Les "vengeurs du Nord" à l'œuvre, quelque part à Abidjan, en mars-avril 2011 |
Hier comme aujourd’hui, la permanence du comportement des Ivoiriens
originaires du Nord vis-à-vis d’Alassane Ouattara étonne. Avant les élections
présidentielles de 2010, pendant plus d’une décennie, si l’idée que les
ressortissants du Nord du pays étaient rejetés par le reste des Ivoiriens avait
prospéré en Afrique et dans le reste du monde – particulièrement en France –
c’est absolument parce que la très grande majorité des hommes politiques issus
de cette zone ont gardé un silence complice sur le discours démagogique et
ethnicisé d’Alassane Ouattara. Et aujourd’hui encore, ils sont très nombreux,
sans doute trop nombreux, à se garder de dénoncer l’inhumanité des mesures
politiques qui déchirent le tissu social ivoirien.
Des voix trop rares contre l’imposture
Quand on consulte les images d’archives, on constate qu’il n’y a guère que
des individus n’occupant aucune fonction importante sur l’échiquier politique
qui osèrent affirmer haut et fort que la prétendue exclusion des dioula de la
vie politique et sociale – fonds de commerce de Ouattara – était en réalité un
tissu de mensonges et donc une déformation de la réalité.
Et pourtant, les occasions étaient belles pour mettre en garde les
ressortissants du Nord contre l’instrumentalisation de la division ethnique qui
a conduit le pays dans une guerre fratricide. Mamadou Ben Soumahoro, ancien journaliste et député au moment où
Alassane Ouattara était le premier ministre d’Houphouët-Boigny, fut le premier
à flairer le danger et à le dénoncer vivement. C’est devant l’assemblée
nationale qu’il appela alors à une levée de boucliers contre l’imposture qui se
préparait. S’il est encore vivant, c’est parce qu’il a publiquement affirmé que
s’il venait à mourir, l’on ne devra accuser que Ouattara dont il fut l’ancien
partisan au sein du RDR.
Au nombre des voix rares qui s’élevèrent contre l’imposture, il faut
compter celles des responsables d’une
association musulmane chargée des voyages annuels à la Mecque qui
dénoncèrent les propos démagogiques du patron du RDR en soulignant le soutien
financier et technique que le pouvoir de Laurent Gbagbo apportait au monde
musulman ivoirien, comme le faisait en son temps Félix Houphouët-Boigny. Dans
le même document d’archives, l’un des intervenants reprit à son compte la
célèbre phrase de Sékou Touré clamant « Nous préférons la pauvreté dans la
liberté plutôt que l’esclavage dans l’opulence ». C’est dire combien certains
étaient conscients de la recolonisation de la Côte d’Ivoire par le biais d’un
nègre de maison choisi par la France.
Au-delà des mises en garde et des dénonciations, il faut surtout retenir les
propos d’une dame originaire du Nord
qui a peint avec une extrême justesse la réalité sociale et économique du pays,
afin de mieux souligner le caractère mensonger du discours démagogique de
Ouattara se situant très loin de la réalité du pays. D’une part, elle a relevé que le commerce et les
transports sont presqu’exclusivement entre les mains des ressortissants du Nord
; c’est-à-dire qu’ils sont les détenteurs des seuls secteurs de l’économie où
les Ivoiriens sont encore miraculeusement majoritaires. D’autre part, elle a mis le doigt sur une réalité
comportementale qui explique en très grande partie le retard du Nord du pays en
matière de développement urbain.
Quand les hommes du Nord font fortune dans le commerce et les transports,
où construisent-ils leurs belles demeures ? C’est dans le Sud, convient-elle.
Où les hommes politiques construisent-ils et établissent-ils leurs résidences ?
Toujours dans le Sud ! Cela veut dire, conclut-elle, que les Nordistes
s’acharnent à concurrencer leurs compatriotes dans leurs régions et négligent
le Nord d’où ils viennent. Ils ne peuvent par conséquent accuser le reste de la
Côte d’Ivoire d’être contre le développement de leur région, et pire d’opérer à
leur égard une ségrégation ethnique.
Chose étrange, sous la présidence de Laurent Gbagbo, ce discours réfutant
les thèses ségrégationnistes d’Alassane Dramane Ouattara n’a jamais été soutenu
ou repris par les hommes politiques jouissant d’une notoriété certaine afin de
lui conférer une portée plus grande. Ni Mamadou
Koulibaly, alors président de l’Assemblée nationale, ni Laurent Dona Fologo, président du
Conseil économique et social et plusieurs fois ministre sous Félix
Houphouët-Boigny, n’ont daigné mettre leur notoriété au service de la cohésion
nationale en relayant ce discours. A aucun moment, ces deux hommes – qui sont
aujourd’hui chefs de partis politiques – n’ont dénoncé ouvertement l’entreprise
de diabolisation du reste des Ivoiriens orchestrée en Afrique et en Europe par
Alassane Ouattara avec le concours des medias français.
Quand la Charte du Nord fut
rendue publique et que plus tard, suivant son esprit, la carte de la Côte
d’Ivoire déchirée étala une ligne de démarcation entre le Nord et le reste du
pays, quels furent les ressortissants nordistes à s’être offusqués publiquement
de cette atteinte à l’unité nationale ? Aucun ! Quand une personnalité
politique nordiste osa, dans une langue régionale, exposer le plan
machiavélique de conquête du pouvoir par les Dioula tout en diabolisant le
reste des Ivoiriens [http://www.dailymotion.com/video/xci45u][1],
quel homme politique issu du Nord du pays dénonça-t-il la grave atteinte à
l’intégrité et à la cohésion nationale ? Aucun ! On pouvait aisément comprendre
la grande réticence des partisans de Laurent Gbagbo originaires du Nord à se
lancer dans la dénonciation de cette entreprise. Ils étaient sûrs que leurs
paroles seraient jugées partiales. Mais ceux qui remplissaient une haute
fonction au sommet de l’Etat sans appartenir au parti de Laurent Gbagbo
pouvaient aisément mener le combat de la dénonciation de l’imposture.
Malheureusement, tout le monde garda le silence.
Depuis 2011, devant la politique dite de rattrapage ethnique lancée par Ouattara qui a placé à toutes les
hautes fonctions de l’Etat des personnes originaires du Nord, on ne voit pas
des hommes politiques dioula se réunir pour dénoncer en bloc cet agissement qui
prépare des lendemains faits de vengeances ethniques. On constate que depuis
2011, le parti politique de Laurent Dona Fologo et celui de Mamadou Koulibaly
n’ont jamais dénoncé de manière claire et nette l’emprisonnement arbitraire des
partisans de Laurent Gbagbo ; ils n’ont jamais dénoncé le maintien en exil de
milliers d’Ivoiriens au Ghana, au Togo et ailleurs dans le monde. A aucun
moment, Laurent Dona Fologo et Mamadou Koulibaly n’ont dénoncé ouvertement le
repeuplement de l’Ouest ivoirien par des populations étrangères venues du
Burkina Faso. Ni l’un ni l’autre n’a cherché à faire comprendre aux populations
du Nord que c’est en leur nom que Ouattara inflige des injustices au reste des
Ivoiriens et laisse impunis ses miliciens.
Des calculs politiciens sans idéal
politique
Pendant trop longtemps, quand Mamadou Koulibaly se permettait un peu de
liberté de parole, c’était pour critiquer la politique économique d’Alassane
Ouattara ; comme si les souffrances humaines dues à la chasse aux exilés dans
les pays limitrophes, aux emprisonnements sans preuve et sans jugement, aux
comptes bancaires des pro-Gbagbo bloqués, comme si ces souffrances n’avaient
aucune importance à leurs yeux. Comme par miracle, à l’approche des élections
présidentielles, le parti de Laurent Dona Fologo a retrouvé la voix pour
dresser un bilan négatif de la gestion économique du pouvoir actuel et
critiquer les atteintes aux structures devant préparer ces élections. Jamais
des mots pour consoler la veuve et l’orphelin frappés par la justice des
vainqueurs appliquée avec rigueur à l’encontre d’une partie de la population !
En agissant de la sorte, les leaders politiques du Nord ne font que s’associer au mutisme des hommes politiques et des medias français sur le drame que constitue le pouvoir d’Alassane Ouattara pour la Côte d’ivoire. Aujourd’hui, ces hommes politiques issus du Nord qui ont flirté avec le pouvoir d’Alassane Ouattara recherchent une union avec les partis de l’opposition parce que l’électorat de Laurent Gbagbo demeure pour eux la seule valeur sûre pour arracher le pouvoir à Alassane Dramane Ouattara. Des calculs politiciens mais point d’idéal politique pour l'ensemble des Ivoiriens au nombre desquels il faut compter les prisonniers politiques, les exilés, ceux de l'Ouest dépossédés de leur terre !
En agissant de la sorte, les leaders politiques du Nord ne font que s’associer au mutisme des hommes politiques et des medias français sur le drame que constitue le pouvoir d’Alassane Ouattara pour la Côte d’ivoire. Aujourd’hui, ces hommes politiques issus du Nord qui ont flirté avec le pouvoir d’Alassane Ouattara recherchent une union avec les partis de l’opposition parce que l’électorat de Laurent Gbagbo demeure pour eux la seule valeur sûre pour arracher le pouvoir à Alassane Dramane Ouattara. Des calculs politiciens mais point d’idéal politique pour l'ensemble des Ivoiriens au nombre desquels il faut compter les prisonniers politiques, les exilés, ceux de l'Ouest dépossédés de leur terre !
Raphaël Adjobi
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons
des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à
l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec
l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par
leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des
causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source :
http://leblogpolitiquederaphael.ivoire-blog.com 30 mars 2015
[1] - Traduction de l’essentiel des
propos de Lamine Diabaté : « Le PDCI dit
que nous sommes des peureux. Nos grands-pères n’ont pas eu peur de prendre
cette région avec les fusils et la poudre. Nous ne voulons plus de ces gens parce que le PDCI nous
manque de respect, nous méprise et ne nous considère pas. Ils nous ont traités
comme des animaux.
Parce
que nous votions pour Houphouët ils nous ont pris pour des ignorants. Ils ont
organisé une campagne de dénigrement : ils ont injurié Alassane, son père, sa
mère et nous. Mais ils ne nous connaissent pas. Parce que c’est avec des fusils
et des balles que nos grands-parents ont conquis cette terre.
Ils
ne nous font pas peur. Ils ont dit que nous ne serions plus rien dans ce pays.
Ensuite ils ont renvoyé 267 de nos cadres. Ils ne veulent plus entendre l’appel
du Muezzin de la mosquée pour la prière. Ils ne veulent pas de l’Islam et des
musulmans. Ils envoient les militaires les frapper dans les mosquées. Si nous
acceptons cela c’est que nous ne sommes pas des musulmans, si
nous les suivons c’est que nous sommes des bâtards. Vous
connaissez bien la chanson Malienne qui dit : plutôt la mort que la honte. Ici
chez nous nous disons : "Mieux vaut mourir que d’avoir honte". Pouvons-nous
accepter la honte ? NON !
Nous
avons les mêmes armes qu’eux. Nous avons aussi nos hommes dans l’armée. Nous ne
voulons d’eux ni aujourd’hui, ni demain. Depuis que Houphouët est mort nous
n’avons connu que brimades, honte et humiliations. »
Merci pour cette précision concernant le discours auquel je fais allusion dans mon texte. J'espère que cet homme vivra assez longtemps - et nous aussi - pour qu'il puisse nous faire une analyse claire de ses propos.
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