Extrait de l'interview de l'abbé Augustin Obrou, responsable de la Communication de l’archidiocèse d’Abidjan, par Charles d'Almeida, L'Inter 22 octobre 2015
Q -Pourtant l'un des vôtres, le père Jean-Claude
Djéréké, (...) dénonce les relations trop étroites, voire de complicité, que
l'Eglise catholique de Côte d'Ivoire entretient avec l'actuel pouvoir, au point
de fermer les yeux sur de nombreux faits liés à la crise ivoirienne. Il s'agit,
entre autres, de crimes, du gel des avoirs des dignitaires de l'ancien régime,
de l'embargo sur les médicaments, etc. Qu'en dites-vous ?
R -Je respecte les opinions du père Djéréké, il a le
droit de dire ce qu'il pense. C'est la liberté des enfants de dieu. Cependant,
je pense pour ma part qu'il approche de trop loin la réalité du pays. Il me donne
l'impression d'être comme certains journalistes occidentaux qui sont chez eux
et qui se disent de manière prétentieuse spécialistes de l'Afrique, du
Moyen-Orient, etc. A propos du gel des médicaments, l'Eglise a évoqué le sujet,
j'ai même un document audio dans lequel une radio qui émettait durant la crise
montait les populations contre l'archevêque, tout simplement parce que celui-ci
avait déclaré qu'il est inconcevable qu'on bloque les médicaments. J'ai relayé
cet appel, et lesdites chaînes nous ont traités de tous les noms. Le père
Djéréké a le droit de penser ce qu'il veut, mais nous qui sommes ici, nous
savons ce que nous avons fait et dit. L'Eglise est en marche et nous attendons
qu'il rentre au pays pour apporter sa pierre à sa construction.
Extrait de l'interview de l'abbé Augustin Obrou, responsable de la Communication de l’archidiocèse d’Abidjan, par Charles d'Almeida, L'Inter 22 octobre 2015
Q -Pourtant l'un des vôtres, le père Jean-Claude
Djéréké, (...) dénonce les relations trop étroites, voire de complicité, que
l'Eglise catholique de Côte d'Ivoire entretient avec l'actuel pouvoir, au point
de fermer les yeux sur de nombreux faits liés à la crise ivoirienne. Il s'agit,
entre autres, de crimes, du gel des avoirs des dignitaires de l'ancien régime,
de l'embargo sur les médicaments, etc. Qu'en dites-vous ?
R -Je respecte les opinions du père Djéréké, il a le
droit de dire ce qu'il pense. C'est la liberté des enfants de dieu. Cependant,
je pense pour ma part qu'il approche de trop loin la réalité du pays. Il me donne
l'impression d'être comme certains journalistes occidentaux qui sont chez eux
et qui se disent de manière prétentieuse spécialistes de l'Afrique, du
Moyen-Orient, etc. A propos du gel des médicaments, l'Eglise a évoqué le sujet,
j'ai même un document audio dans lequel une radio qui émettait durant la crise
montait les populations contre l'archevêque, tout simplement parce que celui-ci
avait déclaré qu'il est inconcevable qu'on bloque les médicaments. J'ai relayé
cet appel, et lesdites chaînes nous ont traités de tous les noms. Le père
Djéréké a le droit de penser ce qu'il veut, mais nous qui sommes ici, nous
savons ce que nous avons fait et dit. L'Eglise est en marche et nous attendons
qu'il rentre au pays pour apporter sa pierre à sa construction.
LA RÉPONSE DE JEAN-CLAUDE DJÉRÉKÉ
J.-C. Djéréké |
L’abbé Augustin Obrou a
accordé une interview au quotidien abidjanais L’Inter. L’interview, réalisée par Charles
d’Almeida, a été publiée dans le même journal, le 21 octobre 2015. Sur certains
sujets abordés dans l’entretien, je me sens en accord avec Obrou. Ainsi, je
partage avec lui l’idée que quiconque donne de l’argent à l’Église catholique
ne devrait pas penser qu’il pourrait la faire taire ou l’empêcher de dire ce
qu’elle pense. Car, comme l’a bien perçu Mgr Paul Ouédraogo, la mission de
l’Église « ne se limite pas à annoncer la Bonne Nouvelle et l’Évangile
sans se soucier des conditions dans lesquelles vivent les populations. L’Église
a non seulement le droit, mais aussi le devoir de regarder toujours le
politique, de lui rappeler sans cesse que l’autorité n’est pas une fin en soi
mais un service. L’Église a donc un devoir de vigilance » (cf. www.la-croix.com 4 octobre 2015). Ce devoir de vigilance, les évêques catholiques du
Burkina et de la RDC s’en sont admirablement acquittés en 2014 en s’opposant
clairement et publiquement à une modification de la constitution qui, si elle
avait eu lieu, aurait permis à Blaise Compaoré et à Joseph Kabila de briguer un
3e mandat présidentiel. Il en va différemment en Côte d’Ivoire où aucun évêque
n’a trouvé à redire sur l’élection du 25 octobre 2015 dont tout le monde sait
qu’elle était truquée et gagnée d’avance par Dramane Ouattara, le sous-préfet
d’une France colonialiste, affairiste et raciste.
Un autre point sur lequel je donne raison à Augustin
Obrou, c’est que le prêtre a le droit (et même le devoir) de célébrer l’Eucharistie
partout où se trouvent des fidèles catholiques. Par conséquent, les prêtres qui
sont allés dire la messe à l’hôtel du Golf et à l’hôtel « La Pergola »
n’ont commis aucun crime et ne devraient pas, pour cela, être soupçonnés de
rouler pour le RDR ou pour le FPI. Tels sont nos points de convergence. Il
existe, néanmoins, des points de divergence entre nous et ils sont au nombre de
3. Les voici :
1) Les évêques et Ahouanan ;
2) L’Église catholique et le criminel embargo sur les
médicaments ;
3) Les visites qu’Obrou aurait effectuées avec Jean-Pierre
Kutwã à Bouna et à Katiola.
1) Les évêques et la nomination de Siméon Ahouanan à la tête de
la Conariv
Pour Obrou, les évêques catholiques de Côte d’Ivoire ne se
sont pas désolidarisés d’Ahouanan mais se sont contentés d’expliquer comment
l’Église fonctionne. Il ajoute que la conférence épiscopale n’a pas refusé de
« soutenir Ahouanan dans la mission que le pouvoir venait de lui
confier ». Avant d’en donner ma propre interprétation, je voudrais que le
lecteur lise ou relise avec moi le communiqué rendu public par les évêques au
terme de leur 101ème assemblée plénière :
« Le mercredi 25 mars 2015, écrivent les évêques
ivoiriens, Mgr Paul Siméon AHOUANAN DJRO, archevêque métropolitain de Bouaké, a
été nommé Président de la Commission Nationale pour la Réconciliation et
l’Indemnisation des victimes (Conariv). Les archevêques et évêques de Côte
d’Ivoire tiennent à informer les membres du clergé, les religieux, les
religieuses et les fidèles laïcs qu’ils n’ont été associés ni de près ni de
loin par leur confrère à cet engagement. C’est pourquoi dans l’esprit du canon
285 du Code de droit canonique de 1983, ils tiennent à préciser qu’ils ne sont
pas comptables des actes qu’il posera dans l’exercice de sa nouvelle charge à
la tête de la Conariv.
Fait à Taabo, le 10 mai 2015. Les archevêques et évêques catholiques
de Côte d’Ivoire ».
Le verbe « soutenir » apparaît-il une seule fois
dans le communiqué des évêques ivoiriens ? Quand les prélats déclarent qu’ils
« n’ont été associés ni de près ni de loin par leur confrère à cet
engagement [la nomination d’Ahouanan à la tête de la Conariv] et tiennent à
préciser qu’ils ne sont pas comptables des actes qu’il posera dans l’exercice
de sa nouvelle charge », comment doit-on interpréter cela ? N’est-ce pas
un cinglant désaveu ?
2) L’Église et la question de l’embargo sur les médicaments
Obrou estime que « l’Église a évoqué le sujet »
et que, de l’avis de Kutwã, il était « inconcevable de bloquer les
médicaments ». Mais où et quand ce sujet a-t-il été évoqué par la
conférence épiscopale ? Quand on sait que l’Église catholique a coutume de
mettre par écrit et d’archiver ses déclarations, communiqués et lettres
pastorales, parce que « verba volant, scripta manent » (les paroles
s’envolent, les écrits restent), il est tout de même curieux qu’on ne trouve,
sur le site web des évêques, aucun texte condamnant le criminel embargo sur les
médicaments. Obrou, qui a en charge la communication de l’archevêque d’Abidjan
et qui est prompt à s’adresser à la presse nationale et internationale sur des
sujets de moindre importance, pourquoi ne nous a-t-il pas fait savoir plus tôt
que son « patron » ne voulait pas que les malades ivoiriens soient
privés de médicaments ? Pourquoi les radios et journaux catholiques et
non-catholiques n’ont-ils jamais fait cas de ce sujet ? Obrou nous prend-il
pour des imbéciles confondant vessies et lanternes ?
3) Les visites que Kutwã et Obrou auraient effectuées à Bouna et
Katiola
Obrou mentionne également que Kutwã et lui-même ont rendu
visite aux prisonniers politiques de Katiola et de Bouna et que, lors de ces
visites, ni la télévision ni les journalistes n’étaient avec eux. Raison pour
laquelle personne n’en fut informé. Sauf erreur de ma part, quand Mgr Paul
Dacoury-Tabley rendit visite à Simone Gbagbo à Odienné, il n’y avait non plus
ni télé, ni journalistes pour l’accompagner. Et pourtant, la nouvelle de cette
visite parvint aux oreilles de la nation entière. À supposer que les visites
d’Obrou et de Kutwã aient été vraiment effectuées et à supposer que l’Église
n’ait pas voulu divulguer cela parce qu’elle ne trouvait pas nécessaire de le crier
sur tous les toits, pourquoi juge-t-elle important aujourd’hui de mettre sur la
place publique ce que seuls Dieu, l’Église, les prisonniers et leurs geôliers
devraient connaître ? Le silence sur les bonnes actions de l’Église peut-il
être observé à certains moments et pas à d’autres moments ?
Je ne peux terminer ce droit de réponse sans réagir à ce
que dit Obrou sur ma personne. Obrou fait remarquer que j’aborde « de trop
loin la réalité ». Le chargé de communication de Kutwã veut-il dire par là
que seules les personnes vivant et travaillant en Côte d’Ivoire sont aptes à en
parler avec justesse et compétence ? Peut-il disqualifier les paroles du pape
François sur l’Église en Côte d’Ivoire parce qu’il vit au Vatican ? J’étais au
pays entre 2009 et 2012 et n’en suis parti que le 12 avril 2012, c’est-à-dire
après les violences de 2010-2011. Qu’on ne raconte donc pas que je n’étais pas
là quand les Ivoiriens étaient bombardés par les avions franco-onusiens. Je
suis retourné en Côte d’Ivoire chaque année entre 2003 et 2009 pour les
recherches liées à ma thèse sur l’Église catholique et la Politique en Côte
d’Ivoire. Les gens qui m’informent sur la Côte d’Ivoire, via les mails, le
téléphone ou les journaux, ne vivent-ils pas en Côte d’Ivoire comme Obrou ? La
Côte d’Ivoire d’Obrou est-elle si différente de celle de mes informateurs ?
Quoi qu’il en soit, le nouveau curé de Saint Jacques des
Deux Plateaux devrait comprendre que point n’est besoin de vivre nécessairement
quelque part pour savoir ce qui s’y passe vraiment. Je trouve donc déplacé et
insensé qu’il me compare à « certains journalistes occidentaux qui sont
chez eux et qui se disent de manière prétentieuse spécialistes de l’Afrique, du
Moyen-Orient ». Je ne suis certainement pas un spécialiste du Moyen-Orient
mais ce n’est pas Obrou qui pourrait me dire ce qu’est la Côte d’Ivoire et
pourquoi elle est malade depuis 1990. À lui et à d’autres personnes qui croient
à tort que ceux qui sont restés au pays seraient plus courageux que ceux qui
ont pris le chemin de l’exil, je voudrais répondre ceci : Quand on est chargé
de communication du conseiller de Dramane Ouattara, on ne risque évidemment
rien ; on est plutôt protégé et on peut même vivre aux frais de la princesse.
On ne peut donc pas songer à s’exiler.
Ce que je voudrais souligner ici, c’est qu’on ne quitte
jamais son pays de gaîté de cœur et que, si certains sont obligés de partir, la
mort dans l’âme, c’est parce que leur vie est en danger et/ou parce que
certaines personnes au pays refusent de leur faire de la place. Lui, Obrou, que
ferait-il s’il recevait plusieurs fois des menaces de mort parce qu’il pense
autrement que ceux qui sont au pouvoir ; si l’archidiocèse d’Abidjan était
dirigé par un évêque et des prêtres krous et si ces derniers lui fermaient les
portes des paroisses et presbytères d’Abidjan, uniquement parce qu’il est Akan ?
Si j’étais à la place d’Obrou, au lieu d’accuser facilement et injustement ceux
qui sont partis d’être déconnectés de la réalité, d’avoir fui et de se la
couler douce à l’extérieur, je me serais posé les questions suivantes :
qu’ai-je fait pour que X, Y et Z ne quittent pas le pays ? Ai-je reconnu leurs
talents et leur ai-je donné l’opportunité d’exercer ces talents et de
participer ainsi à la construction de l’Église et du pays ? Le désir de
travailler chez soi après avoir étudié plusieurs années à l’étranger n’a jamais
manqué. Ce qui manque, dans nos pays, c’est la capacité d’accueillir celui qui
pourrait faire mieux que nous, celui qui est compétent mais n’est pas de notre
ethnie ou ne pense pas comme nous.
La dernière remarque que je voudrais faire, c’est que
vivre en exil ne signifie pas nécessairement qu’on y mène une vie douillette ou
qu’on s’y tourne les pouces matin, midi, soir. Contrairement à maints prêtres
du pays qui n’ont plus rien à faire après la messe du matin et ne peuvent vivre
sans la dîme, les dons, quêtes et rackets des fidèles, je suis obligé de me
battre, de travailler nuit et jour comme Saint Paul (2 Thessaloniciens 3,7-8),
pour gagner ma vie et ne dépendre de personne. En d’autres mots, et sans
chercher à me mettre en valeur, j’enseigne dans deux Universités et il m’arrive
parfois de me lever à 4h pour préparer mes cours, corriger les devoirs/travaux
de mes étudiants ou écrire des articles. Et écrire sur la Côte d’Ivoire est une
manière de participer au combat pour que notre pays retrouve sa souveraineté.
Ce combat, ce n’est pas uniquement à Abidjan qu’il doit être mené. Car tous les
Juifs qui travaillent pour Israël ne résident pas à Jérusalem ou à Tel Aviv.
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