Interview
de SEM Boniface Guwa Chidyausiku, ambassadeur de la République du Zimbabwe en
Fédération de Russie. (Première partie)
Mikhail
Gamandiy-Egorov, La Voix de la Russie : M. l’Ambassadeur, je vous remercie
d’avoir accepté cet entretien pour La Voix de la Russie. Ma première question
concernera la coopération entre nos deux nations, la République du Zimbabwe
dont vous êtes le représentant ici et la Fédération de Russie. Comment
pourriez-vous caractériser les relations actuelles entre les deux pays ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku : Merci
beaucoup. Le Zimbabwe et la Fédération de Russie ont de très bonnes relations.
Il n’y a pas si longtemps nous n’avions pratiquement que des relations
politiques. Mais depuis que je suis ici, les quatre dernières années, la
situation a considérablement évolué. Nous assistons aujourd'hui au moment où
plusieurs entreprises russes investissent au Zimbabwe. Et depuis quatre ans
également, nos élites gouvernementales et du monde des affaires, travaillent
activement ensemble au plus haut niveau. Le ministre Denis Manturov (ministre
russe de l’Industrie et du Commerce, ndlr) a participé au lancement de la
commission mixte russo-zimbabwéenne. Un accord de protection des
investissements a été à ce titre également signé. Aujourd'hui, nous nous
trouvons à l’étape où plusieurs entreprises russes opèrent au Zimbabwe. En
2014, une importante délégation russe est venue au Zimbabwe, dirigée par M.
Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. M. Manturov aussi accompagnait
la délégation, ainsi que plusieurs grands consortiums russes, tels que Vi
Holding, Rostec, de même la banque russe du commerce extérieur VTB. Et le grand
événement de cette visite a été la signature entre la Russie et le Zimbabwe de
l’accord intergouvernemental sur l’exploitation du gisement de platine de
Darwendale. Une grande réussite pour nos deux pays.
LVdlR : Vous
avez mentionné la récente visite de notre ministre des Affaires étrangères au
Zimbabwe Sergueï Lavrov, que beaucoup ont appelé historique. Peut-on associer
cette visite à un lancement de projets plus grands encore dans un avenir proche
?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku : Nous pensons
bien évidemment à une expansion des projets dans lesquels participent les
consortiums russes et qui représentent déjà un montant d’investissements de
2,5-3 milliards de dollars. Et il y aura certainement d’autres retombées
positives encore surtout que les accords en question prévoient également la
formation des cadres zimbabwéens en Russie. D'ailleurs durant la visite en
Russie de notre ministre des Finances et des Mines, nous avons discuté des
possibilités d’importation au Zimbabwe d’équipements et de technologies russes.
Ce qui permettrait au gouvernement russe d’avoir accès aux marchés existants au
Zimbabwe dans ce domaine. Et un tel partenariat gagnant-gagnant aide bien
évidemment aussi bien le Zimbabwe que la Russie. Aujourd'hui, nos deux pays se
trouvent sous les sanctions occidentales. Nous avons cela en commun. Et nous
devons bien évidemment ensemble matérialiser nos capacités et opportunités
communes.
LVdlR : Je
vais vous poser une question M. l’Ambassadeur qui concerne tout le continent
africain. Durant la période soviétique, notre pays était très présent et actif
en Afrique. Les années qui ont suivi l’éclatement de l’URSS, la Russie était
très peu active sur le continent africain. Ces dernières années, nous sommes
témoins d’un intérêt grandissant des deux côtés : des Russes pour l’Afrique, et
de nombreux Africains pour la Russie. Croyez-vous que dans les quelques
prochaines années, la Russie pourra atteindre, si ce n’est pas entièrement ses
capacités d'antan en Afrique, au moins un niveau approchant ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku : Il y a
effectivement de la bonne volonté des deux côtés, aussi bien du côté africain
que russe. Il faut se rappeler et c’est bien triste, qu’après l’éclatement de
l’Union soviétique, la Russie avait en face tellement de problèmes internes,
notamment économiques, qui devaient être à tout prix réglés sans tarder. Mais
je pense qu'aujourd'hui l’économie russe a atteint un niveau qui lui permet de
retrouver les positions perdues et de profiter de la vision positive des
Africains vis-à-vis de la Russie et du peuple russe. Vous savez certainement
qu’un nombre important d’Africains ont été formés en Russie, et ce depuis la
période soviétique. Donc il y a des spécialistes africains russophones dans bon
nombre de domaines : commerce, technologies, management, enseignement… Et la
Russie possède également des spécialités dont l’Afrique a grand besoin. La
Russie a un très grand savoir-faire dans le domaine pétrolier, ainsi que dans
le domaine de l’exploitation minière ou encore dans l’énergie atomique. Ce sont
tous des domaines dans lesquels la Russie peut exceller en Afrique. Donc ce que
la Russie aurait besoin de faire, et c’est ce que fait déjà bien la Chine,
c’est de fournir des financements aux sociétés russes désireuses de s’établir
sur le continent africain. Et participer ainsi au développement de l’Afrique.
La Russie doit bien sûr être à bord pour participer et voir la réalisation de
ce rêve.
LVdlR : Une
autre question qui concerne aussi bien le Zimbabwe que tout le continent
africain. Votre pays est probablement un des rares pays du continent capable de
mener sa propre politique, indépendante et souveraine, sans interférences
extérieures, que ce soit de la part de l’ex-colonisateur ou de qui que ce soit
d’autre. Mais parallèlement, un nombre important d’Etats africains, notamment
d’Afrique francophone, sont jusqu'à aujourd'hui contrôlés de facto aussi bien
par les anciennes métropoles coloniales que par les USA, et ce au niveau
politique, économique, financier, militaire. Avez-vous une idée sur la manière
dont ces nations pourraient dans les prochaines années acquérir leur liberté et
une indépendance véritable ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku : Je crois que
les nations africaines ont des positions différentes en ce qui concerne leur
politique extérieure. Et c’est normal. Mais je crois aussi que l’Afrique doit
être unie. Et je crois également, et c’est important, qu’afin de profiter
pleinement de l’indépendance politique, il faut obtenir une indépendance
économique. Et cela est impossible tant que vous êtes sous le contrôle économique
de quelqu'un d’autre. Et en arrachant l’indépendance économique, il est alors
possible de faire profiter aux citoyens africains les ressources nationales. Et
c’est seulement alors que nous pouvons parler d’indépendance véritable. Nous,
le Zimbabwe, avons assumé pleinement notre indépendance. Mais nous avons aussi
dû payer un prix pour cela. Donc c’est le leadership africain qui doit décider
: adopter des demi-mesures ou alors des stratégies à long terme, afin que les
populations africaines puissent être maîtres de leurs ressources, et décider du
futur de leurs nations. Sur ce chemin, il peut y avoir des souffrances et bon
nombre d’obstacles, mais il faut effectivement du courage pour prendre cette
décision.
LVdlR : Vous
avez dit que votre pays a dû payer un prix pour assumer pleinement votre
indépendance et votre liberté. Et parallèlement, vous êtes parmi les pays qui ont
le plus souffert des sanctions occidentales sur le continent africain. Et comme
vous le savez certainement aussi, notre pays la Russie, fait aujourd'hui
également face aux sanctions de l’Occident. Quels seraient vos conseils afin de
résister efficacement à ces sanctions, compte tenu de la grande expérience du
Zimbabwe en cette matière ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku : Lorsqu'une
nation fait face à des sanctions externes, il faut regarder la question dans sa
globalité. Dans le cas de la Fédération de Russie, il faut voir que depuis
l’éclatement de l’Union soviétique, les investissements dans la recherche et le
développement n’étaient pas importants. Il était alors plus facile pour les
entreprises russes d’importer des technologies occidentales au lieu de
développer les leurs. Aujourd'hui, ces sanctions occidentales représentent de
grandes opportunités pour la Russie afin de lui permettre de développer
pleinement tout son potentiel. Que ce soit au niveau du R&D, IT et plus
globalement des nouvelles technologies. Bien sûr il était facile d’importer des
produits d’Europe, mais il faut penser sérieusement au développement des
produits fabriqués au pays. Tant qu’un pays est fortement dépendant des
importations, alors il y aura toujours des forces voulant influencer votre
politique : ceux qui sont opposés à votre pays et qui veulent faire changer
votre politique dans l’arène internationale. Les Américains pensent qu’en
imposant des sanctions contre la Russie, ils réussiront à changer le régime
politique en Russie. Mais je crois que les citoyens russes le comprennent
parfaitement et ne le permettront pas. Et je pense qu’il faut aujourd'hui mobiliser
toutes les forces de la Russie pour défaire les plans malsains qui la visent
directement.
Source : Eburnienews.net 5 octobre 2015
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