mercredi 1 avril 2015

Le silence complice des hommes politiques du Nord dans le drame ivoirien

Les "vengeurs du Nord" à l'œuvre, quelque part à Abidjan,
en mars-avril 2011 
Hier comme aujourd’hui, la permanence du comportement des Ivoiriens originaires du Nord vis-à-vis d’Alassane Ouattara étonne. Avant les élections présidentielles de 2010, pendant plus d’une décennie, si l’idée que les ressortissants du Nord du pays étaient rejetés par le reste des Ivoiriens avait prospéré en Afrique et dans le reste du monde – particulièrement en France – c’est absolument parce que la très grande majorité des hommes politiques issus de cette zone ont gardé un silence complice sur le discours démagogique et ethnicisé d’Alassane Ouattara. Et aujourd’hui encore, ils sont très nombreux, sans doute trop nombreux, à se garder de dénoncer l’inhumanité des mesures politiques qui déchirent le tissu social ivoirien.
Des voix trop rares contre l’imposture
Quand on consulte les images d’archives, on constate qu’il n’y a guère que des individus n’occupant aucune fonction importante sur l’échiquier politique qui osèrent affirmer haut et fort que la prétendue exclusion des dioula de la vie politique et sociale – fonds de commerce de Ouattara – était en réalité un tissu de mensonges et donc une déformation de la réalité.
Et pourtant, les occasions étaient belles pour mettre en garde les ressortissants du Nord contre l’instrumentalisation de la division ethnique qui a conduit le pays dans une guerre fratricide. Mamadou Ben Soumahoro, ancien journaliste et député au moment où Alassane Ouattara était le premier ministre d’Houphouët-Boigny, fut le premier à flairer le danger et à le dénoncer vivement. C’est devant l’assemblée nationale qu’il appela alors à une levée de boucliers contre l’imposture qui se préparait. S’il est encore vivant, c’est parce qu’il a publiquement affirmé que s’il venait à mourir, l’on ne devra accuser que Ouattara dont il fut l’ancien partisan au sein du RDR.
Au nombre des voix rares qui s’élevèrent contre l’imposture, il faut compter celles des responsables d’une association musulmane chargée des voyages annuels à la Mecque qui dénoncèrent les propos démagogiques du patron du RDR en soulignant le soutien financier et technique que le pouvoir de Laurent Gbagbo apportait au monde musulman ivoirien, comme le faisait en son temps Félix Houphouët-Boigny. Dans le même document d’archives, l’un des intervenants reprit à son compte la célèbre phrase de Sékou Touré clamant « Nous préférons la pauvreté dans la liberté plutôt que l’esclavage dans l’opulence ». C’est dire combien certains étaient conscients de la recolonisation de la Côte d’Ivoire par le biais d’un nègre de maison choisi par la France.
Au-delà des mises en garde et des dénonciations, il faut surtout retenir les propos d’une dame originaire du Nord qui a peint avec une extrême justesse la réalité sociale et économique du pays, afin de mieux souligner le caractère mensonger du discours démagogique de Ouattara se situant très loin de la réalité du pays. D’une part, elle a relevé que le commerce et les transports sont presqu’exclusivement entre les mains des ressortissants du Nord ; c’est-à-dire qu’ils sont les détenteurs des seuls secteurs de l’économie où les Ivoiriens sont encore miraculeusement majoritaires. D’autre part, elle a mis le doigt sur une réalité comportementale qui explique en très grande partie le retard du Nord du pays en matière de développement urbain.
Quand les hommes du Nord font fortune dans le commerce et les transports, où construisent-ils leurs belles demeures ? C’est dans le Sud, convient-elle. Où les hommes politiques construisent-ils et établissent-ils leurs résidences ? Toujours dans le Sud ! Cela veut dire, conclut-elle, que les Nordistes s’acharnent à concurrencer leurs compatriotes dans leurs régions et négligent le Nord d’où ils viennent. Ils ne peuvent par conséquent accuser le reste de la Côte d’Ivoire d’être contre le développement de leur région, et pire d’opérer à leur égard une ségrégation ethnique.
Chose étrange, sous la présidence de Laurent Gbagbo, ce discours réfutant les thèses ségrégationnistes d’Alassane Dramane Ouattara n’a jamais été soutenu ou repris par les hommes politiques jouissant d’une notoriété certaine afin de lui conférer une portée plus grande. Ni Mamadou Koulibaly, alors président de l’Assemblée nationale, ni Laurent Dona Fologo, président du Conseil économique et social et plusieurs fois ministre sous Félix Houphouët-Boigny, n’ont daigné mettre leur notoriété au service de la cohésion nationale en relayant ce discours. A aucun moment, ces deux hommes – qui sont aujourd’hui chefs de partis politiques – n’ont dénoncé ouvertement l’entreprise de diabolisation du reste des Ivoiriens orchestrée en Afrique et en Europe par Alassane Ouattara avec le concours des medias français.
Quand la Charte du Nord fut rendue publique et que plus tard, suivant son esprit, la carte de la Côte d’Ivoire déchirée étala une ligne de démarcation entre le Nord et le reste du pays, quels furent les ressortissants nordistes à s’être offusqués publiquement de cette atteinte à l’unité nationale ? Aucun ! Quand une personnalité politique nordiste osa, dans une langue régionale, exposer le plan machiavélique de conquête du pouvoir par les Dioula tout en diabolisant le reste des Ivoiriens [http://www.dailymotion.com/video/xci45u][1], quel homme politique issu du Nord du pays dénonça-t-il la grave atteinte à l’intégrité et à la cohésion nationale ? Aucun ! On pouvait aisément comprendre la grande réticence des partisans de Laurent Gbagbo originaires du Nord à se lancer dans la dénonciation de cette entreprise. Ils étaient sûrs que leurs paroles seraient jugées partiales. Mais ceux qui remplissaient une haute fonction au sommet de l’Etat sans appartenir au parti de Laurent Gbagbo pouvaient aisément mener le combat de la dénonciation de l’imposture. Malheureusement, tout le monde garda le silence.
Depuis 2011, devant la politique dite de rattrapage ethnique lancée par Ouattara qui a placé à toutes les hautes fonctions de l’Etat des personnes originaires du Nord, on ne voit pas des hommes politiques dioula se réunir pour dénoncer en bloc cet agissement qui prépare des lendemains faits de vengeances ethniques. On constate que depuis 2011, le parti politique de Laurent Dona Fologo et celui de Mamadou Koulibaly n’ont jamais dénoncé de manière claire et nette l’emprisonnement arbitraire des partisans de Laurent Gbagbo ; ils n’ont jamais dénoncé le maintien en exil de milliers d’Ivoiriens au Ghana, au Togo et ailleurs dans le monde. A aucun moment, Laurent Dona Fologo et Mamadou Koulibaly n’ont dénoncé ouvertement le repeuplement de l’Ouest ivoirien par des populations étrangères venues du Burkina Faso. Ni l’un ni l’autre n’a cherché à faire comprendre aux populations du Nord que c’est en leur nom que Ouattara inflige des injustices au reste des Ivoiriens et laisse impunis ses miliciens.
Des calculs politiciens sans idéal politique
Pendant trop longtemps, quand Mamadou Koulibaly se permettait un peu de liberté de parole, c’était pour critiquer la politique économique d’Alassane Ouattara ; comme si les souffrances humaines dues à la chasse aux exilés dans les pays limitrophes, aux emprisonnements sans preuve et sans jugement, aux comptes bancaires des pro-Gbagbo bloqués, comme si ces souffrances n’avaient aucune importance à leurs yeux. Comme par miracle, à l’approche des élections présidentielles, le parti de Laurent Dona Fologo a retrouvé la voix pour dresser un bilan négatif de la gestion économique du pouvoir actuel et critiquer les atteintes aux structures devant préparer ces élections. Jamais des mots pour consoler la veuve et l’orphelin frappés par la justice des vainqueurs appliquée avec rigueur à l’encontre d’une partie de la population !
En agissant de la sorte, les leaders politiques du Nord ne font que s’associer au mutisme des hommes politiques et des medias français sur le drame que constitue le pouvoir d’Alassane Ouattara pour la Côte d’ivoire. Aujourd’hui, ces hommes politiques issus du Nord qui ont flirté avec le pouvoir d’Alassane Ouattara recherchent une union avec les partis de l’opposition parce que l’électorat de Laurent Gbagbo demeure pour eux la seule valeur sûre pour arracher le pouvoir à Alassane Dramane Ouattara. Des calculs politiciens mais point d’idéal politique pour l'ensemble des Ivoiriens au nombre desquels il faut compter les prisonniers politiques, les exilés, ceux de l'Ouest dépossédés de leur terre !

Raphaël Adjobi  

 
EN MARAUDE DANS LE WEB
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Source : http://leblogpolitiquederaphael.ivoire-blog.com 30 mars 2015


[1] - Traduction de l’essentiel des propos de Lamine Diabaté : « Le PDCI dit que nous sommes des peureux. Nos grands-pères n’ont pas eu peur de prendre cette région avec les fusils et la poudre. Nous ne voulons plus de ces gens parce que le PDCI nous manque de respect, nous méprise et ne nous considère pas. Ils nous ont traités comme des animaux.
Parce que nous votions pour Houphouët ils nous ont pris pour des ignorants. Ils ont organisé une campagne de dénigrement : ils ont injurié Alassane, son père, sa mère et nous. Mais ils ne nous connaissent pas. Parce que c’est avec des fusils et des balles que nos grands-parents ont conquis cette terre.
Ils ne nous font pas peur. Ils ont dit que nous ne serions plus rien dans ce pays. Ensuite ils ont renvoyé 267 de nos cadres. Ils ne veulent plus entendre l’appel du Muezzin de la mosquée pour la prière. Ils ne veulent pas de l’Islam et des musulmans. Ils envoient les militaires les frapper dans les mosquées. Si nous acceptons cela c’est que nous ne sommes pas des musulmans, si nous les suivons c’est que nous sommes des bâtards. Vous connaissez bien la chanson Malienne qui dit : plutôt la mort que la honte. Ici chez nous nous disons : "Mieux vaut mourir que d’avoir honte". Pouvons-nous accepter la honte ? NON !
Nous avons les mêmes armes qu’eux. Nous avons aussi nos hommes dans l’armée. Nous ne voulons d’eux ni aujourd’hui, ni demain. Depuis que Houphouët est mort nous n’avons connu que brimades, honte et humiliations. »

1 commentaire:

  1. Merci pour cette précision concernant le discours auquel je fais allusion dans mon texte. J'espère que cet homme vivra assez longtemps - et nous aussi - pour qu'il puisse nous faire une analyse claire de ses propos.

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