mercredi 17 juin 2015

« Regardez-moi. Je mesure 1,66m. On fait comme si j’étais extraordinaire. »

Le commandant Jean-Noël Abéhi devant le tribunal militaire d’Abidjan, le 09 juin 2015.
 
Le Cdt J.-N. Abéhi dans le box des accusés

M. Abéhi, vous avez la parole pour dire ce que vous avez à dire relativement au fait de désertion
- Merci M. le président. On me reproche d’avoir déserté. On m’accuse d’avoir fui mon pays. Depuis l’école de gendarmerie où j’ai fait mon application, j’ai prêté serment pour la patrie et pour la loi. Ce serment que j’ai eu à faire, je l’ai assumé du début jusqu’à la fin. On m’accuse de désertion comme si j’avais une assistance à apporter à mon pays. Je n’ai pas quitté mon pays pour fuir par plaisir. Je suis parti car j’étais extrêmement menacé par une mauvaise compréhension du travail réalisé conformément aux lois de mon pays. C’est la peur de me voir assassiner qui m’a fait partir de mon pays. Mes enfants étaient dans la même école que ceux de Wattao (surnom d’Issiaka Ouattara, ancien chef de guerre, aujourd’hui lieutenant-colonel des Frci). Ses enfants disaient aux miens que leur papa tuait les femmes d’Abobo et que leur papa allait me tuer. Mon épouse était enseignante au lycée de Locodjoro. Là-bas, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) de la base navale lui ont rendu trois fois visite. Moi-même, après les titres incendiaires des journaux me qualifiant de sanguinaire, il était impossible pour moi de sortir de la caserne d’Agban.
J’ai avisé mes chefs. Lorsque le commissaire du gouvernement a envoyé les premières convocations me demandant de me présenter au tribunal militaire, j’ai vu que c’est parce que ma vie est menacée, sinon je n’avais pas de problèmes à me présenter devant la juridiction de mon pays.
M. le président, si vous-même qui prêtez serment pour la protection des personnes et des biens, n’êtes plus en sécurité, qu’est-ce que vous faites ? Après avoir informé mes chefs, précisément au général Kassaraté, de la menace qui planait sur ma vie, il m’a dit de voir mon parent Banny pour m’aider à régler cette situation. C’est la réponse de mon chef hiérarchique. J’ai vu qu’elle n’était pas mauvaise dans son ensemble. J’ai suivi ses conseils et j’ai informé le Premier ministre Banny pour lui dire qu’il y avait une rumeur qui affirmait que je refuse de me rallier. J’ai dit que je veux parler au Président Ouattara. Regardez-moi, je mesure 1,66m. On fait comme si j’étais extraordinaire. Je voulais parler au Chef d’Etat, pour lui dire que la désignation d’un Président de la République n’appartient pas à Abéhi. Ce n’est pas moi qui désigne. Je ne fonctionne qu’à partir des ordres et je suis prêt à me mettre au service de mon pays. J’ai fait cette démarche. On m’a dit que c’est le Premier ministre Guillaume Soro qui doit me recevoir. J’ai été reçu par lui. Après mon discours liminaire devant M. Soro, ce dernier est intervenu pour dire qu’il n’avait pas de problème particulier avec moi. Qu’il reconnait que j’ai contribué à le sortir du feu lorsqu’on voulait l’assassiner à la Rti. Mais ce qu’il me reproche c’est qu’on dise que c’est Abéhi qui a tué les femmes à Abobo. Je lui ai dit que l’accusation sur la tuerie des femmes d’Abobo n’est pas juste. Les chars qui sont dans la vidéo, aucun char appartenant au Geb n’est dedans. Les chars appartiennent à la Bae et à la garde républicaine. Pourquoi on m’accuse toujours ? On m’a donné des explications. On raconte que je refuse de me rallier car je serais le bon petit de Laurent Gbagbo. Comme je suis le bon petit de Laurent Gbagbo, je n’ai que 4 millions F dans le compte saisi. C’est cela être le bon petit d’un Président de la République ? Je vous en supplie. Cette histoire me fatigue. Si on veut me tuer qu’on le fasse et ce sera fini. Parce que j’ai fait mon travail qu’on veut me tuer ?
Pour vous que signifie désertion ?
- Le fait d’avoir quitté son pays sans autorisation.
Cela est votre cas ?
- Oui M. le président.
Reconnaissez-vous avoir commis cette infraction de désertion ?
- Oui.
Etes-vous officier de gendarmerie ?
- Oui
En plus de la désertion on vous reproche aussi la violation de consigne. Êtes-vous de cet avis ?
- M. le président, sur le fait de violation de consigne, je vous demande d’éclairer ma lanterne.
Au camp d’Agban, le commandant supérieur de la gendarmerie avait-il laissé des consignes particulières ?
- Par rapport à quoi, par exemple.
Il a dit : « Les gendarmes vous restez en caserne et vous êtes neutres ».
- Non je n’ai pas entendu pareille consigne.
Que pouvez-vous dire au sujet de la consigne de ralliement ?
- Lorsque la crise a été déclenchée, nous étions à l’intérieur du camp. C’est le général Kassaraté qui m’a ordonné de prendre le coffre-fort de la gendarmerie nationale pour l’escorter et le déposer à son domicile à Agban. Il a donné des instructions fermes pour la défense du site. Je suis resté dans cette position. Je ne suis pas allé en dehors de ma caserne. Je n’ai violé aucune consigne. Lors de la bataille, c’est moi qui suis allé avec le commandant Pamphile et le capitaine Noukpo pour lui dire que nous n’avions pas de paramètres dans cette crise. Il y avait un pilonnage aérien alors que nous n’avons pas d’hélicoptères. Il faut que nous demandions un cessez-le-feu. Nous avons appelé l’Onuci qui nous a demandé d’appeler le Premier ministre Guillaume Soro. Nous l’avons fait. Après cela, les autres officiers sont allés voir le commandant supérieur pour qu’il parte au Golf hôtel à l’effet de communiquer aux nouvelles autorités notre allégeance. Le général Kassaraté l’a fait. Malgré cette démarche, on dit que je refuse de me rallier.
A quel moment avez-vous entendu parler de l’ordre de ralliement ?
- Je n’ai jamais entendu parler de cela. C’est nous qui avons fait la démarche.
A quelle hiérarchie obéissez-vous ?
- J’obéis au général Kassaraté.
Etes-vous sûr que quelqu’un vous donnait des ordres ?
- Oui, c’est le général Kassaraté.
Alors que c’est lui qui a parlé de ralliement ?
- Je ne sais pas à quel moment il a parlé de ralliement.
N’avez-vous jamais entendu de tels propos venant de lui ?
- On est ensemble. Nous étions avec lui. C’est en notre nom qu’il a fait le ralliement. Il ne m’a jamais dit : « Abéhi, il faut te rallier ».
J’insiste : à quel moment avez-vous entendu de ralliement ?
- M. le président, je n’ai jamais entendu parler de ralliement. C’est nous qui sommes allés vers lui pour aller faire allégeance. A ce moment, la communication était mauvaise. L’électricité était interrompue. Les radios ne marchaient pas.
Votre ralliement a eu lieu à quelle date ?
- C’est le jour où le général s’est rendu au Golf.
Avez-vous en souvenir votre message qui dit : « Personne ne sort de la caserne. Celui qui sort abattez-le » ?
- Je vous en prie. Ce n’est pas vrai. J’ai entendu ce genre de propos. Ce sont des accusations infondées. Les premières heures de mon arrestation, l’un des arguments était que le général Kassaraté n’est pas arrivé tôt au Golf. Car Abéhi l’aurait empêché de sortir de la caserne. Moi je suis commandant. Lui, il est général. Je ne peux avoir la capacité militaire et les hommes pour bloquer une caserne à l’intérieur de laquelle il y a plusieurs unités. Ce n’est pas vrai. Ensuite, j’aurai tellement bloqué la caserne que la femme du général Kassaraté a été évacuée par IB (feu Ibrahim Coulibaly), l’ex-commandant du commando invisible, pour l’envoyer au Bénin. Ce n’est pas vrai.
Vous avez dit dans votre déclaration que vous avez lancé des obus sur le cimetière de Williamsville. Confirmez-vous cela ?
- Nous avons essuyé deux types de tirs d’obus dans l’attaque que l’ennemi a perpétré contre nous. Ces obus sont venus dans la direction du lycée technique de Cocody, qui ont détruit la maison du Colonel Konan, directeur du fond de prévoyance militaire. Des obus sont venus d’autres directions et qui ont eu des impacts sur ma maison. Ces obus étaient tellement nombreux qu’en termes de dissuasion, lorsqu’on regarde la contexture, cela ne pouvait que venir du niveau du cimetière de Williamsville. C’est dans ce contexte qu’on nous a donné l’ordre d’envoyer des obus sur le cimetière de Williamsville. C’est ce que nous avons fait pour permettre l’évacuation des policiers qui étaient encore à la Crs de ce quartier.
Quel était votre cible ?
- Seul le cimetière. Lorsque vous recevez les obus, c’est dire qu’il y a un espace ouvert à partir duquel l’ennemi vous envoie ces obus. Après calcul, seul ce site pouvait être le lieu de départ des obus. C’est pourquoi nous avons ciblé là-bas.
Êtes-vous sûr que vous n’avez pas provoqué des dégâts collatéraux ?
- Non. Nous sommes sûrs.
Comment ?
- C’est un tir de mortier. Le cimetière de Williamsville a un périmètre vaste. Nous avons visé le centre.
Revenons sur la désertion. Êtes-vous allé seul ?
- Oui
Comment avez-vous réussi à sortir ?
- J’ai attendu une forte pluie. Je sais que lorsqu’il pleut les forces de défense rentrent dans leur tanière. C’est à la faveur d’une pluie que je n’ai pas pu être contrôlé sur le circuit.
Comment l’avez-vous préparé ?
- Je n’ai pas préparé ce départ. Quand j’ai senti qu’on voulait m’entendre forcément à l’extérieur du camp, j’ai décidé de partir. Je suis sorti du camp. J’ai emprunté un taxi compteur pour arriver à la gare de Bassam, à Treichville. Puis, j’ai pris un autre véhicule qui rallie cette commune à Noé. C’est comme cela que je suis parti tranquillement.
Vous confirmez que c’est la dernière convocation qui vous a fait partir ?
- Effectivement. J’étais menacé. Mes éléments me disaient toujours de partir. Je n’avais pas peur de la convocation. Si c’était m’entendre à la caserne, je serais venu répondre. Je suis parti parce que, malgré les assurances du Premier ministre, la convocation de m’auditionner dehors persiste. C’est la seule raison de la menace de me voir buter par quelqu’un qui m’a fait fuir du pays.
Buter par qui ?
- C’est pourquoi je reviens toujours sur des détails. Les menaces n’étaient pas imaginaires. De 2002 à 2011, je suis le seul officier qui a eu le maximum de convocations auprès du tribunal militaire. Le commissaire du gouvernement peut témoigner. Et j’ai répondu à toutes ces convocations. J’ai refusé de répondre à celle-là car les conditions de sauver ma vie n’étaient pas réunies.
Pourquoi avez-vous choisi le Ghana ?
-En termes de distance, c’est le pays qui est plus proche de nous. En peu de temps on peut y arriver.
Quelque part dans votre déclaration, vous avez dit que vous vous êtes désolidarisés des personnes au Ghana qui étaient prêtes à poser des actions subversives à l’endroit des autorités ivoiriennes ?
- Tout à fait. Lorsque je suis arrivé au Ghana, la première personne que j’ai pu joindre est Konan Boniface pour lui donner l’information de ma présence dans ce pays. Il m’a dit de ne parler à aucune autorité politique. J’étais dans mon coin. Un jour j’essaie d’appeler Konan Boniface. Il était fermé et je suis passé par d’autres personnes pour avoir de ses nouvelles. Un jour le Colonel Gouanou me contacte pour une réunion avec les autorités politiques. On a échangé avec Koné Katinan. Il y avait des solutions diplomatiques et militaires pour notre retour. A la seconde réunion on nous demande de faire le point des matériels militaires. C’est à ce niveau que j’ai dit non, car je n’avais pas de moyens et d’hommes à mettre à leur disposition. Je n’étais pas d’accord avec l’esprit de la chose. C’était sur la base tribaliste. On devait commencer à nettoyer à l’Ouest tous les Baoulés et Burkinabè. J’ai marqué mon désaccord.
N’êtes-vous pas membre de la plateforme qui doit renverser Alassane Ouattara ?
- C’est Gouanou qui m’a envoyé là-bas.
Etiez-vous informé de l’existence de la plateforme avant votre départ ?
- Non, je n’avais pas connaissance de la mise en place de cette structure. Elle est née plusieurs semaines après mon arrivée au Ghana. Après mon refus j’étais menacé par mes amis du Ghana.
Mais pourquoi êtes-vous resté là-bas ?
- J’attendais la fin de l’année scolaire pour aller au Bénin. J’ai été obligé de changer de quartier à Accra.
Est-ce que vous avez demandé au général Kassaraté de vous accompagner répondre à la convocation ?
- Oui je l’ai fait. C’est à cet effet qu’il m’a dit d’aller voir mon parent Banny. Lors de la rencontre avec le Premier ministre Soro, je suis monté dans le véhicule de mon parent Banny. Là, si on veut me tuer, on mourra ensemble.
Quelle était votre relation avec Séka Séka pendant la crise ?
- Nous ne nous sommes pas vus. On ne s’est pas eu aussi au téléphone. 

Jean Pierre Fieglo 

 
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Source : IvoireBusiness 12 Juin 2015.

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