Ces dernières années le vocabulaire politique ivoirien s’est
enrichi d’un néologisme : Adorateurs,
à écrire absolument avec un grand A pour le différencier du nom commun «
adorateur » qui figure dans le dictionnaire de la langue française depuis des
lustres. Les Adorateurs, ce sont les
soutiens indéfectibles et inconditionnels d’Alassane Dramane Ouattara ou Ado,
l’actuel chef de l’Etat ivoirien.
Être Adorateur, c‘est adopter un état d’esprit positif à tout point de
vue dès lors qu’un sujet concerne Alassane Ouattara. c’est un état d’esprit qui
consacre la déification d’un homme, Alassane Ouattara, vu comme un gourou, un
infaillible, un omnipotent, un omniscient. cet homme que nul n’égale, cet homme
que Dieu nous a envoyé pour le salut de la Côte d’Ivoire et de son peuple. un Adorateur en chef, en l’occurrence le
secrétaire général par intérim du Rdr, ne présentait-il pas Alassane Ouattara
comme l’adjoint de Dieu ? « Après Dieu, c’est Ouattara ! », avait-il affirmé
sans sourciller au cours d’un meeting public.
Pour les Adorateurs, toutes les décisions prises par Ouattara sont inspirées
par Dieu et elles sont forcément bonnes et insusceptibles de contestation ou de
contradiction.
Ouattara peut engager des travaux de
réfection des universités à plus de 100 milliards. Quelques mois seulement
après la rentrée universitaire, quand étudiants et profs se rendent compte que
rien n’a changé, ces derniers sont traités d’ingrats et de mécréants qui sont
contre le chef de l’Etat.
Des Chu sont des mouroirs, des hôpitaux
manquent de médicaments alors que l’année 2013 a été décrétée « année de la
santé » par Ouattara, des gens se plaignent. Pour les Adorateurs, ces plaignants sont des imbéciles.
Ouattara peut prendre les ressources de
l’Etat, les consacrer à l’achat de plusieurs avions pour redorer la flotte
présidentielle et voyager 120 fois à travers le monde aux frais de l’Etat sans
que ceci soit forcément productif. Les Adorateurs
seront encore là pour demander à ceux qui s’en plaignent « où est votre
problème ? Il achète avions et voyage à travers le monde pour le bien du pays.
» Peu importe si leur situation s’en trouve affectée.
Ouattara peut engager la réforme de la
filière café-cacao, mettre en place un système absolument opaque qui ne profite
guère aux paysans. Il se trouvera des Adorateurs
pour vous vanter l’immense bonheur dans lequel baignent les paysans ivoiriens
depuis l’avènement du messie. Des paysans qui brassent désormais des milliards
jamais égalés même du temps d’Houphouët.
Or il n’y a qu’à se rendre à Galébré
(Gagnoa) pour se rendre compte que même ceux des paysans qui l’ont élu se
mordent les doigts, tant leurs revenus ont baissé et tant ils subissent les
tracasseries. Car ils doivent désormais trier eux-mêmes à la main leurs fèves
de cacao. Il n’y a qu’à aller à Téapleu, un village de l’Ouest ivoirien, pour
savoir que les paysans ont depuis détruit leurs plantations de café pour passer
à autre chose. C’est clair, cela n’ébranlera point les Adorateurs. De même que la chute drastique des cours de l’hévéa
depuis l’arrivée de papa bonheur (de 1000 FCFA le kilo à 250 FCFA aujourd’hui)
n’ébranle aucun Adorateur. Bien au
contraire, pour les Adorateurs c’est
une très bonne décision qu’il fallait prendre depuis des années. Celle de taxer
fortement les industriels qui en répercutent les effets sur les paysans.
Pourtant l’un des plus grands Adorateurs,
l’ancien ministre Vincent Lohouès Essoh a fait fortune dans cette filière avec
implantation d’une unité industrielle à Dabou.
Qu’avec une politique ardue de cession
des entreprises nationales à des groupes étrangers, les opérateurs économiques
ivoiriens soient réduits à néant, les Adorateurs
trouveront des excuses à leur gourou infaillible. Pour eux, c’est le passage
obligé pour arriver à l’émergence puisqu’avec cette politique, Ouattara
construit des routes, des ponts, et patati et patata.
Mais
là où il faut être fier de nos chers Adorateurs,
c’est surtout lorsqu’ils applaudissent à tout rompre quand le chef annonce une
augmentation des tarifs de l’électricité. Dans un contexte de cherté de la vie,
pour les Adorateurs, cette mesure est
la bienvenue et ceux qui la contestent sont de gros jaloux qui ne veulent pas
que ce pays avance. Même quand un communiqué du ministère des Infrastructures économiques
fait savoir que la chaussée du pont De Gaulle va être réduite pour 5 mois en
vue de la réhabilitation de la seule chaussée et non de la superstructure dans
son ensemble, les Adorateurs se fichent
des conséquences dommageables pour les automobilistes qui seront forcés
d’emprunter le pont à péage. « La décision est salutaire », selon eux,
puisqu’effectivement cette chaussée avait besoin d’un coup d’éponge. Ils ne
prennent pas en compte le fait que les chaussées se font habituellement en une
nuit et le lendemain le trafic redevient normal. Quand vous dites cela, les Adorateurs vous répondent que non
seulement le communiqué parle de réduction de trafic et non de fermeture, mais
que ceux qui ne sont pas d’accord restent chez eux pendant cinq mois.
Voici la psychologie des Adorateurs. Ils font feu de tout bois
pour défendre leur idole. Pour eux, tout ce qui marche en Côte d’Ivoire c’est
Ouattara. Ce qui ne marche pas, c’est Gbagbo. À tous ceux qui critiquent
Ouattara, ils opposent le bilan de Gbagbo. Le slogan est connu : « en dix ans,
Gbagbo n’a rien fait ». Et depuis l’avènement d’Alassane Ouattara au pouvoir,
tout se fait et se défait en fonction de Gbagbo. Les mathématiciens diraient
que Laurent Gbagbo est le référentiel de toutes les actions qui s’entreprennent
dans la gouvernance Ouattara. Gbagbo n’avait pas fait ceci, Ouattara l’a fait.
Gbagbo n’était pas allé là, Ouattara y est allé. Ils oublient que cinq ans ont
passé. Cinq années, suffisantes pour que Ouattara prenne toute la situation en
main et imprime sa propre marque. Les cinq universités promises, les cinq Chu,
le million d’emplois promis aux jeunes, les 2000 FCFA le kilo promis aux
producteurs de cacao, la couverture maladie, l’école gratuite, toutes ces
promesses de Ouattara ont eu le temps d’être réalisées. Il ne doit point s’y
dérober en se cachant derrière les effets de la crise postélectorale sans gros
dégâts par rapport à ce qui aurait pu se produire si Gbagbo avait vraiment
choisi l’option d’une guerre totale.
Nos amis Adorateurs oublient aussi que pendant la décennie Gbagbo, les
principaux animateurs de la scène politique actuelle, Pdci, Rdr, Fpi, Pit,
rébellion ont eu droit au banquet. Chacun a eu sa part dans la gestion des
affaires publiques dans un gouvernement que certains appelaient « N’zassa »
pour sa mosaïque ethnico-politique. Aujourd’hui Gbagbo a le dos large pour
supporter toutes les insanités de son époque. Il y a sa part de responsabilité,
c’est indéniable. Mais l’une de ses anecdotes, comme il les affectionne, sonne
encore dans les mémoires : « Vous allez en conseil des ministres et des gens
vous appellent monsieur le président. Mais dès qu’ils sortent de là, ils te
tapent dans le dos. Ils te font un Tapé Doh. Mais c’est comme cela que nous
construisons la Côte d’Ivoire ».
On connaît Alassane Ouattara pour son
aversion de la contradiction et il a la chance de ne pas avoir un tel
gouvernement. Il est maître de la situation avec des ministres prêts à lui
nettoyer les bottes pour rester au gouvernement. Il a donc tout le champ libre
pour appliquer son programme. Mais cette analyse n’effleure point l’esprit de
nos Adorateurs.
Ils n’ont peut-être pas tort. Dans un
contexte où l’horizon politique ne fait que s’obscurcir, Alassane Ouattara est
comme un bouclier pour nos chers Adorateurs.
Ils se disent que Ouattara ne fait peut-être rien pour nous mais, tant qu’il
est là, nous avons de la protection et de la sécurité face à la colère des
Ivoiriens qu’il méprise aujourd’hui.
C’est en cela qu’il faut sauver nos
chers Adorateurs par un discours qui
peut les rassurer quand retentira le chant du cygne pour Alassane Ouattara.
Plus que jamais, ceux qui militent pour une alternance en Côte d’Ivoire doivent
être porteurs d’un discours réconciliateur, plus rassembleur qu’un discours
revanchard. Parce que ce pays a besoin de réconciliation et il faut sauver les
Ivoiriens y compris nos chers frères Adorateurs,
que nous aimons tant.
S.
Debailly (à Abidjan)
(*) Titre original : « Ces "Adorateurs" tels qu’on les
aime ».
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons
des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à
l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec
l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par
leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des
causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : Connectionivoirienne.net 3 juin 2015
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