutter sur deux fronts : réduire les putschistes de Bamako qui ont trouvé une certaine base populaire indignée par la corruption de la classe politique, et mettre fin à l’alliance MNLA/Ansar el Dine/Acqmi qui contrôle l’Azawad, ce foyer national touareg qui est aussi le no-man’s land de djihadistes attirés de loin par ce nouvel « Afghanistan nomade ». Pourtant des responsables politiques civils, comme Ibrahim Boubacar Keita, leader de l’opposition civile, ou Aminata Traoré, sociologue de renom et ancienne ministre de la culture, mettent en garde contre une intervention qui mettrait à bas la légitimité de l’Etat, comme déjà en Libye ou en Côte d’Ivoire. Déjà affaiblis par une corruption généralisées et des élections de façade, ces Etats déjà fragilisés et appauvris par des décennies d’ajustement n’ont vraiment pas besoin d’une recolonisation armée ! D’autant que poussé par des présidents africains mal élus ou arrivés au pouvoir par des rebellions sanglantes, le gouvernement français semble ne pas se rendre compte d’une extension probable du domaine des luttes sahariennes. Le Niger et la Mauritanie seraient sans doute les premiers concernés, comme le Nord du Nigéria, le Sud de la Libye et même l’Algérie : après les armes libyennes, veut-on vraiment disséminer indépendantistes touaregs et combattants islamistes ? Se rend on vraiment compte à Paris que devant ces interventions anachroniques, de pareilles interventions militaires britanniques dans leurs anciennes colonies sont impensables !, le système de violence la Françafrique développe une détestation, voire une haine croissante envers la France et ses ressortissants, dont tous pâtissent, jusqu’aux missions humanitaires ? L’élection de François Hollande, si elle suscite bien des espérances sur le continent, amènera-t-elle bien rupture et changement, ou une « Françafrique repeinte en rose » ? François Mitterrand, et même Nicolas Sarkosy avaient déjà annoncé en leur temps la fin de ce système maffieux : un an après 1981, les chefs d’Etat africains les plus corrompus avaient obtenu la tête de Jean Pierre Cot, tandis qu’en 2008 le président Bongo avait provoqué la chute de Jean Marie Bockel, deux ministres chargés de la Coopération qui se targuaient autant pour la droite que pour la gauche, de mettre fin à la « Françafrique » ! Sans souhaiter à Pascal Canfin, le tout nouveau « ministre du développement », le sort de ses prédécesseurs, si rapidement biodégradables, on peut s’inquiéter des amitiés africaines des hiérarques du P.S. (illustrées par la visite au Gabon, en janvier dernier, de Laurent Fabius)… Le temps où une réelle rupture est possible risque d’être bref et demande des décisions courageuses comme le retrait des forces militaires françaises, ou la répudiation publique des dictatures. Le nouveau régime va-t-il, selon son slogan, décider le changement maintenant… ou jamais ? Révolutions africaines à venir ou non, les vraies ruptures et les changements efficaces viendront certainement du continent lui même : il n’y aurait qu’un mot à dire à Paris pour les encourager et provoquer des évolutions majeures.
Michel Galy, politologue.
[i] - François Kéou Tiani, Le Franc Cfa, La Zone Franc Et L’Euro, l’Harmattan, Paris, 2002.
[ii] - Lettre du 15 juillet 1960 de M. Debré, citée par Albert Bourgi : « La crise globale et l’Afrique : quels changements ? », colloque de la fondation Gabriel Péri à Dakar les 18 et 19 mai 2010.
[iii] - Respectivement avec des capitaux étatiques du Gabon et de Guinée équatoriale.
[iv] - Cf. par exemple : « Guinée : sévère rappel à l’ordre de la France au président Alpha Condé », L’Express, 28 juillet 2011.
[v] - « Congo-Brazzaville, que cherche Patrick Gaubert ? », communiqué de la FIDH du 3 mars 2005
[vi] - Voir pour Transparency International : Une ONG contestée, par Pierre Abramovici, Le Monde diplomatique, novembre 2000 ; pour RSF : Financements sans frontières, Le Monde diplomatique, Hernando Calvo Ospina, juillet 2007.
[vii] - Lire Pierre Péan, La République des mallettes, Fayard, Paris, 2011.
[viii] - Sherpa, « Restitution des avoirs détournés : Chronique 2009-2010 d’un engagement qui patine », novembre 2010.
1 - « Aujourd’hui, c’est l’intervention néo-impériale qui est l’instrument utilisé pour « contenir » les pays qui peuvent fuir le contrôle du système capitaliste mondial » Gian Paolo Chalchi Novati, L’héritage de la colonisation, in « les défis de l’Etat en Afrique », Michel Galy et Elena Sanella eds., l’Harmattan, 2007.
2 - Dont on peut trouver une curieuse analyse, idéaliste, in : Raymond Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », Revue française de science politique, 1953, Volume3, Numéro 1.
Bien sûr tous les « chevaliers blancs » ne sont pas exempts de partialité, y compris les organisations internationales comme Reporter sans frontières (RSF) pour la presse et « Transparency international » pour la corruption. Leurs liens financiers ou politiques avec le département d’Etat américain sont bien connus des spécialistes[vi]. La crise en Côte d’Ivoire a fait toucher du doigt « l’honneur perdu d’« Human Right Watch », ouvertement financée pour ce pays par la « Fondation Soros » – et menant de manière éhontée campagne sur campagne en faveur de M. Ouattara, identifié comme le défenseur de l’« open society » contre le contestataire Laurent Gbagbo, dès lors voué aux gémonies. Pour ne pas parler des silences d’Amnesty International sur les milliers de morts sudistes du régime Ouattara depuis avril 2011 (Plus de 3000 « victimes oubliées »), ou la présence à la FIDH du négationniste Florent Geel qui, refusant de dénoncer le millier de morts guérés de Duékoué, ville de l’Ouest ivoirien martyrisée à deux reprises par les milices ethniques pro Ouattara, est dénoncé de manière récurrente par les associations de victimes ! L’Histoire jugera-t-elle ceux qui gardent les yeux fermés devant les massacres, qui savent et ne protestent pas ? Trafic d’influence et corruption ne sont-ils pas que la conséquence de la doctrine du « pré carré » et du monopole de ses richesses ? Ce qui est au fond l’équivalent de la « doctrine Monroe » pour les Etats-Unis sur le continent américain serait soutenable si sa pratique était équitable pour les deux parties et si elle n’était violemment imposée par des interventions armées à répétition : quarante-trois depuis 1960 ! Entre violence militaire et mise en condition médiatique, le système françafricain subsiste aussi par une perversion continue des institutions démocratiques. Bien évidemment, la corruption ordinaire va bien plus loin que les mallettes de billets qui circulent dans les deux sens[vii] : le financement des campagnes électorales françaises n’est que la contrepartie des pourcentages sur les contrats ou les versements dans les paradis fiscaux sur les ventes de matières premières, en faveur des dirigeants africains.
L’association Sherpa, qui s’est fait une spécialité de la dénonciation des « biens mal acquis » des autocrates africains, a par exemple détaillé, selon une instruction en cours, le patrimoine de la famille Bongo du Gabon : « Au total, sont répertoriés 33 biens (appartements, hôtel particulier et maisons) appartenant au Gabonais Omar Bongo ou à sa famille, et 18 autres dont le président congolais et ses proches sont propriétaires. Le patrimoine de loin le plus imposant concerne M. Bongo lui-même. Son nom est associé à pas moins de 17 propriétés immobilières, dont deux appartements avenue Foch (88 m2 et 210 m2) et un de 219 m2 lui aussi situé dans le 16e arrondissement. A Nice, une propriété « est constituée de deux appartements (170 m2 et 100 m2), trois maisons (67,215 m2 et 176 m2) et d’une piscine[viii] »… Mais les richesses du couple Ouattara sont curieusement des « taches blanches pour Sherpa, cornaquée par Maître William Bourdon, comme si certaines indignations étaient très sélectives… Les néoconservateurs français (chiraquisme et sarkosysme ne sont sur ce point que des bushismes néocoloniaux…) ont contribué à adapter un « modèle interventionniste », qui fait se succéder attaques médiatiques puis « humanitaires », enfin diplomatiques : les corps expéditionnaires – où l’ONU est désormais impliquée : l’ONUCI, combien de mort civils en 2011 à Abidjan ? – sont bien l’ultima ratio de la Françafrique jetant son masque dans la terreur et sous les bombes ! Le continent attend-il trop d’une révolution sur le modèle arabe, qui briserait d’abord le lien ambigu avec l’ancien colonisateur ? Sur cette contagion démocratique éventuelle, mettant fin à la Françafrique, la Toile africaine fourmille de théories et de rumeurs : « descente » depuis l’Afrique du Nord de mouvements de libération, aide de démocrates occidentaux via les nouvelles technologies, et plus probablement insurrections de jeunesses urbaines au chômage, alliés à des paysans sans terre et des cadres nationalistes trouvant insupportable le train de vie des nouveaux maîtres. Le risque serait grand alors pour la France – et les ressortissants français, de « perdre l’Afrique » –, et les matières premières convoitées. C’est sans doute cette inquiétude de se couper de ressources essentielles tout autant que d’alliés historiques qui pousse le gouvernement de M. Hollande à s’ingérer certes avec précaution, dans la crise malienne. L’embrasement du Nord Mali est tout d’abord l’héritage prévisible du reflux des guerriers touaregs de Libye, tandis que l’armement bradé aux factions combattantes permettait aussi aux groupes islamistes de s’étendre. Et certes l’héritage est lourd : à la fin du régime précédent, les stratèges du café de Flore ont été relayés par des machiavels manqués, au Quai d’Orsay ou à la défense, qui ont voulu jouer les touaregs pour « liquider Aqmi ». Mais l’intervention militaire prônée par les relais de la Françafrique habituels, rhabillée par le président français aux couleurs de l’Union africaine et de l’ONU aurait, même appuyée par des supplétifs ouest africains, le plus grand mal à lutter sur deux fronts : réduire les putschistes de Bamako qui ont trouvé une certaine base populaire indignée par la corruption de la classe politique, et mettre fin à l’alliance MNLA/Ansar el Dine/Acqmi qui contrôle l’Azawad, ce foyer national touareg qui est aussi le no-man’s land de djihadistes attirés de loin par ce nouvel « Afghanistan nomade ». Pourtant des responsables politiques civils, comme Ibrahim Boubacar Keita, leader de l’opposition civile, ou Aminata Traoré, sociologue de renom et ancienne ministre de la culture, mettent en garde contre une intervention qui mettrait à bas la légitimité de l’Etat, comme déjà en Libye ou en Côte d’Ivoire. Déjà affaiblis par une corruption généralisées et des élections de façade, ces Etats déjà fragilisés et appauvris par des décennies d’ajustement n’ont vraiment pas besoin d’une recolonisation armée ! D’autant que poussé par des présidents africains mal élus ou arrivés au pouvoir par des rebellions sanglantes, le gouvernement français semble ne pas se rendre compte d’une extension probable du domaine des luttes sahariennes. Le Niger et la Mauritanie seraient sans doute les premiers concernés, comme le Nord du Nigéria, le Sud de la Libye et même l’Algérie : après les armes libyennes, veut-on vraiment disséminer indépendantistes touaregs et combattants islamistes ? Se rend on vraiment compte à Paris que devant ces interventions anachroniques, de pareilles interventions militaires britanniques dans leurs anciennes colonies sont impensables !, le système de violence la Françafrique développe une détestation, voire une haine croissante envers la France et ses ressortissants, dont tous pâtissent, jusqu’aux missions humanitaires ? L’élection de François Hollande, si elle suscite bien des espérances sur le continent, amènera-t-elle bien rupture et changement, ou une « Françafrique repeinte en rose » ? François Mitterrand, et même Nicolas Sarkosy avaient déjà annoncé en leur temps la fin de ce système maffieux : un an après 1981, les chefs d’Etat africains les plus corrompus avaient obtenu la tête de Jean Pierre Cot, tandis qu’en 2008 le président Bongo avait provoqué la chute de Jean Marie Bockel, deux ministres chargés de la Coopération qui se targuaient autant pour la droite que pour la gauche, de mettre fin à la « Françafrique » ! Sans souhaiter à Pascal Canfin, le tout nouveau « ministre du développement », le sort de ses prédécesseurs, si rapidement biodégradables, on peut s’inquiéter des amitiés africaines des hiérarques du P.S. (illustrées par la visite au Gabon, en janvier dernier, de Laurent Fabius)… Le temps où une réelle rupture est possible risque d’être bref et demande des décisions courageuses comme le retrait des forces militaires françaises, ou la répudiation publique des dictatures. Le nouveau régime va-t-il, selon son slogan, décider le changement maintenant… ou jamais ? Révolutions africaines à venir ou non, les vraies ruptures et les changements efficaces viendront certainement du continent lui même : il n’y aurait qu’un mot à dire à Paris pour les encourager et provoquer des évolutions majeures.
Michel Galy, politologue.
[i] - François Kéou Tiani, Le Franc Cfa, La Zone Franc Et L’Euro, l’Harmattan, Paris, 2002.
[ii] - Lettre du 15 juillet 1960 de M. Debré, citée par Albert Bourgi : « La crise globale et l’Afrique : quels changements ? », colloque de la fondation Gabriel Péri à Dakar les 18 et 19 mai 2010.
[iii] - Respectivement avec des capitaux étatiques du Gabon et de Guinée équatoriale.
[iv] - Cf. par exemple : « Guinée : sévère rappel à l’ordre de la France au président Alpha Condé », L’Express, 28 juillet 2011.
[v] - « Congo-Brazzaville, que cherche Patrick Gaubert ? », communiqué de la FIDH du 3 mars 2005
[vi] - Voir pour Transparency International : Une ONG contestée, par Pierre Abramovici, Le Monde diplomatique, novembre 2000 ; pour RSF : Financements sans frontières, Le Monde diplomatique, Hernando Calvo Ospina, juillet 2007.
[vii] - Lire Pierre Péan, La République des mallettes, Fayard, Paris, 2011.
[viii] - Sherpa, « Restitution des avoirs détournés : Chronique 2009-2010 d’un engagement qui patine », novembre 2010.
1 - « Aujourd’hui, c’est l’intervention néo-impériale qui est l’instrument utilisé pour « contenir » les pays qui peuvent fuir le contrôle du système capitaliste mondial » Gian Paolo Chalchi Novati, L’héritage de la colonisation, in « les défis de l’Etat en Afrique », Michel Galy et Elena Sanella eds., l’Harmattan, 2007.
2 - Dont on peut trouver une curieuse analyse, idéaliste, in : Raymond Aron, « En quête d’une philosophie de la politique étrangère », Revue française de science politique, 1953, Volume3, Numéro 1.
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Source : Notre Voie 19 septembre 2012
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