Comme
beaucoup d’Ivoiriens, je me suis réjoui de la création de la Coalition
nationale pour le changement (CNC). J’ai accueilli avec joie l’avènement de
cette plateforme non seulement parce que ceux qui en ont eu l’idée veulent nous
débarrasser de Dramane Ouattara, l’homme qui a introduit la violence et les
assassinats dans notre pays mais parce qu’ils nous promettent un changement.
Bien qu’ayant lu et relu la charte de la CNC, je n’y ai pas vu ce que ses
signataires entendent par changement. Certes, dans l’article 3 qui porte sur
les objectifs de la CNC, il est question de « repenser la Côte d’Ivoire »
mais il faut admettre que l’expression est vague. Le verbe « repenser »
signifie-t-il ici que les fondateurs de la CNC veulent une Côte d’Ivoire
totalement différente de celle que nous avons connue jusqu’ici ? Si oui,
comment devrait être cette nouvelle Côte d’Ivoire ? Quels comportements
devraient en être bannis ? Qu’est-ce qu’on ne devrait plus y faire ? Aucune de
ces questions ne trouve de réponse dans la Charte. Il faut espérer que, dans
les jours ou semaines à venir, ceux qui ont apposé leur signature au bas de la
charte le 15 mai 2015 éclaireront la lanterne des Ivoiriens qui ont besoin de
savoir où la CNC veut les conduire.
Cela
est d’autant plus important que nous sommes nombreux à désirer, non pas un
simple replâtrage, mais un changement profond. Il y a replâtrage lorsque X
succède à Y sans que ne prennent fin les mauvaises habitudes. Je suis désolé d’affirmer
que, de 1993 à 2015, notre pays n’a eu droit qu’à des replâtrages. En effet,
Bédié est venu après Houphouët, Guéi après Bédié, Gbagbo après Guéi, Dramane
après Gbagbo, mais il n’y a jamais eu d’opération « mani pulite »
(mains propres) pour enquêter sur certaines grosses fortunes et récupérer
éventuellement l’argent de l’État volé et placé en Suisse, en France, à Monaco
ou ailleurs par des fonctionnaires dont le salaire ne peut justifier un tel enrichissement.
C’est la quatrième fois que le régime change de main et le président de la
République, les ministres, PCA, PDG et autres dignitaires continuent de se
soigner (avec leurs familles) et de scolariser leur progéniture à l’étranger
pendant que les populations pour le bien-être desquelles les politiciens sont
censés œuvrer sont quotidiennement aux prises avec la faim, le dénuement, la
misère et la mort précoce. Quoique la rue ait imposé le multipartisme au PDCI
en avril 1990, ce qui devrait signifier libération de la pensée et de la
parole, la plupart des formations politiques n’ont rien de démocratique car,
outre le fait que l’alternance à la tête du parti y est aussi rare que les
larmes d’un chien, il est difficile d’y être en désaccord avec le chef qui
n’apprécie et ne promeut que les griots, larbins et flagorneurs. Un autre mal
auquel aucun régime ne s’est sérieusement attaqué est la « promotion
canapé » où la femme est embauchée non pas grâce à ses compétences et
diplômes mais parce qu’elle aura accepté de coucher avec l’employeur. Je
citerai aussi le présidentialisme qui n’a jamais cessé de faire du chef de
l’État un monarque par qui tout doit passer et que l’on doit remercier pour le
don d’une ambulance, la construction d’une école, d’un pont ou d’un
dispensaire. On pourrait évoquer encore l’argent et les privilèges que l’État
n’a jamais arrêté d’accorder aux anciens présidents d’institutions, anciens
Premiers ministres et anciens ministres, ou le fait qu’aucun parlement ou aucun
gouvernement n’a proposé à ce jour la réduction des émoluments des députés et ministres
en signe de solidarité avec le petit peuple dont le pouvoir d’achat se rétrécit
comme peau de chagrin année après année.
Pourquoi
ces anomalies perdurent-elles alors que notre pays a été dirigé par trois
partis politiques (PDCI, FPI et RDR) se réclamant de deux idéologies
diamétralement opposées (sur le papier, au moins) ? À mon avis, c’est parce
que, ceux qui ont tenu les rênes de notre pays au cours des 50 dernières
années, qu’ils soient de droite ou de gauche, percevaient (et peut-être
perçoivent encore) la politique comme un moyen permettant d’avoir accès à
beaucoup d’argent, aux honneurs et à toutes sortes d’avantages matériels. La
politique, vue sous cet angle, donne un pouvoir énorme à ceux et celles qui se
trouvent au sommet de l’État. On comprend dès lors pourquoi certains, pour
conquérir ou conserver le pouvoir, n’hésitent pas à tuer, à se prostituer et à
entrer dans des sociétés secrètes. Il va sans dire que de telles pratiques ne
peuvent que donner une mauvaise image de la politique et faire croire au petit
peuple que faire la politique revient à se salir les mains. Or, au départ, la
politique n’est pas cela. Jean-Paul II la définissait comme « le souci du
bien commun » (Centesimus annus, 1991). C’est cette politique adossée à
des valeurs que menèrent des gens comme Baudoin, roi des Belges, le Tanzanien
Julius Nyerere, le Botswanais Quett Ketumile Masire ou le Sud-Africain Nelson
Mandela. Ce dernier a cette phrase que j’aime beaucoup : « Diriger un pays, la finalité ou le but, ce n’est pas de se faire
plein d’argent pour sa vie et son clan, mais c’est de changer la vie du peuple
et faire avancer les choses dans le pays afin que tout le monde soit content ».
(cf. « Un long chemin vers la liberté ») Pour moi, la politique
consiste d’abord en cela : changer la vie du peuple, permettre à tous d’avancer
et de vivre mieux. Nous pouvons avoir une belle constitution, des institutions
fortes mais, si les personnes chargées d’animer ces institutions ne changent
pas, le changement profond et durable souhaité par le peuple ne sera jamais au
rendez-vous.
Vouloir le changement ne suffit donc pas. « Sois
le changement que tu veux voir dans le monde », conseillait naguère
Gandhi. C’est chacun de nous qui doit faire le ménage en lui-même, changer sa
manière d’être, s’il veut voir le changement en Côte d’Ivoire. Je croyais que
les tueries et bombardements que notre pays a connus en 2010-2011 feraient de
nous des hommes et des femmes nouveaux, que cette grave crise nous rendrait
plus humbles, plus soucieux du bien commun, plus solidaires aussi. Mais, face
au poignant témoignage de Jean-Yves Dibopieu (la misère de certains Ivoiriens
dans les camps de réfugiés au Ghana et au Togo qui laisse de marbre « ceux
qui sont régulièrement entre deux avions, vivent dans un luxe insolent,
habitent dans des châteaux dans des quartiers où même des cadres ghanéens ne
peuvent avoir accès »), quand j’apprends que « sa femme et ses
enfants qui sont restés six mois à Accra avant de rentrer au pays n’ont jamais
reçu ni visite, ni soutien, ni même salutation téléphonique de la part d’aucun
de nos cadres là-bas », je me demande quelles leçons nous avons tirées de
notre malheur. Cette méchanceté et cette arrogance que Dibopieu a vues au Ghana
existent aussi parmi les exilés ivoiriens du Maroc, de Mauritanie, d’Europe et
d’Amérique du Nord. Ces comportements ne sont pas une fatalité. Nous pouvons
nous en défaire. Il y a une autre façon de vivre. Nous pouvons nous changer.
C’est alors que le changement adviendra dans notre pays.
En
résumé, j’ose espérer que le changement que veut incarner la CNC ne se limitera
pas à chasser Dramane et le RHDP. Si c’était le cas, si Mamadou Koulibaly et
ses camarades devaient garder intacts le présidentialisme, la promotion canapé,
les rentes viagères des anciens grands serviteurs de l’État, la ruée des gens
au pouvoir vers l’étranger pour les soins et l’école de leurs enfants, etc.,
alors la CNC aurait trompé les Ivoiriens qui n’auraient plus d’autre choix que
de prendre eux-mêmes leur destin en main.
Jean-Claude
Djereke, Cerclecad, Ottawa (Canada)
Titre original : « Changer
la Côte d’Ivoire passe par notre propre changement. » ARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique,
nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en
rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou
que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne
».
Source :
CIVOX. NET 5 Juin 2015
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