Interview de
Fanny Pigeaud, journaliste
française, auteur de « France
Côte d’Ivoire, une histoire tronquée »[*].
Vous venez de publier aux éditions Vents d’ailleurs, un
livre intitulé « France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée ». Après
le Cameroun, qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à l’histoire récente
de la Côte d’Ivoire ?
Après
avoir été basée au Cameroun puis au Gabon, j’ai pris la décision en 2012 de
m’installer en Côte d’Ivoire comme journaliste free-lance : quelques médias
français pour qui je travaillais déjà étaient preneurs d’articles en provenance
de ce pays. Mais avant cela, j’étais convaincue qu’il y avait quelque chose à
écrire, au moins à comprendre, sur ce qui venait de se passer en Côte d’Ivoire
: j’avais trouvé totalement surréaliste la crise postélectorale de 2010-2011 et
surtout le fait que la France et l’ONU en viennent à bombarder Abidjan en mars
2011. J’ai retrouvé récemment des messages échangés avec des amis à l’époque
dans lesquels nous nous demandions ce que cachait tout le cinéma auquel nous
assistions.
A vous lire justement, on a le sentiment que le 11 avril
2011 était l’épilogue d’une opération lancée depuis 2002 contre Laurent Gbagbo.
Quand
on reconstitue minutieusement les événements de ces vingt dernières années, on
se rend compte en effet que Gbagbo a gêné un certain nombre d’intérêts, en
particulier français, dès son arrivée à la présidence en 2000. L’histoire
montre qu’il y a eu plusieurs tentatives pour le faire partir au cours de ses
dix ans comme président. Ce qui s’est passé en 2011 apparaît comme
l’aboutissement d’un long processus qui visait à l’écarter durablement du
pouvoir.
Et vous mettez directement en cause la France officielle et
sa politique en Afrique, qui n’a pas changé selon vous des années 60 à nos
jours.
La
France a joué en effet un rôle majeur dans la crise ivoirienne, comme le
détaille le livre. Et c’est très frappant de voir comment les méthodes qu’elle
a utilisées en 2010 et 2011 en Côte d’Ivoire ressemblent à celles qu’elle avait
employées par exemple au Cameroun à la fin des années 1950 pour écarter du jeu
politique l’Union des populations du Cameroun (UPC), un parti indépendantiste,
et son leader, Ruben Um Nyobe : on avait aussi assisté à des processus
électoraux truqués et à l’emploi de la violence armée. On a l’impression que le
regard que portent aujourd’hui la plupart des officiels français sur les pays
africains autrefois colonisés par la France n’a guère évolué en 60 ans.
Vous détaillez l’implication de la France dans votre livre,
sans pour autant vider le contentieux électoral de 2010. Vous semblez plutôt
laisser le lecteur se faire sa propre opinion…
Le
livre montre qu’il était évident bien avant la tenue de l’élection de 2010
qu’elle ne pouvait pas se dérouler correctement : la Commission électorale
indépendante était sous le contrôle du RDR, le parti de Ouattara, les Forces
armées des Forces nouvelles étaient toujours armées (et s’étaient même
largement réarmées en prévision de l’élection, comme le prouve un rapport
longtemps caché par l’ONU), empêchant un déroulement normal du scrutin dans
toute la zone sous leur contrôle, etc. Par la suite, il y a eu des bourrages
d’urnes, les chiffres du premier tour n’ont visiblement pas correspondu à la
réalité, le mandat de certificateur donné au représentant de l’ONU en Côte
d’Ivoire n’a pas été respecté, etc. Lorsque l’on regarde les faits, on se rend
compte que la manière dont cette élection présidentielle s’est déroulée donne à
celle-ci une crédibilité extrêmement faible, mais aussi que des grandes puissances
occidentales voulaient à tout prix que Ouattara en soit le vainqueur. Ces
dernières ont d’ailleurs fait comme si tout s’était déroulé normalement. Or
jamais l’élection n’aurait dû se tenir dans les conditions dans lesquelles elle
a eu lieu, comme l’a souligné Thabo Mbeki en avril 2011.
Le recomptage des voix proposé à l’époque par Gbagbo ne
pouvait donc pas être une alternative à la solution militaire, vu que, selon
vous, le processus était vicié depuis le premier tour ?
Il
me semble que le recomptage n’aurait pas pu résoudre tous les problèmes :
comment aurait-on par exemple recompté les voix dans la zone CNO
(centre-nord-ouest ivoirien), sachant que le scrutin avait eu lieu sous
contrôle armé des FAFN (Forces Armées des forces nouvelles, ex-rébellion) ?
Quand on étudie de près cette période, on voit aussi que l’option militaire
était privilégiée et préparée par une partie des acteurs avant même l’élection.
Nous sommes à moins de 4 mois d’un nouveau scrutin
présidentiel, pensez-vous qu’il y a des risques d’une nouvelle crise
postélectorale ?
Je
me suis concentrée avec ce livre sur l’histoire récente. C’est toujours
difficile de prédire l’avenir ! On peut cependant craindre qu’il y ait dans un
futur proche d’autres troubles violents pour au moins une raison : la guerre de
2011 a laissé sur le terrain des dizaines de milliers d’armes et autant
d’ex-combattants, dont certains estiment n’avoir pas été correctement rétribués
pour les services rendus en 2011. Il y a d’autres problèmes que je relève dans
le livre qui indiquent qu’il y a de quoi être inquiet pour le futur de la Côte
d’Ivoire si rien n’est fait pour les résoudre.
David
Youant (Alerte info)
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