"Diendéré doit être arrêté et jugé !" |
Interview d'Hema Djaffar Ouattara
Grand maître coranique, théologien et grand
prêcheur, il est connu pour son franc-parler au Burkina Faso et même à l’étranger. Fondateur du
Comité culturel de la génération des trois Testaments (CCGT), ce marabout pas
comme les autres ne tourne jamais autour du pot quand il s’agit de répondre à
des questions. Hema Djaffar Ouattara, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous a
accordé une interview à son domicile, à Bobo-Dioulasso, le mardi 29 septembre
2015. Au cours de l’entretien, il s’est prononcé sur le coup d’Etat du 16
septembre dernier, la médiation de la CEDEAO, la dissolution du RSP, le refus
des putschistes de désarmer, etc…
Le Quotidien : Depuis le 16 septembre 2015, le Burkina Faso traverse une
crise marquée par un coup d’Etat orchestré par le Régiment de sécurité
présidentielle (RSP). Quel commentaire faites-vous de cette nouvelle donne ?
Hema Djaffar
Ouattara : L’ensemble des Burkinabè pensent que c’est une nouvelle crise. Mais
je dis non. C’est la suite de la crise enclenchée sous l’ère Compaoré.
N’oubliez pas que Diendéré est un proche de Blaise Compaoré. Nous sommes tous
ses proches, mais Diendéré est encore plus proches de lui. A entendre les gens,
l’acte posé par le général est une surprise. Je vous dis qu’il y a plusieurs
personnes dans ce pays et ailleurs que le coup d’Etat n’a pas surpris.
Plusieurs personnes comme qui par exemple ?
Moi j’en fais
partie. Je sais aussi que je ne suis pas le seul à le savoir. Mais les autres,
je ne les connais pas. Vous êtes peut être mieux placé pour le savoir.
Est-ce que vous soupçonnez Blaise Compaoré ?
Je vous ai
dit que ce coup d’Etat est une suite logique de la crise qui a mis Blaise
Compaoré hors de ce pays.
Pouvait-on éviter cette situation après le départ de Blaise Compaoré ?
Bien sûr que
oui ! Quand on met hors d’état de nuire une hyène, il faut que son petit le
suive. Si vous le laissez, il n’est pas exclu qu’il fasse pire que son père.
Après le départ de Blaise, on devrait mettre Diendéré hors d’état de nuire. On
l’a peut-être oublié. Mais, ce sont des leçons à prendre en compte.
Yayi Boni et Macky Sall à leur arrivée à Ouaga |
Pour résoudre la crise, la CEDEAO avait initié une médiation conduite par
les présidents sénégalais et béninois qui du reste, a fait des propositions. Un
commentaire sur la médiation de la CEDEAO ?
Dites-moi,
depuis que vous êtes là, avez-vous déjà entendu que la CEDEAO a résolu une
crise dans un état membre ? Jamais ! Ce sont les ennemis de chaque pays qui y
sont réunis ! Ils ne peuvent pas résoudre une crise. Par ailleurs, les
propositions de sortie de crise élaborées par la CEDEAO attestent qu’elle est
du côté de l’ennemi du Burkina Faso. La CEDEAO n’aime pas le Burkina Faso.
Regardez vous-mêmes ce qu’on demande aux Burkinabè. C’est comme ça qu’on résout
une crise ? Une crise se résout en se basant sur la vérité. Un type comme Yayi
Boni peut-il trouver une solution à la crise burkinabè ? Yayi est un ami de
Blaise Compaoré. Il est donc l’ami de Diendéré ; il n’aime pas le Burkina
Faso, encore moins les Burkinabè. Quant à Macky Sall, on pensait qu’il allait
poser des actes forts. En réalité il est venu pour ses propres besoins, car il
semble qu’il aurait emmené avec lui la femme de Diendéré à Dakar.
Parmi les propositions faites par la CEDEAO, il y a un point qui demandait
que les putschistes soient amnistiés. Comment appréciez-vous cette disposition
?
Qui a proposé
cela ? N’est-ce pas la CEDEAO ? Ce n’est pas étonnant. Quelqu'un qui tue
des gens, vous nous dites de lui pardonner. Un autre viendra tuer et on lui
pardonnera aussi. Finalement, dans le pays, les tueries ne prendront pas fin
puisque les tueurs sont pardonnés. C’est une bonne chose cela ? L’homme a été
créé à l’image de Dieu. Si l’image de Dieu tue son semblable, celui qui a tué
est qualifié de démon. Et le démon n’a jamais été l’associé des enfants de
Dieu. Celui qui est capable de tuer un homme, il est capable d’en tuer
plusieurs. Cette personne-là est un démon. Il faut l’écarter de peur qu’il ne
contamine d’autres personnes. Il faut que Diendéré soit arrêté et jugé.
Après le coup d’Etat manqué, le premier Conseil des ministres a pris
d’importantes décisions parmi lesquelles la dissolution du RSP qui a été
décrétée. Comment les appréciez-vous ?
Il fallait
s’y attendre. Il faut que Diendéré et ses éléments partent. Ce n’est pas la
transition qui demande la dissolution du RSP, mais plutôt les Burkinabè. Ça ne
devrait donc pas poser de problème. Quant au gouvernement, c’était la meilleure
des décisions à prendre. Il n’y avait pas mieux que cela.
Mais aujourd'hui, il y a un autre problème qui se pose. Diendéré refuse le
désarmement. Comment qualifiez-vous cette volte-face ?
Attendez !
Qu’attendiez-vous de Diendéré ? J’ai l’impression que les Burkinabè ne
connaissent pas ce type ! C’est un traître ! Un traître a toujours été comme ça
! Il voulait juste jouer sur le temps pour mieux se préparer. Diendéré refuse
le désarmement pour lui-même. Tout le combat qu’il mène est pour lui et
lui-seul.
Face à cette situation, ne pensez-vous pas que l’armée doit prendre ses responsabilités
?
Oui ! L’armée
doit prendre ses responsabilités. Mais comme vous le savez, ce n’est pas
l’armée qui a renversé Blaise Compaoré, mais la population. Quand l’armée
comprendra que ce même peuple refuse que le RSP reste en l’état, elle prendra
ses responsabilités pour le faire partir. Sinon, dire que l’armée n’est pas en
mesure de faire partir le RSP, c’est faux. Ce ne sont pas les armements qui
comptent, mais des hommes courageux.
Djaffar sera-t-il prêt aujourd'hui à combattre auprès des forces armées
nationales pour libérer le pays ?
Si on me
donne un fusil, je sors pour combattre avec elles.
Dans un communiqué du gouvernement, Djibril Bassolé serait impliqué dans le
putsch et des forces étrangères, notamment des djihadistes auraient été
appelées par ceux-ci pour les secourir. N’avez-vous pas peur ?
Vous savez,
celui qui doit mourir demain ne meurt pas aujourd'hui. Si cela est avéré, les djihadistes
pourront-ils faire le choix entre les parents de ceux qui leur ont fait appel
et l’ensemble des Burkinabè ? Je ne crois pas à cela. Quant à l’implication de
Djibril, on ne peut rien dire parce que lui-même nie les faits. De toutes les
façons, ce qui sort de la bouche n’est pas forcement ce que pense le cœur.
Quelles solutions proposez-vous pour sortir de cette impasse ?
Diendéré seul
ne doit pas narguer la population. L’armée et le gouvernement ont certainement
la solution. Quant à nous, nous ne faisons qu’invoquer Dieu pour qu’il touche
le cœur de Diendéré et ses amis afin qu’ils comprennent la nécessité de déposer
les armes. N’oublions pas que Diendéré est un Burkinabé. Il a seulement oublié
son serment peut-être. Sinon, il a été formé pour défendre le Burkina Faso.
S’il se transforme en celui qui combat le Burkina Faso, c’est sûr qu’il peut
oublier ses engagements.
Face à ces soubresauts, il est évident qu’on va vers une prolongation de la
transition. Un commentaire ?
Le Burkina va
retrouver sa paix d'antan. Le pays sera tranquille. Mais avant, il faut faire
le ménage. Pour cela, il faut prendre du temps pour bien faire les choses. Et
je crois que cette crise est le dernier virage. Il ne sert à rien de se
précipiter faire les choses et quelque temps après, retomber dans la même
situation. Si on se précipite pour aller aux élections sans résoudre la
question du RSP, même le président qui sera issu de ces élections sera victime
d’un coup d’Etat.
Justement à propos des élections. Le pays organisera incessamment
l’élection présidentielle. Djaffar a-t-il un candidat préféré ?
Rire (…).
Bien sûr que j’ai un candidat préféré. Tous les candidats sont mes candidats.
Je vais les soutenir tous. Mon président sera celui que Dieu aura choisi pour
le Burkina Faso.
Propos recueillis par Mady BAZIE
Source : Le Quotidien 30 septembre
2015
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