vendredi 12 juin 2015

« L’appel de Daoukro n’est que le regroupement circonstanciel électoraliste de deux partis. »

D. Boni-Claverie s'adressant à la presse
à l'issue d'une rencontre gouvernement-opposition.
Interview de Danièle Boni-Claverie, ancienne ministre et ancienne prisonnière politique

 
« Ni Gbagboïste, ni Houphouëtiste ».
Ainsi que se décrit, dans cette interview, Danièle Boni Claverie. Aujourd’hui présidente de l’UDR, D. Boni Claverie a participé à deux gouvernements sous Bédié, puis à un autre sous Laurent Gbagbo après un bref intermède dans la mouvance de feu Robert Guéi. Figure marquante de la « Majorité présidentielle » renversée le 11 avril 2011, elle trouve « désolant le spectacle offert par le FPI ». Et elle plaide pour que « Gbagbo sorte de son silence pour sauver le FPI » car, dit-elle, « la cassure paraît irrémédiable ».
 

Vous avez été Houphouétiste, née d’une famille houphouétiste, ministre dans le gouvernement d’Houphouët. Demeurez-vous Houphouétiste ?
Nous appartenions tous au parti unique, en l’occurrence, le PDCI-RDA. Il est vrai que ma famille, et cela est encore vrai aujourd’hui, a toujours penché de ce côté et mon père était un dignitaire du PDCI. Pour ma part, j’ai fait mes premières armes politiques sous la bannière de ce parti, mais je tiens à préciser que je n’ai jamais été un des ministres d’Houphouët. J’ai occupé un poste ministériel dans les 2 gouvernements du président Bédié, de 1993 à 1999. Pour répondre à votre question, je dois avouer que je ne sais pas ce qu’est l’houphouétisme car, je ne considère pas qu’Houphouët-Boigny fut un doctrinaire. Il a laissé un savoir-faire, il a laissé une œuvre importante marquée de sa forte personnalité, il a laissé des phrases choc qui orientaient son action. La recherche de la paix par le dialogue était une obsession chez lui et ceux qui se disent ses héritiers semblent avoir oublié ce qui était le fondement de sa pensée et de son action. J’ai du respect, de l’admiration pour le père fondateur, de la considération pour la vision qu’il projetait sur son pays et pour le bâtisseur qu’il était. Mais dans ma vie politique, je me suis toujours gardée d’être une inconditionnelle de quelqu’un. J’aime servir une cause, défendre une politique, des idées, mais je n’adhère pas au culte de la personnalité. J’ai toujours trouvé insupportable ces clubs de soutien si chers aux chefs d’État africains et que leur entourage sait si bien susciter. Ce sont de vraies écoles pour former des suiveurs. 

Comment voyez-vous le rapprochement Rdr-Pdci ? Diriez-vous que c’est un rattrapage de l’esprit de rassemblement prôné par Houphouët ?
Toute recherche unitaire est respectable mais, à mon avis, c’est l’association du cavalier et du cheval. Certes, le RDR est sorti des entrailles du PDCI, mais il a eu le temps de se forger sa propre histoire ; de se bâtir selon ses propres références loin de la matrice mère et de la philosophie de paix du PDCI. D’où mon scepticisme face à une fusion de ces deux partis. C’est vrai que les accords se font et se défont, c’est ce qu’on appelle la Realpolitik. Pour ma part, je pense que le multipartisme est mieux servi lorsque stratégiquement se forment des coalitions avec des objectifs communs et la souplesse que donne la division des tâches. Forcer des regroupements peut être un choix liberticide et sauter l’étape de 2015 pour n’offrir que la perspective de 2020 me paraît assez réducteur pour les jeunes cadres du parti. D’autre part, la question à se poser est de se demander s’il y a des votes mécaniques. La décision de la candidature unique vient d’en haut. A-t-on vraiment laissé la base s’exprimer ? C’est une question ouverte. 

Pensez-vous qu’Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara sont de bons élèves d’Houphouët ?
Houphouët-Boigny portait une vision dont les fondamentaux étaient la paix, la tolérance, le dialogue. Ses discours étaient émaillés du mot « amour » qui revenait comme un leitmotiv, ce qui nous faisait parfois sourire tout simplement parce que nous étions sans expérience. Le président Houphouët a cherché à rassembler, à brasser les différents groupes ethniques. Cela a commencé dans les internats à l’école jusque dans l’administration où s’exerçait une géopolitique parfois stricte, mais nécessaire. L’appel de Daoukro n’est que le regroupement circonstanciel électoraliste de deux partis, et ses visées ne sont pas à la hauteur des idées d’Houphouët. D’autre part, la politique de rattrapage est contraire aux valeurs du père fondateur qui a prôné et pratiqué l’équilibre entre les régions afin que personne ne se sente frustré. Il a fait de la Côte d’Ivoire, non seulement la maison de tous les Ivoiriens, mais aussi de tous les africains de la sous-région. En 4 ans, il aurait réussi à nous réconcilier alors que nous abordons les élections présidentielles avec de profondes meurtrissures encore béantes. 

Accepteriez-vous de militer dans un parti houphouétiste unifié si on vous faisait appel ?
Vous savez, la décision de quitter le Pdci n’a pas été facile, mais elle est définitive tout simplement parce que je constate encore aujourd’hui une absence de débat au sein des instances du Parti. On ne critique qu’à voix basse et cela m’a toujours gênée. Pardonnez-moi ma franchise. 

Une candidature unique entre le Pdci et le Rdr, ça vous dit quoi ?
Je trouve cela réducteur, mais je m’en suis déjà expliquée. 

Comment êtes-vous devenue Gbagboïste ?
Je ne suis pas Gbagboïste, car je ne m’identifie pas à une personne quelle qu’elle soit, même si je peux soutenir son action par conviction. Mon rapprochement personnel par rapport à la ligne défendue par le président Gbagbo s’est fait progressivement à partir de 2004, pour aboutir, en 2006, à la création de l’URD, parti centriste qui a décidé de défendre la souveraineté de la Côte d’Ivoire mise à mal par les résolutions de l’ONU. Nous n’avons jamais accepté l’affaiblissement programmé de nos Institutions et du Parlement, notamment. 

Comment voyez-vous la fronde qui déchire la famille politique de Gbagbo ?
C’est un spectacle désolant qui nous est offert par le FPI. Chaque parti, c’est vrai, connaît ce genre de crises qui se résument, en fait, à des questions de personnes et l’URD, en son temps, en a fait les frais. Mais le poids du FPI donne à cette crise un effet domino désastreux pour l’opposition. Nous étions déjà émiettés et cela nous fragilisait. Mais ce déballage public est vraiment malsain et si loin des préoccupations de nos compatriotes. Il est souhaitable que le président Gbagbo sorte de son silence pour sauver le parti qu’il a fondé, sinon la cassure paraît irrémédiable. L’URD n’a pas de position à prendre dans une querelle interne à un parti, de même que l’AFD. D’où notre silence à ce sujet. Mais c’est peu de dire que nous sommes soucieux devant une telle situation. 

Avez-vous eu des démarches envers les frondeurs ou le camp du président Pascal Affi N’guessan, dans le sens d’une paix des braves ?
Parfois la discrétion est plus payante que des déclarations tapageuses. Permettez-moi de ne pas en dire plus. 

Ne devrait-on pas désespérer de l’opposition ivoirienne ? À voir à quel point on s’écharpe dans une guerre de chiffonniers au sein du principal parti d’opposition ? A voir aussi à quel point l’opposition a du mal à parler d’une même voix face au pouvoir du président Alassane Ouattara ?
Votre analyse est fondée parce que c’est le spectacle affligeant qu’offre l’opposition en quête d’un leader, et dont la vision d’un grand rassemblement s’éloigne au fur et à mesure que la division se creuse au FPI. Faut-il désespérer pour autant ? J’espère encore en un sursaut qui nous permettra de jouer enfin notre rôle de contre-pouvoir pour contrebalancer les risques bien réels de dérives autocratiques du régime. En attendant, il nous faut relancer le dialogue politique qui piétine et amener le pouvoir à débattre des vrais problèmes. La cherté de la vie, le chômage, les problèmes de sécurité, la libération de tous les prisonniers politiques et le dégel des comptes. Contrairement à ce que l’on peut croire, un certain nombre de personnalités ont encore leurs comptes gelés. A cela, s’ajoute la préparation des élections qui rentre dans une phase délicate avec les problèmes d’éligibilité du candidat Ouattara et la confection de la liste électorale. 

Il y a eu une réforme du code électoral votée en commission, la semaine dernière. Ces modifications vous satisfont-elles ?
Il est vraiment regrettable que les partis d’opposition n’aient pas été associés aux discussions alors qu’ils sont partie prenante. Vous voyez que quand je parle de dérives autoritaires, je n’exagère pas. De réels problèmes se posent au niveau du code électoral, ce qui relève de l’équité et de l’indépendance de la Cei. Les candidats à l’élection présidentielle doivent avoir les mêmes chances. Or, nous constatons que l’un est particulièrement favorisé parce qu’il occupe les fonctions de chef de l’État. En effet, toutes les décisions prises par le président de la Cei, avant d’être exécutoires, doivent être accompagnées par un décret du président de la République. Où est l’indépendance de la Commission ? Ce ne sont pas des questions anodines car, elles engagent la crédibilité des futures élections et le climat dans lequel elles vont se dérouler. 

Seriez-vous candidate à la présidentielle en octobre 2015 ?
Mon parti souhaite que je me présente, et a formulé une résolution dans ce sens. Mais je suis une « ou », et à ce titre, je ne peux pas poser ma candidature. J’ai toujours été contre la formulation de l’article 35 de notre Constitution et j’ai milité contre le « et » qui catégorise les citoyens ivoiriens. Mais je suis respectueuse de notre loi fondamentale, même si elle m’écarte de la course présidentielle, ce que je trouve grandement injuste. Peut-être devrais-je solliciter « l’exception » pour être présente au moins au 1er tour. 

Vous avez écopé de la plus petite peine à l’issue des Assisses qui se sont achevées le 10 mars dernier. Votre jugement sur ce jugement ?
Je pense que nous aurions dû être acquittés puisque toutes les charges d’atteinte à la sureté de l’État ont été abandonnées et qu’aucune preuve de notre culpabilité n’a pu être apportée. Le droit n’a pas été dit. C’était un procès politique qui nous confirme que seule la justice des vainqueurs a été rendue. Les lourdes condamnations qui ont été prononcées ne vont pas dans le sens la réconciliation et je le regrette profondément. 

Interview réalisée par Benoît Hili (Le Nouveau Réveil 8 avril 2015)
Titre original : « Le FPI offre un spectacle désolant, j’espère encore en un sursaut » 

 
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Source : connectionivoirienne.net 9 avril 2015

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