PAROLES !,
PAROLES !…
F. Mitterrand et F. Houphouët après le retournement réussi du président du RDA |
« Car
garder l’Afrique, et y rester, n’était-ce pas d’abord en confier le soin aux
Africains qui sauraient fermer les yeux devant les mirages d’un nationalisme
illusoire ? N’était-ce pas leur conférer à cette fin les droits
politiques, économiques, sociaux qu’hommes libres ils pouvaient justement
exiger ? N’était-ce pas leur proposer l’entrée à égalité dans une
communauté plus vaste et plus forte où la France continuerait d’être leur amie
et leur guide ? Et perdre l’Afrique n’était-ce pas agir comme si l’espérance
des peuples opprimés avait cessé d’être française ? C’est ce que
comprirent avec bonheur MM. Vincent Auriol, Gaston Monnerville et René
Pleven lorsqu’en octobre 1950 ils acceptèrent de recevoir
M. Houphouët-Boigny. Le dialogue pouvait-il être renoué ? Au moins
devait-on le savoir. Le Rassemblement démocratique africain n’avait eu l’option
qu’entre la rébellion à outrance et la reddition pure et simple. Or la France
n’avait pas intérêt à clore ce conflit par l’emploi écrasant de sa force et l’humiliation
de l’adversaire. Ce que l’on sait de l’état du monde en 1951 démontre aisément
le sort réservé à ce genre d’entreprise. Il fallait donc tout faire pour
empêcher que l’exaspération collective des Noirs ne finît par donner un sens
aux fausses explications historiques du devenir africain répandues par une
poignée d’idéologues nationalistes et par les militants communistes ; pour
éviter un deuxième front de combat tandis que l’Indochine accaparait notre
potentiel militaire ; pour, enfin, regagner des élites que la culture, les
affinités de l’esprit et la pratique de l’honneur attachaient à la France alors
qu’elles eussent été rejetées à jamais aussi bien par l’hypocrite domination
des privilèges que par la répression brutale des armes. Je rencontrai deux fois
M. Houphouët-Boigny à mon bureau de la Rue Oudinot. Il me fit le récit des
espoirs et des déboires, des enthousiasmes et des douleurs éprouvés par les
siens. Il admit que rien ne fructifierait dans le désordre et l’émeute. Il se
déclara prêt à réaffirmer sa fidélité et celle de son parti non seulement aux
objectifs de la République tels qu’ils sont définis dans le préambule de la
Constitution de 1946 mais aussi à sa réalité territoriale, telle qu’elle est
décrite dans l’article 60 : "L’Union française est formée, d’une part
de la République française qui comprend la France métropolitaine, les
départements et territoires d’outre-mer, d’autre part des territoires et États
associés".
Je lui exposai qu’il
était temps encore d’arrêter la tragique méprise. Que s’il s’agissait d’obtenir
que les Africains fussent libres chez eux, libres de travailler, de se
syndiquer, de lutter pour leur salaire et leur sécurité, de circuler, d’écrire
et de parler ; s’il s’agissait d’abattre les privilèges scandaleux, d’imposer
l’égalité sociale et humaine entre les communautés ethniques, de punir et de
chasser les voyous arrogants qui fermaient leurs hôtels et leurs restaurants à
la peau noire ; s’il s’agissait d’instituer le suffrage universel et le
collège unique à tous les échelons, d’en finir avec des catégories paradoxales,
humiliantes, injustifiables, de promouvoir les institutions qui amorceraient la
fédération future au sein de laquelle chaque État ou Territoire disposerait
pleinement de ses propres affaires, j’offrais à l’Afrique noire la garantie du
gouvernement de la France. Désormais nous serions alliés dans ce combat et je
me promettais de porter les coups les plus rudes aux profiteurs de la présence
française qui condamnent la patrie dont ils se réclament à payer le prix de la
haine qu’ils suscitent. »
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