mercredi 3 juin 2015

« Après Dieu, c’est Lui ! », parole d’Adorateur…*

Ces dernières années le vocabulaire politique ivoirien s’est enrichi d’un néologisme : Adorateurs, à écrire absolument avec un grand A pour le différencier du nom commun « adorateur » qui figure dans le dictionnaire de la langue française depuis des lustres. Les Adorateurs, ce sont les soutiens indéfectibles et inconditionnels d’Alassane Dramane Ouattara ou Ado, l’actuel chef de l’Etat ivoirien.
Être Adorateur, c‘est adopter un état d’esprit positif à tout point de vue dès lors qu’un sujet concerne Alassane Ouattara. c’est un état d’esprit qui consacre la déification d’un homme, Alassane Ouattara, vu comme un gourou, un infaillible, un omnipotent, un omniscient. cet homme que nul n’égale, cet homme que Dieu nous a envoyé pour le salut de la Côte d’Ivoire et de son peuple. un Adorateur en chef, en l’occurrence le secrétaire général par intérim du Rdr, ne présentait-il pas Alassane Ouattara comme l’adjoint de Dieu ? « Après Dieu, c’est Ouattara ! », avait-il affirmé sans sourciller au cours d’un meeting public.
Pour les Adorateurs, toutes les décisions prises par Ouattara sont inspirées par Dieu et elles sont forcément bonnes et insusceptibles de contestation ou de contradiction.
Ouattara peut engager des travaux de réfection des universités à plus de 100 milliards. Quelques mois seulement après la rentrée universitaire, quand étudiants et profs se rendent compte que rien n’a changé, ces derniers sont traités d’ingrats et de mécréants qui sont contre le chef de l’Etat.
Des Chu sont des mouroirs, des hôpitaux manquent de médicaments alors que l’année 2013 a été décrétée « année de la santé » par Ouattara, des gens se plaignent. Pour les Adorateurs, ces plaignants sont des imbéciles.
Ouattara peut prendre les ressources de l’Etat, les consacrer à l’achat de plusieurs avions pour redorer la flotte présidentielle et voyager 120 fois à travers le monde aux frais de l’Etat sans que ceci soit forcément productif. Les Adorateurs seront encore là pour demander à ceux qui s’en plaignent « où est votre problème ? Il achète avions et voyage à travers le monde pour le bien du pays. » Peu importe si leur situation s’en trouve affectée.
Ouattara peut engager la réforme de la filière café-cacao, mettre en place un système absolument opaque qui ne profite guère aux paysans. Il se trouvera des Adorateurs pour vous vanter l’immense bonheur dans lequel baignent les paysans ivoiriens depuis l’avènement du messie. Des paysans qui brassent désormais des milliards jamais égalés même du temps d’Houphouët.
Or il n’y a qu’à se rendre à Galébré (Gagnoa) pour se rendre compte que même ceux des paysans qui l’ont élu se mordent les doigts, tant leurs revenus ont baissé et tant ils subissent les tracasseries. Car ils doivent désormais trier eux-mêmes à la main leurs fèves de cacao. Il n’y a qu’à aller à Téapleu, un village de l’Ouest ivoirien, pour savoir que les paysans ont depuis détruit leurs plantations de café pour passer à autre chose. C’est clair, cela n’ébranlera point les Adorateurs. De même que la chute drastique des cours de l’hévéa depuis l’arrivée de papa bonheur (de 1000 FCFA le kilo à 250 FCFA aujourd’hui) n’ébranle aucun Adorateur. Bien au contraire, pour les Adorateurs c’est une très bonne décision qu’il fallait prendre depuis des années. Celle de taxer fortement les industriels qui en répercutent les effets sur les paysans. Pourtant l’un des plus grands Adorateurs, l’ancien ministre Vincent Lohouès Essoh a fait fortune dans cette filière avec implantation d’une unité industrielle à Dabou.
Qu’avec une politique ardue de cession des entreprises nationales à des groupes étrangers, les opérateurs économiques ivoiriens soient réduits à néant, les Adorateurs trouveront des excuses à leur gourou infaillible. Pour eux, c’est le passage obligé pour arriver à l’émergence puisqu’avec cette politique, Ouattara construit des routes, des ponts, et patati et patata.
Mais là où il faut être fier de nos chers Adorateurs, c’est surtout lorsqu’ils applaudissent à tout rompre quand le chef annonce une augmentation des tarifs de l’électricité. Dans un contexte de cherté de la vie, pour les Adorateurs, cette mesure est la bienvenue et ceux qui la contestent sont de gros jaloux qui ne veulent pas que ce pays avance. Même quand un communiqué du ministère des Infrastructures économiques fait savoir que la chaussée du pont De Gaulle va être réduite pour 5 mois en vue de la réhabilitation de la seule chaussée et non de la superstructure dans son ensemble, les Adorateurs se fichent des conséquences dommageables pour les automobilistes qui seront forcés d’emprunter le pont à péage. « La décision est salutaire », selon eux, puisqu’effectivement cette chaussée avait besoin d’un coup d’éponge. Ils ne prennent pas en compte le fait que les chaussées se font habituellement en une nuit et le lendemain le trafic redevient normal. Quand vous dites cela, les Adorateurs vous répondent que non seulement le communiqué parle de réduction de trafic et non de fermeture, mais que ceux qui ne sont pas d’accord restent chez eux pendant cinq mois.
Voici la psychologie des Adorateurs. Ils font feu de tout bois pour défendre leur idole. Pour eux, tout ce qui marche en Côte d’Ivoire c’est Ouattara. Ce qui ne marche pas, c’est Gbagbo. À tous ceux qui critiquent Ouattara, ils opposent le bilan de Gbagbo. Le slogan est connu : « en dix ans, Gbagbo n’a rien fait ». Et depuis l’avènement d’Alassane Ouattara au pouvoir, tout se fait et se défait en fonction de Gbagbo. Les mathématiciens diraient que Laurent Gbagbo est le référentiel de toutes les actions qui s’entreprennent dans la gouvernance Ouattara. Gbagbo n’avait pas fait ceci, Ouattara l’a fait. Gbagbo n’était pas allé là, Ouattara y est allé. Ils oublient que cinq ans ont passé. Cinq années, suffisantes pour que Ouattara prenne toute la situation en main et imprime sa propre marque. Les cinq universités promises, les cinq Chu, le million d’emplois promis aux jeunes, les 2000 FCFA le kilo promis aux producteurs de cacao, la couverture maladie, l’école gratuite, toutes ces promesses de Ouattara ont eu le temps d’être réalisées. Il ne doit point s’y dérober en se cachant derrière les effets de la crise postélectorale sans gros dégâts par rapport à ce qui aurait pu se produire si Gbagbo avait vraiment choisi l’option d’une guerre totale.
Nos amis Adorateurs oublient aussi que pendant la décennie Gbagbo, les principaux animateurs de la scène politique actuelle, Pdci, Rdr, Fpi, Pit, rébellion ont eu droit au banquet. Chacun a eu sa part dans la gestion des affaires publiques dans un gouvernement que certains appelaient « N’zassa » pour sa mosaïque ethnico-politique. Aujourd’hui Gbagbo a le dos large pour supporter toutes les insanités de son époque. Il y a sa part de responsabilité, c’est indéniable. Mais l’une de ses anecdotes, comme il les affectionne, sonne encore dans les mémoires : « Vous allez en conseil des ministres et des gens vous appellent monsieur le président. Mais dès qu’ils sortent de là, ils te tapent dans le dos. Ils te font un Tapé Doh. Mais c’est comme cela que nous construisons la Côte d’Ivoire ».
On connaît Alassane Ouattara pour son aversion de la contradiction et il a la chance de ne pas avoir un tel gouvernement. Il est maître de la situation avec des ministres prêts à lui nettoyer les bottes pour rester au gouvernement. Il a donc tout le champ libre pour appliquer son programme. Mais cette analyse n’effleure point l’esprit de nos Adorateurs.
Ils n’ont peut-être pas tort. Dans un contexte où l’horizon politique ne fait que s’obscurcir, Alassane Ouattara est comme un bouclier pour nos chers Adorateurs. Ils se disent que Ouattara ne fait peut-être rien pour nous mais, tant qu’il est là, nous avons de la protection et de la sécurité face à la colère des Ivoiriens qu’il méprise aujourd’hui.
C’est en cela qu’il faut sauver nos chers Adorateurs par un discours qui peut les rassurer quand retentira le chant du cygne pour Alassane Ouattara. Plus que jamais, ceux qui militent pour une alternance en Côte d’Ivoire doivent être porteurs d’un discours réconciliateur, plus rassembleur qu’un discours revanchard. Parce que ce pays a besoin de réconciliation et il faut sauver les Ivoiriens y compris nos chers frères Adorateurs, que nous aimons tant. 

S. Debailly (à Abidjan)
(*) Titre original : « Ces "Adorateurs" tels qu’on les aime ». 

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Source : Connectionivoirienne.net 3 juin 2015 

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