UNE ANALYSE DE NOTRE COLLABORATEUR YOUKELI A L’OCCASION
DE LA CAMPAGNE ELECTORALE EN COURS.
Sous la domination française, la Côte-d’Ivoire fut une
colonie prospère au sein de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Indépendante
depuis 1960, la Côte-d’Ivoire a connu une croissance exceptionnelle jusqu’en
1980. Ce fut ce qu’on a appelé le « miracle ivoirien », une période
marquée par de gros investissements français et une forte immigration de
travailleurs de la sous régions et de commerçants Libano-Syriens. Cette
croissance reposait sur trois piliers :
- d’abord l’exportation de matières premières telles que le café, le cacao, le bois etc.,
- ensuite les investissements français,
- et enfin le fort taux d’endettement de l’Etat ivoirien.
Ce début d’expansion économique a permis aux
Libano-Syriens et à la petite bourgeoisie ivoirienne et africaine de
s’enrichir. Mais ce sont surtout les entreprises françaises qui ont été les
grandes bénéficiaires de ce développement.
La croissance de l’économie ivoirienne reposait, avant
tout, sur la conjoncture internationale favorable, c’est-à-dire la montée des
prix des matières premières exportées ainsi que l’accroissement des
investissements étrangers. L’économie ivoirienne était extravertie, elle dépendait
plus de l’extérieur que de la Côte-d’Ivoire elle-même.
A la fin des années 70, les prix des matières
premières d’exportation ont subi une baisse drastique. Les investissements
diminuèrent à leur tour. Ce fut le début de la crise économique. L’Etat de Côte-d’Ivoire
fit, alors, appel au Fonds Monétaire Internationale (FMI). Cette institution
appliqua au pays un remède de cheval qui, au lieu de guérir le mal, l’aggrava.
En effet, par les politiques d’ajustement structurel,
le FMI imposa la privatisation des sociétés d’Etat, le dégraissement de la
fonction publique, l’arrêt des investissements sociaux, la diminution des
salaires ou leur gel. La crise sociale qui en découle sera aggravée par la
disparition d’Houphouët-Boigny. La lutte pour sa succession commence dès le
lendemain de l’annonce du décès, en décembre 1993. Elle oppose Henri Konan
Bédié, le président de
l’Assemblée nationale et dauphin constitutionnel, à Alassane Dramane
Ouattara, le Premier ministre Bédié l’emporte et succède à Houphouët-Boigny,
mais la lutte larvée continuait cependant. Bédié lance un mandat d’arrêt
international contre Alassane Dramane Ouattara qui a dû s’exiler. En décembre
1999, la Côte-d’Ivoire connait
son premier coup d’Etat. Bédié est chassé du pouvoir et Ouattara rentre dans l’espoir de récupérer
le pouvoir. Mais c’est la déception. Le général Guéi, auteur du coup d’Etat,
veut garder le pouvoir par
devers lui. Il organise un référendum pour une nouvelle constitution
dont l’article 35 ne permet pas à Ouattara
de se présenter à l’élection présidentielle. C’est Laurent Gbagbo qui est élu
en octobre 2000. En 2002, un coup d’Etat manqué contre le nouveau président se
transforme en une rébellion qui coupe la Côte-d’Ivoire en deux et durera près
de dix ans. La France et l’ONU s’interposent.
Les élections
organisées en 2010 devaient mettre fin à cette longue et tragique crise.
Malheureusement, elles ont plongé le pays dans un sanglant conflit
postélectoral qui a fait des dizaines de milliers de morts, des centaines de
milliers de déplacés, des centaines de milliers d’exilés et des milliers de
prisonniers. Le président Laurent Gbagbo est capturé et transféré à la Cour pénale
internationale (CPI), pour y être jugé pour crime contre l’humanité. Alassane
Dramane Ouattara est imposé, à la Côte-d’Ivoire, comme président, par la
« Communauté Internationale », c’est-à-dire par la France, ses alliés et ses vassaux africains.
A QUOI BON SUIVRE LA LOI, TANT QUE LA FRANCE NOUS SUIT. |
Cinq ans après, le
désarmement n’est toujours pas réalisé. L’insécurité règne partout. La
réconciliation ne peut pas se réaliser parce que, avec sa justice des
vainqueurs, le camp Ouattara règne par la terreur. Pendant ce temps, la
paupérisation des citoyens ne cesse de s’accroître. Plus de 50% des Ivoiriens
vivent sous le seuil de pauvreté.
C’est cette Côte-d’Ivoire,
dans un état lamentable, qui va aller à des élections présidentielles dans
quelques jours, et la campagne électorale qui bat son plein, depuis des mois
déjà, tourne uniquement autour des hommes qui ont la prétention de gérer demain
le pays. Les candidats rivalisent : qui aura rendu visite à Gbagbo Laurent
à la Haye ? ; qui se sera rendu à Paris un grand nombre de fois ? ; qui prétendra, le mieux,
être l’héritier d’Houphouët-Boigny ?
Depuis
plus d’un demi-siècle qu’ils sont indépendants, les pays africains francophones
en général, et la Côte-d’Ivoire
en particulier, ont de la peine à s’approprier leur potentiel naturel, humain,
politique et culturel. C’est pourquoi, à notre avis, la problématique pour les
prochaines élections présidentielles en Côte-d’Ivoire, le vrai débat, doit se
situer au niveau de l’appropriation de notre souveraineté politique, économique
et culturelle. C’est de ce débat que dépend l’avenir du pays et de ses
populations, et non des qualités spécifiques des candidats. Ce que les
Ivoiriens attendent, c’est une réflexion sur les choix politiques depuis Houphouët-Boigny jusqu’à aujourd’hui,
pour comprendre pourquoi ces choix ont conduits à l’échec patent
d’aujourd’hui ? C’est cette question que les candidats à l’élection présidentielle
doivent poser, et c’est à cette question qu’ils doivent donner une réponse.
Mais jusqu’à ce jour, aucun des prétendants au fauteuil présidentiel n’ose la
poser, encore moins y répondre.
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En
parcourant les 55 ans de notre indépendance, nous nous rendons compte que les
programmes de développement de la Côte-d’Ivoire, comme ceux de la plupart des anciennes colonies
françaises, ont été suggérés et conduits, dès le commencement, par la France.
Par
les accords signés dès le lendemain de l’indépendance, la France a proposé et
piloté la coopération et l’aide, par l’endettement. C’est encore elle qui,
quand ce programme a montré ses limites, a conseillé à la Côte-d’Ivoire de confier son sort
aux organisations de Bretton Woods que sont la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. Les
remèdes appliqués par ses deux institutions ont aggravé le mal au lieu de le
guérir. En effet, l’intervention du FMI et de la Banque Mondiale est à
l’origine de la crise économique et sociale qui a abouti à la rébellion de
2002.
Aujourd’hui,
la Côte-d’Ivoire est un pays déchiré, sinistré dont la population est dans la
détresse, parce que la politique menée depuis l’accession à l’indépendance a
échoué.
Pourquoi ?
Parce que la Côte-d’Ivoire
n’a pas assumé sa souveraineté. Elle a laissé son destin entre les mains de
l’ancienne puissance coloniale au plan sécuritaire, économique et culturel.
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Au
plan sécuritaire, dès la proclamation de l’indépendance, les autorités
ivoiriennes donnent à l’ancienne puissance coloniale le droit de maintenir son
armée sur le territoire ivoirien. L’armée française a le droit de circuler
librement sur tout le territoire, dans les espaces aériens et dans les eaux
territoriales, d’utiliser les installations portuaires maritimes et fluviales.
L’armée française peut se servir des infrastructures routières, ferroviaires,
aériennes et des réseaux postaux et de télécommunication. N’est-ce pas
abandonner sa souveraineté que de reconnatre à la France la libre disposition
des installations civiles et militaires du pays ?
Contre quel ennemi
la France prétend-elle assister la Côte-d’Ivoire ? Elle est plutôt là pour
protéger ses propres intérêts. C’est pourquoi, au lieu de s’installer aux
frontières, c’est dans la capitale que son armée est basée, prête à réprimer
tout soulèvement du peuple contre le pouvoir en place qu’elle soutient.
La Côte-d’Ivoire doit-elle
continuer à confier sa sécurité à un autre Etat ? Voilà la question à laquelle
doivent répondre les candidats aux élections présidentielles en Côte-d’Ivoire.
Au
plan économique, la colonisation était un régime d’expansion économique des
puissances européennes, dont l’industrialisation nécessitait l’exploitation des
matières premières des pays colonisés.
Les colonies ont été pendant plus d’un demi-siècle des monopoles économiques
pour chaque pays colonisateur. Les relations économiques entre colonies et
métropole étaient basées
sur le commerce inégal. Les colonies devaient fournir, à vil prix, les matières
premières aux industries de leur métropole. Il était interdit aux colonies de
transformer leurs matières premières ou de les vendre à d’autres pays. Les pays
colonisés devaient se fournir, exclusivement, en produits finis par leurs métropoles. Il
était interdit aux colonies de commercer entre elles, même quand elles
dépendaient d’un même colonisateur.
L’indépendance
n’a pas changé grand-chose en Côte-d’Ivoire,
puisque dans les accords de
coopération, la vente des matières premières et des ressources énergétiques est
réservée en priorité à la France. Les multinationales et les entreprises
françaises dominent l’économie ivoirienne. Les secteurs stratégiques tels que
l’eau, l’électricité, les télécommunications et les ports sont entre leurs
mains. La cerise sur le gâteau, c’est encore la France qui contrôle la
monnaie utilisé en Côte-d’Ivoire, le franc CFA.
Puisque
c’est la souveraineté économique qui conduit à une véritable souveraineté
politique, n’est-il pas temps que la Côte-d’Ivoire s’approprie ses ressources
naturelles et les exploitent aux bénéfices de ses populations ? Voilà le
débat qui doit s’instaurer aujourd’hui, en Côte-d’Ivoire.
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Au
plan culturel, la marginalisation des cultures traditionnelles de la Côte-d’Ivoire,
commencée sous la colonisation, se poursuit encore, plus d’un demi-siècle après
l’indépendance. Les dégâts sont très importants et même irréversibles. Comme au
temps colonial, nos arts sont considérés comme du folklore pour distraire dans
les manifestations publiques. Aucune des langues ivoiriennes n’a pu résister à
la langue française qui règne en maître dans nos marchés et dans nos écoles. L’élite
ivoirienne, celle qui détient les pouvoirs économique et politique, s’est
détournée des cultures traditionnelles. Les enfants de cette classe sociale sont
même envoyés dans les pays occidentaux pour mieux s’imprégner de la culture
occidentale.
Les
religions chrétienne et islamique ont petit à petit supplanté les religions
traditionnelles, considérées comme démoniaques par les nouveaux fidèles.
La
domination culturelle est plus pernicieuse et plus dévastatrice. En effet, elle
impose un mimétisme qui stérilise les potentialités créatrices de la société en
quête de développement.
Un
débat s’impose sur le rôle que doit jouer la culture dans l’enracinement du
développement de la Côte-d’Ivoire. Comme le disait Bernard Dadié :
« La culture, ce n’est pas seulement une
question de création ou de créativité ; c’est tout l’homme. Et c’est pourquoi
le problème de son développement se pose (...) Il nous faut donc travailler à
la construction d’une nouvelle société qui intègre concrètement dans le
processus global de son développement nos valeurs culturelles (...). Trop
longtemps conçu en fonction de la seule réalité économique, le développement
doit désormais être perçu comme un phénomène global dans lequel les éléments
culturels jouent un rôle de premier plan. Considérer le développement culturel
comme une dimension essentielle du développement intégral, c’est reconnaître
que, si la croissance économique est un facteur fondamental du développement,
ce sont bien des choix d’ordre culturel qui en déterminent l’orientation et
l’utilisation au service des individus et des sociétés, en vue de la
satisfaction de leurs besoins et de leurs aspirations légitimes. Ainsi, la
croissance économique, qui est certes la clé du développement, cesse d’être en
elle-même une finalité. Elle devient un moyen permettant de satisfaire les
besoins de tous, y compris celui d’une possibilité d’épanouissement
complet. » (Fraternité Matin 22 octobre 1985, p.6).
Si
un pays sans souveraineté peut difficilement être maître de son destin, la
souveraineté, à elle seule, n’est pas capable de relever tous les défis
auxquels la Côte-d’Ivoire et les autres pays africains sont confrontés
aujourd’hui. C’est pourquoi, nous sommes persuadés que tant que la Côte-d’Ivoire n’acquiert pas sa souveraineté, il lui sera difficile d’atteindre
l’émergence dans quatre ans comme le prophétise Alassane Dramane Ouattara. Quel
pouvoir aurait-elle face à la France et aux multinationales telles que Bolloré,
Bouygues ou Total ?
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L’émergence de la Côte-d’Ivoire,
qui est devenue l’antienne du régime
actuel, est une illusion, sinon, une duperie. N’est-ce pas la relative
prospérité de la Côte-d’Ivoire qui est à l’origine de la forte immigration,
elle-même responsable de la crise politico-militaire dont les conséquences ne
sont pas près de se dissiper ? Comment la Côte-d’Ivoire émergente
pourra-telle contenir les jeunes Maliens ou Burkinabès à la recherche
d’éducation, de soins et d’emplois ? Est-ce que les jeunes Africains qui n’ont
pas peur du désert du Sahara et de la mer Méditerranée s’interdiront de
traverser les frontières tout à fait artificielles de la Côte-d’Ivoire ?
Certainement non !
¤
La
Côte-d’Ivoire ne saurait être un pays développé au milieu de pays pauvres. Elle
ne saurait être une enclave riche dans un océan de pauvreté, un point blanc sur
une page noire. Aucun petit Etat africain n’ira seul au développement. Le défi
d’accéder au développement passe par la formation de grands ensembles. Jamais
des brindilles séparées ne formeront un balai capable d’éliminer la pauvreté
que subissent les populations africaines. Les pays qui, à travers le monde, ont
voulu résister à l’impérialisme ont dû payer le prix : Cuba et le Venezuela
en Amérique latine, la Guinée de Sékou Touré et le Zimbabwe de Robert Mugabe en Afrique noire. Ceux
qui refusent la domination de l’occident trouveront le succès dans leur volonté
commune d’unir leurs forces contre l’impérialisme.
¤
Il
est urgent que les pays africains s’unissent en grands ensembles capables de
tenir tête à l’impérialisme international. L’Afrique est un continent riche. Elle
dispose de grandes ressources naturelles et agricoles, de produits énergétiques
tels que le pétrole, le gaz et d’un puissant réseau hydrographique,
susceptibles de lui fournir une grande quantité d’énergie. Mais toutes ces
ressources sont bradées par les responsables politiques des pays africains aux
pays industrialisés. Si les pays africains demeurent isolés les uns des autres,
les grandes puissances et les multinationales les briseront les uns après les
autres comme les brindilles d’un balai. C’est une Afrique de grands ensembles,
disposant d’un pouvoir de négociation plus puissant, qui obtiendra plus
d’argent de ces ressources.
Si un ensemble comme
la CEDEAO mettait en commun ses richesses, il sera capable de mettre sur pied un
système monétaire commun, géré par une banque centrale. Il sera, alors,
en mesure d’initier de grands projets de développement, tels que de grandes
infrastructures de santé, d’éducation, de communication et d’énergie. Tous les
Africains pourront, alors se soigner et recevoir leur formation en Afrique. Sa
population de plus de 320 millions habitants est un immense marché doté d’une
grande capacité d’épargne.
La création de grands ensembles
réduit les frontières. Pour ce qui est de la CEDEAO, on passera de 38 frontières
à 8. La CEDEAO pourra déployer son surplus de douaniers, de policiers et autres
fonctionnaires dans d’autres services. Une diplomatie commune fera économiser
des ressources qui seront affectées à des activités productives ou sociales.
En unissant les forces de tous les
pays qui la composent, la CEDEAO sera en mesure de mettre sur pied un haut
commandement de défense à même de protéger sa souveraineté contre les
agresseurs extérieurs.
Tout cela ne sera possible que si ce
grand ensemble a la volonté de quitter le système mis en place par l’Union
européenne, les USA.et leurs alliés. Il faudra aussi accepter d’en payer le
prix.
Au vu de ce qui précède, le vrai débat,
aujourd’hui, doit porter sur les problèmes de souveraineté politique,
économique et culturelle,
se situer autour des changements qu’attendent les populations ivoiriennes et
africaines pour sortir du sous-développement. Peu importe, mesdames, messieurs,
que vous soyez grands ou petits, beaux ou laids. Peu importe le nombre de tours
que vous pouvez faire à Paris dans le mois. Peu importe que vous ayez vu
François Hollande ou Barack
Obama. Ce qui intéresse les populations qui manquent de nourriture, de soins,
d’éducation, de logements, de sécurité et de cohésion, ce sont les propositions
nouvelles que vous ferez pour sortir de l’endettement, de la soumission et de
l’humiliation pour une nouvelle Côte d’Ivoire, un nouvelle Afrique plus
responsable et plus prospère.
Quelles que soient
les qualités du futur président, quelle que soit l’idéologie de celui qui
s’assoira dans le fauteuil présidentiel, rien ne changera s’il maintient le
pays dans le même système qui humilie le peuple qui demeure le véritable
dépositaire de la souveraineté nationale. Le peuple
burkinabé vient de l’apprendre à Blaise Compaoré et à Diendéré.
Le développement de l’Afrique
viendra de l’acquisition de son indépendance et de son unité par les peuples plus
que des leaders et des institutions.
YOUKELI (09 octobre 2015)
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