Libre Opinion de Jean
Kipré, militant écologiste
Depuis la période mouvementée de
l’élection présidentielle faite finalement à la place des Ivoiriens,
l’insécurité croissante de ces derniers mois démontre de la profondeur, de
l’authenticité de la tragédie ivoirienne. Force est donc de croire que dans une
guerre, même la victoire peut être une défaite.
La vie en Côte d’Ivoire continu
ainsi d’être rythmée par des tueries et une insécurité qui hier étaient mises
sur le compte des escadrons de la mort et autres sympathisants de l’ancien
régime. Aujourd’hui avec les mêmes méthodes, elles font l’objet d’une mise en
scène douteuse de l’action politique où les uns sont coupables de tout et les
autres responsables de rien. Dans ce spectacle allégorique, nous savons que dès
le départ, les premiers ont été mis en détention dans les goulags du Nord sans
une décision de justice et parfois même pour lien de parenté, tandis que les
seconds n’ont pas ménagé leurs efforts de déguisement dans des costumes avec
pour objectif d’obtenir une immunité qui les protège de toute poursuite pénale
ou qui efface de la mémoire collective, leur image de bourreaux dans cette
période ignoble de notre histoire. L’exemple le plus frappant fût l’élection du
président de l’assemblée nationale qui ne pouvait être possible qu’à partir de
40 ans suivant notre loi fondamentale. Cet arrangement qui a permis au
président actuel de l’assemblée nationale (Guillaume Soro) d’occuper ce poste,
était la manière la plus subtile de lui donner satisfaction en prolongeant son
pouvoir et son statut comme une carapace de protection face à la menace d’une
éventuelle procédure de poursuite par la CPI (Cour pénale internationale).
Face à cette vague de violence
acharnée où même des casques trouvèrent la mort, nous sommes terrés dans les
profondeurs de l’étonnement de voir que la stratégie reste toujours à
l’accablement systématique des partisans ou sympathisants de l’ancien régime
suivie d’une chasse à l’homme sans merci y compris dans les pays voisins. Les
méthodes d’arrestation ou d’enlèvement de ces personnes ne sont pas sans
rappeler celles qui étaient reprochées par le passé aux « escadrons de la
mort » ; à ce point que même la Commission dialogue, vérité et
réconciliation de Konan Banny a dû les dénoncer dans un article publié le 22
juin 2012 sur RFI en parlant « d’interpellations faites de manière
illégale par des soldats en civil et suivies de détentions parfois dans les
camps militaires ».
Mais alors, pourquoi ces
« imbéciles d’apatrides » comme les nomme si élégamment notre
éditorialiste national Venance Konan (directeur de Fraternité Matin) dans son
article sur le cynisme anti-Ouattarra, s’en prendraient-ils tout
particulièrement aux populations de leur propre bord politique ? Cela paraît
tellement grotesque, vu l’état de désorganisation dans lequel ils se trouvent
et les difficultés vécues au quotidien, qu’on ne peut s’empêcher de se poser
cette question toute simple : ces accusations répétées et permanentes des
autorités ne traduisent-elles pas en réalité un cri de peur enfoui au plus
profond de leur âme ? Quoi qu’il en soit, cette stratégie d’accusation manque
de tranchant si on se réfère à l’expertise de la ligue des droits de l’Homme en
Côte d’Ivoire qui rejoint celle de l’ancien président de l’Assemblée nationale,
Monsieur Mamadou Koulibaly. Suivant les conclusions établies, les frustrés
pro-Ouattara, les bandits profiteurs du désordre ainsi que des membres du
commando invisible dont le chef IB (Ibrahima Coulibaly) a été lâchement
assassiné par les forces favorables à Monsieur Ouattara, ont également de
fortes raisons d’en finir avec le régime du président en exercice. Alors,
emboucher dans la précipitation les trompettes médiatiques pour imposer l’idée
que les coupables de ces agissements ne sont que des pro-Gbagbo est une
mauvaise idée, car elle inscrit l’action politique des autorités dans la
manipulation. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle ait beaucoup de mal à résister
à la réalité des faits tels qu’ils se produisent au quotidien sur le terrain.
Le comble, c’est que même le principal allié du parti au pouvoir au sein du
RHDP par la voix de son secrétaire général Monsieur Djédjé Mady se désolidarise
de ces accusations de tous ordres en faisant du rétropédalage dans une
déclaration publiée le 03 août dernier : « Le
PDCI-RDA dit-il, s’inquiète vivement des informations persistantes tendant à
accréditer le convoyage d’immigrants clandestins armés pour l’occupation
intempestive de nos forêts et plantations au mépris du droit des propriétaires
terriens et des exploitants qu’ils expulsent et assassinent ».
Le PDCI-RDA réalise-t-il
subitement que la lâcheté n’est pas d’avoir peur mais de se taire face à une
réalité ? Dans tous les cas, ces propos confirment ce que le FPI (parti du
président Gbagbo) avait déjà dénoncé lors d’une conférence de presse organisée
à Abidjan-Riviéra Attoban le 15 juin dernier en ces termes : « Ce qui se passe à l’Ouest est une
terreur orchestrée par le pouvoir pour accélérer l’expropriation des paysans
autochtones dont déjà des milliers d’entre eux ont été froidement exécutés ou
se sont exilés. Les maîtres d’oeuvre de cette sale besogne au profit du pouvoir
et de la colonisation des terres de l’Ouest sont connus de l’ONUCI et des FRCI.
Leur chef de file Amadé Ouérémi qui a participé à la guerre pour la prise du
pouvoir par Alassane Ouattara, contrôle au vu et au su du pouvoir, toutes les
forêts classées du Cavally et de Goin Dedé à la frontière du Libéria, où il a été
installé des milliers de planteurs originaires de la CEDEAO. L’autre chef de
guerre burkinabé, lui aussi lourdement armé Issiaka Tiendrébéogo, contrôle
quant à lui, l’axe Taï-Grabo-San Pedro où il exproprie les paysans autochtones
par la terreur et installe ses compatriotes qui arrivent chaque jour par
convois sur les terres de l’Ouest. Ils sont donc connus et jamais interpellés
parce que en mission commandée, les acteurs des expropriations des terres
orchestrées par le pouvoir Ouattara dans le cadre de cette troisième guerre du
cacao qui a commencé aux confins de l’Ouest du pays et qui est destinée à
s’étendre sur l’ensemble du Sud de la Côte d’Ivoire ».
Faut-il
comprendre par là que le problème ivoirien va au delà de deux personnes qui ont
la prétention d’être chacun président de la République pour atteindre à celle
d’un grave danger qui confronte la Côte d’Ivoire à un destin pire que la mort ?
La meilleure façon de le savoir, c’est de s’intéresser aux véritables raisons
qui ont conduit à la mort de l’ancien ministre d’Etat Balla Kéïta…
Dans la gravité du moment, il
faut avouer que cette déclaration du PDCI-RDA lève le voile sur le fond de son
amitié et de son alliance avec le RDR qui pourrait n’être que la haine de M. Gbagbo
que ces deux partis partagent en commun. Comme c’est une question de point de
vue, c’est à chacun d’apprécier si oui ou non le RHDP est une sorte de cadre
servant de rejet aux ordures de l’âme où ils n’ont accepté de se retrouver que
pour vider le péché de la haine ressentie envers M. Gbagbo.
Contrairement à la déclaration du
premier ministre Ahoussou Jeannot, il ne suffit pas de construire un troisième
pont (baptisé du nom de Konan Bédié), une autoroute sur l’axe Abidjan-Bassam,
favoriser l’accès à l’eau potable dans telle ou telle région, ou même boucher
les trous de quelques tronçons de route pour espérer satisfaire les Ivoiriens
et les entrainer vers la paix. Celle-ci ne peut se construire que sur trois
piliers :
1 - la vérité de la crise depuis
le 19 septembre 2002 (qui a fait quoi ?)
2 - la justice pour tous et non celle des vainqueurs qui consiste à arrêter uniquement des présumés coupables du camp adverse
3 - La réconciliation, car quelle que soit notre communauté notre religion ou notre sensibilité politique, nous sommes tous condamnés à vivre les uns avec les autres.
2 - la justice pour tous et non celle des vainqueurs qui consiste à arrêter uniquement des présumés coupables du camp adverse
3 - La réconciliation, car quelle que soit notre communauté notre religion ou notre sensibilité politique, nous sommes tous condamnés à vivre les uns avec les autres.
Or, ce que ces combattants
récalcitrants voient en ce moment, c’est que certains de leurs frères d’armes
ou de leurs compagnons de lutte ont réussi avec leurs armes à se faire un
chemin pour se retrouver aujourd’hui à des postes de responsabilité. L’exemple
le plus frappant est celui de Guillaume Soro, président de l’Assemblée
nationale qui a réussi à tracer sa voie avec du sang comme encre.
Notons enfin pour bien comprendre
toute la dimension des problèmes actuels du pays, quelques actes politiques du
régime en place qui affiche ouvertement un traitement inégal des communautés en
faisant craindre le pire le moment venu : on se rappelle encore la déclaration
préliminaire du Centre Carter, organisme d’observation indépendant qui a estimé
lors du dernier découpage électoral que celui-ci devait être revu à la lumière
du principe de l’égalité du suffrage (ce qui allait dans le sens des
contestations du principal parti de l’opposition face à ce qui lui apparaissait
dès lors comme un manipulation évidente à l’égard de tous). Nous avons là un
parfait exemple d’actes qui se couvrent mal du masque de la démocratie que les
autorités actuelles invoquent à grands cris pour se justifier quand dans les
faits, elles ne se privent pas de la violer.
Il faut préciser que ce découpage
électoral pose en effet quelques problèmes d’éthique mathématique qui fait
qu’avec beaucoup moins de populations, le regroupement de l’ensemble des
régions du grand Nord favorables au président en exercice, son parti politique
disposera désormais du plus grand nombre de députés à l’assemblée nationale.
Cette manière de façonner le paysage politique pour se garantir une domination
« permanente » sans avoir besoin de l’appui majoritaire du peuple tout
entier est un danger réel pour la démocratie : elle déstabilise les autres
partis et entraîne une inégalité des communautés régionales face au vote de
leurs représentants. Il faut reconnaître que le président en exercice ne s’est
jamais caché sur ses réelles intentions en affirmant haut et fort devant la
presse, qu’ayant été tenu pendant longtemps à l’écart de la gestion des
affaires de ce pays, c’est maintenant au tour des personnes de sa communauté de
tout contrôler en occupant les postes de responsabilité ; d’où sa fameuse
politique de rattrapage mise en place. Comment peut-on s’étonner qu’après ça,
certaines personnes réagissent comme elles le font en ce moment par toutes ces
attaques ? Le propos ici est moins de juger que d’attirer l’attention sur le
fait qu’il n’y a pas meilleure façon de renvoyer le pays aux incertitudes de
son identité alors que la majorité des Ivoiriens aspirent à en sortir
désormais.
C’est pour cette raison que
contrairement aux annonces faites ici et là, cette arrivée fracassante au
pouvoir est loin d’être celle d’un sauveur dont la mission serait de bannir
l’injustice ou de niveler les inégalités dans la cité d’Houphouët-Boigny. Comme
il est souvent dit « on reconnaît un arbre à ses fruits » ; et
celui-ci a tout l’aspect d’un qui a plutôt été cultivé, taillé, traité en
Occident puis implanté en Afrique pour consolider en tant que président, le
système libéral au profit des grandes puissances et des multinationales qui
doivent tout contrôler. Nous en avons eu la preuve évidente avec l’élection de
l’Américain Jim Young Kim à la tête de la Banque mondiale malgré un profil
d’universitaire nous dit-on, avec comme expérience dans le développement de
services médicaux. Et pourtant tout indiquait la désignation comme présidente
de cette institution, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala qui, dotée d’une
expérience exceptionnelle sur les questions de développement, a brillamment
tenu des postes au sein de cette Banque mondiale où elle a travaillé à tous les
niveaux de la hiérarchie. Ce n’est donc pas exagéré de dire que depuis Breton
Woods, ces grandes puissances se sont arrangées pour mettre la main sur la
finance mondiale. Ainsi, aux Américains le contrôle de la Banque mondiale,
sachant que c’est un Américain qui doit être à la présidence de cette institution
tandis que celle du FMI (Fonds monétaire international) revient aux Européens.
Alors, l’idée même d’une monnaie unique africaine non indexée sur le franc
français pouvait remettre en cause le contrôle des Etats dont la France héberge
les réserves et les comptes d’opération. Le danger que cette idée faisait ainsi
courir à cette organisation mondiale dont les plus puissants sont toujours les
grands profiteurs, ne laissait aucun autre choix à la France de M. Sakozy
d’intervenir dans la crise ivoirienne avec autant de brutalité en délaissant
son costume de pays de droits de l’homme pour endosser celui de tueur
impitoyable.
Si certains lecteurs pensent le
contraire comme je le crois, alors quel sens donner au risque pris par les
voltigeurs du hasard que sont devenu les diplomates de ces puissances
étrangères au point d’extirper le président du Conseil constitutionnel des
locaux de la CEI afin d’assurer la victoire de Mr. Ouattara, finalement
installé grâce à cette croisade punitive de Sarkozy contre Gbagbo ?
Cette anomalie qui fait désormais
partie de l’histoire de la Côte d’Ivoire combinée à ce début de gouvernance
surprenant de brutalité et de violence, a créé une situation qui fait flamber
les passions. Alors face à cette offensive néo-colonialiste feutrée au nom de
la nouvelle théorie de « guerre de protection des populations
civiles », de plus en plus d’Ivoiriens adoptent une posture défensive.
Pour eux, vivre dans des conditions de moindre mal passe maintenant par un
accès à la liberté de façon plénière. Et ce rêve de liberté continue de les poursuivre
même dans l’infortune.
(*) - Titre original : « La Côte d’Ivoire baigne toujours dans l’eau bouillante. »
en maraude dans le Web
Sous
cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui
ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et
des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la
« crise ivoirienne ».
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Source : Connectionivoirienne.net 27
août, 2012
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