Interview de Mgr Paul Ouédraogo, président de la Conférence épiscopale burkinabè
Mgr Paul Ouédraogo |
La
Croix : Pourquoi le chef des putschistes, le général Diendéré, a-t-il trouvé
refuge à la nonciature ?
Mgr Paul
Ouédraogo : Le
président de la transition, Michel Kafando, avait lui-même trouvé refuge à
l’ambassade de France, la semaine dernière. Le général Diendéré devait craindre
pour sa sécurité. Il s’est donc réfugié à la représentation diplomatique la
plus proche de lui. Le nonce a été mis devant le fait accompli. Je crois qu’il
a été embarrassé par cette situation car il n’avait pas encore présenté ses
lettres de créances.
Dans
un communiqué, la semaine dernière, le gouvernement provisoire avait accusé les
putschistes de « mobiliser
des forces étrangères et des groupes djihadistes ». Que savez-vous de
cette mobilisation ?
Mgr P. O. : Sous
Blaise Compaoré, le général Diendéré était l’une des personnalités les mieux
connectées et informées de toute la sous-région. Il avait su établir des liens
avec beaucoup de monde, dont les Touaregs et les islamistes de la bande
sahélienne. Qu’il ait fait appel à ses amis, lorsqu’il a été mis en difficulté,
ce n’est pas impossible.
Quel
a été votre rôle pendant la crise ?
Mgr P. O. : Dès
que nous avons eu vent du coup d’État, j’ai été appelé parmi les négociateurs,
pour parler avec les putschistes qui avaient pris en otage le conseil des
ministres. Je me suis donc rendu au ministère de la défense, avec la hiérarchie
militaire et l’ancien président, Jean-Baptiste Ouédraogo. Ensemble, nous avons
discuté avec le chef des mutins, le général Diendéré, pour essayer de le
convaincre d’arrêter son coup de force. La discussion a duré une bonne partie
de la nuit. C’était très délicat car il détenait des otages. À trois heures du
matin, lorsqu’il nous a dit clairement qu’il voulait persévérer, nous lui avons
répondu : « Assumez votre décision ! » Et nous
sommes partis.
Avez-vous
vu venir le coup d’État ?
Mgr P. O. : Non,
pas une seconde. Il m’a pris de court. Les candidats du Congrès pour la
démocratie et le progrès (CDP), l’ancien parti du président Blaise Compaoré,
déclarés inéligibles aux législatives avaient été remplacés par le
parti. Et les candidats à la présidentielle avaient accepté leur
inéligibilité décidée par le Conseil constitutionnel. Il y avait lieu de croire
que tout le monde se préparait démocratiquement aux élections du
11 octobre.
L’exclusion
des cadres historiques du CDP du processus électoral n’a-t-elle pas été une
entorse aux principes démocratiques défendus par la transition ?
Mgr P. O. : Les
pétainistes ont bien été exclus du jeu électoral à la sortie de la Seconde
Guerre mondiale en France. Les pro-Ben Ali ont subi le même sort en Tunisie.
Pourquoi le Burkina aurait-il échappé à la règle commune ?
Pensez-vous
que Blaise Compaoré a été le commanditaire de ce coup d’État ?
Mgr P. O. : Qu’il
fut informé de ce qui se tramait, je le pense bien volontiers puisque le coup
d’État a été perpétré par sa garde personnelle. De là à dire qu’il l’a
commandité, je ne peux pas l’affirmer. Il va falloir enquêter sur les dessous
de ce coup d’État. Qui sont les commanditaires ? Qui sont les complices ? Et
qui sont les financiers ? Toute la lumière doit être faite sur ces trois
points.
Comment
expliquez-vous la mobilisation de la société en faveur de la démocratie ?
Mgr P. O. : Il
y a une singularité burkinabé. Nous n’avons jamais supporté longtemps
l’autoritarisme. Toute l’histoire de notre pays, après l’indépendance, est
rythmée par les mobilisations populaires contre les dérives autoritaires. Le
poids des syndicats est considérable dans notre pays. Ils sont capables de
s’organiser pour monter des manifestations importantes. Il y a aussi
l’émergence de la société civile. Enfin, les pouvoirs coutumiers et religieux
militaient pour l’alternance politique. Lorsque toutes ces forces se liguent
pour un même objectif, rien ne leur résiste.
Blaise
Compaoré s’est quand même maintenu au pouvoir pendant vingt-sept ans avant
d’être renversé ?
Mgr P. O. : Sur
le plan intérieur, il a créé sa propre force, le régiment de sécurité
présidentiel (RSP), entièrement mobilisé à son service. À cause de la situation
sécuritaire de la sous-région, il était aussi soutenu par des grandes
puissances étrangères comme la France.
Quels
sont les principaux défis qui attendent aujourd’hui les Burkinabés ?
Mgr P. O. : Il
faut d’abord solder les comptes des années Compaoré. Pour cela, il faut un
travail de justice et de vérité. Il faut ensuite réformer le pays en
profondeur. En premier lieu, lui donner des institutions moins présidentielles.
Il faut le doter d’un système de contrôle juste et efficace. Notre pays est
rongé par la corruption et l’impunité. Il faut s’en préserver. Pour cela, nous
devons aussi réformer la justice. Autres urgences, les chantiers de l’éducation
et de la santé.
En
vous engageant autant, l’Église burkinabé ne sort-elle pas de son rôle ?
Mgr P. O. : Notre
mission ne se limite pas à annoncer la Bonne Nouvelle et l’Évangile sans se
soucier des conditions dans lesquelles vivent les populations. L’Église a non
seulement le droit, mais aussi le devoir de regarder toujours le politique, de
lui rappeler sans cesse que l’autorité n’est pas une fin en soi mais un
service. L’Église a donc un devoir de vigilance.
Propos recueillis par Loup Besmond
de Senneville et Laurent Larcher
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