Tout va de travers en Côte d’Ivoire. L’un des plus vieux caïmans de Yamoussoukro, surnommé «chef de cabinet», en raison de sa stature imposante, a dévoré son gardien de toujours, le pauvre Dicto Toké, né vers les années trente.
A la demande de touristes qui désiraient faire une photo spectaculaire, le
vieil homme était descendu sur la berge pour poser en tenant la queue d’un
caïman. Il a glissé en remontant et a été aussitôt happé par le bas de son
boubou et dévoré par les sauriens.
Plus de vingt ans après la mort d’Houphouët-Boigny, le premier président de
la Côte d’Ivoire, qui les avait installés là, ils sont encore des dizaines à
vivre dans le lac bordant la résidence présidentielle.
La veille de cet accident, le 19 août, une statue de la Vierge Marie avait
versé des larmes de sang dans l’église saint Antoine de Padoue à Moossou, dans
l’est d’Abidjan. Le clergé local reste sceptique devant ce phénomène, en
attendant le résultat de l’analyse du liquide qui s’est écoulé de l’œil de la
Vierge.
Dix jours après ce «miracle», les pélerins défilent dans l’église où les
photos de la statue sont interdites. Une paroissienne vend à l’entrée 500
francs CFA (0,75 euro) l’image pieuse de la Vierge aux larmes de sang tandis
qu’on célèbre une messe aux mille chapelets (mille Je vous salue Marie).
Des témoins racontent que la statue ne s’est pas contentée de pleurer. Elle
aurait aussi redressé la tête, ouvert les mains. Certains affirment même
qu’elle avait les yeux d’un être humain.
«C’est une manifestation divine, soutiennent les catholiques. Dieu veut
nous signifier sa tristesse devant les maux dont souffre la Côte d’Ivoire. Et
qu’il n’est pas content du traitement qui est infligé depuis plus de seize mois
à l’ex-Première dame.»
Simone Gbagbo, toujours emprisonnée sans jugement dans le nord du pays
comme d’autres dignitaires du régime Gbagbo, est une enfant de Moossou. C’est
dans ce village enclavé au bord de la lagune qu’elle est née voilà soixante et
un an. Son père était gendarme. Elle appartient à l’ethnie Abouré, très
sourcilleuse sur l’accueil des étrangers.
Les Dioulas, les Sénoufos venus du nord, les Burkinabè, amenés en masse par
les colons français dès les années 30, pour servir de main-d’œuvre bon marché,
ont préféré s’installer de l’autre côté de la route nationale qui mène au Ghana,
à Grand-Bassam, l’ex capitale coloniale.
A l’entrée de Moossou, en face de l’église Saint
Antoine de Padoue, la maison du roi. Au bout de la longue rue qui serpente le
long de la lagune, celle du maire Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI),
décédé en 2011 de noyade après que sa pirogue a chaviré dans les eaux saumâtres
qui servent de poubelle à ciel ouvert. Et plus loin, au bord de la lagune, la
grande maison que Simone Gbagbo s’était fait construire. Sur sept hectares de
terres données par le roi à cette illustre fille du village.
(…)
Pour qui pleurait donc la Madone. Pour Guillaume Soro, l’actuel président
de l’Assemblée nationale ivoirienne, le Sénoufo catholique, qui a fait de
Moossou son village d’adoption.
C’est là qu’il venait se cacher dans les années 90 pour échapper aux
policiers lancés à ses trousses par Henri-Konan Bédié (successeur de Félix
Houphouët-Boigny, au pouvoir de 1993 à décembre 1999).
C’est d’ici, dit-on aussi, qu’ayant fui Abidjan déguisé en femme après le
coup d’Etat manqué du 19 septembre 2002, il se serait embarqué sur une pirogue
pour rejoindre le Ghana par la mer.
Les caïmans fâchés, la Vierge qui pleure, et maintenant les éléphants en
colère. Un couple d’entre-eux vient de tuer un villageois dans l’Ouest, près de
Daloa. On les croyait complètement anéantis et seulement représentés par les
footballeurs de l’équipe nationale. Mais, quelques-uns survivaient dans des
réserves. Avec la guerre de 2011, ils ont dû fuir les braconniers qui les
pourchassaient. Décidément, tout va de travers!
Et voilà un autre éléphant qui sort de sa réserve. Charles Konan Banny
(président de la Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation en
Côte d’Ivoire) avait disparu des écrans médiatiques depuis des semaines.
Mais il n’y avait pas de raison de s’inquiéter : si un pachyderme peut
survivre aux braconniers dans la brousse, un animal politique comme lui peut
tirer son épingle du jeu. Et en plus, il se met à parler.
Cela tombe bien, il est chargé de la réconciliation. Voilà le mot magique
lâché à l’heure où des attaques se multiplient, où la répression s’intensifie,
où les pro-Gbagbo dénoncent un «régime de terreur», où les barrages de «corps
habillés» (militaires et policiers) fleurissent sur les routes.
C’est promis, on va donc causer de réconciliation avec Konan Banny. Cet
éléphant, il faut l’attacher pour qu’il ne rentre pas à nouveau en brousse. Ou
demander à la Vierge de Moossou de faire un miracle. «Et là, on réclame un vrai
miracle.»
en maraude dans le Web
Sous
cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui
ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et
des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la
« crise ivoirienne ».
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