E. Allou (dans le cercle rouge) et L. Gbagbo quand le premier était le chef du protocole du second |
Notre Voie : Excellence,
après un long moment de silence, on vous retrouve, ce samedi 11 avril 2015, à
la commémoration du 11 avril 2011. Quel est votre sentiment en retrouvant l’ex-QG
de campagne du président Gbagbo ?
Eugène Allou : Je
suis d’abord content d’avoir retrouvé les camarades que je n’avais pas vus
depuis un certain temps pour des raisons qu’on évoquera plus tard. En
retrouvant ce QG, j’ai quand même des souvenirs tristes de ce lieu. en 2010,
j’étais l’ambassadeur de Côte d’Ivoire au Cameroun. Je suis arrivé ici, c’était
avant la campagne du premier tour de l’élection présidentielle. Je suis venu et
il y a un certain docteur Coulibaly Issa Malick que le président Gbagbo avait
nommé comme son directeur de campagne. Moi, Allou, je suis venu lui demander un
rendez-vous, mais il n’a même pas osé me recevoir. J’ai mis ça sur le compte de
la plaisanterie parce je me suis dit que ce monsieur ne connait pas le Fpi.
S’il ne reçoit pas Allou, c’est qu’il ne connait pas le Fpi.
N.V.: C’est
donc un triste souvenir pour vous…
E.A.: Oui. La
deuxième tristesse est que quelques jours plus tard, il y avait une
manifestation des amis de Laurent Gbagbo qui voulaient l’aider pour la campagne
présidentielle. Et un ami m’a dit qu’il avait la somme de 10 millions FCFA qui
voulait remettre au président Gbagbo comme sa contribution pour la campagne. Je
lui ai dit : allons au QG. Et nous y sommes allés. Quand nous sommes arrivés,
j’ai vu Jacques Anouma que j’appelle affectueusement Jackson. Il était le
directeur financier de la Présidence. Je lui ai dit que je suis venu avec un
ami qui a 10 millions FCFA à remettre au président Gbagbo pour l’aider à faire
sa campagne électorale. Jacques est monté au bureau du Président Gbagbo, mais
il n’est plus jamais revenu.
N.V.: Que
s’était-il passé ?
E.A.: Peut-être
que le président a refusé de me recevoir, peut-être que Jacques ne lui a pas
fait ma commission. Depuis ces évènements, je ne suis plus jamais revenu au QG
de campagne.
N.V.: Etait-ce
un signe de rupture ?
E.A.: Je ne sais
pas si c’était la rupture. C’est depuis ce jour que je n’ai plus mis pied ici.
N.V.: Qu’est-ce
qui explique votre présence après ces longues années ?
E.A.: Aujourd’hui,
je me retrouve au QG de campagne pour soutenir le président du Fpi, Pascal Affi
n’Guessan, qui a emprunté le chemin que moi j’avais conseillé en septembre
2011.
N. V. : Qu’aviez-vous
conseillé ?
E.A.: Nous sommes
en 2015. J’avais dit en son temps : faisons le sacrifice de reconnaitre notre
défaite et dialoguons avec le pouvoir. On a dit qu’Allou Eugène a trahi.
« Allou était avec moi. Ce qu’il a vu et entendu,
c’est en connaissance de cause qu’il parle »
N.V.: Des
Ivoiriens ont estimé que vous aviez injurié le président Gbagbo à travers votre
sortie à laquelle vous faites allusion. Qu’en est-il ?
E.A.: On a dit
qu’Allou a injurié Gbagbo. Pourtant je n’ai jamais dit le nom du président
Gbagbo. Il n’y a pas quelqu’un au Front populaire ivoirien (Fpi), hormis les
enfants de Gbagbo, qui peut affirmer qu’il aime Gbagbo plus qu’Allou. Si
Gbagbo, lui-même, répertorie les gens qui l’aiment, je pense que je serais en
bonne position. Parce que c’est lui, Gbagbo, qui sait qui l’aime et qui ne
l’aime pas. Moi, Allou, je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un au Fpi qui aime
Gbagbo plus que moi. Je l’ai servi de juin 1990 à juin 2008. J’étais avec lui
puis il m’a affecté au Cameroun. Il y a toujours des mouvements au niveau des
Affaires étrangères au cours desquels on affecte les ambassadeurs. Donc j’ai
mis ça sur le compte d’un mouvement normal dans le cadre de mon travail.
N.V.: Mais
selon une certaine opinion, vous n’étiez pas content de votre affectation au
Cameroun. Est-ce vrai ?
E.A.: Les gens
mentent en disant que je n’avais pas bien accueilli mon affectation au
Cameroun. Pourquoi un fonctionnaire de l’Etat de Côte d’Ivoire ne serait pas
content d’une affectation ? Est-ce qu’un préfet qui est à Abidjan et qu’on
affecte à Daloa peut dire qu’il n’est pas content ? C’est le président de la
République qui décide où il t’amène. Moi, je respecte l’Etat. J’ai servi l’Etat
et continue de le servir avec honnêteté. Mais n’oubliez pas que j’ai servi le
Fpi avec courage. Quand on parle du boycott actif, c’est Allou qui était devant.
Quand on dit le général Guéi, paix à son âme, a proclamé sa victoire et il
fallait le déloger, c’est Allou qui était devant. J’ai servi le Fpi avec
courage.
N.V.: Est-ce
le retour d’Allou dans la lutte du Front populaire ivoirien ?
E.A.: Je n’ai jamais
quitté le Fpi. Quand on est dans un parti politique, il y a un objectif majeur
qu’il vise. C’est de prendre le pouvoir. Quand on arrive au pouvoir, la vie et l’Etat
changent les gens pour les fonctions qu’ils doivent occuper. Il y a beaucoup de
militants, beaucoup de sympathisants du Fpi qui sont policiers ou gendarmes. Ceux-là
ne font pas la politique, mais ils votent quand il y a des élections. Donc dans
le respect de ma fonction, j’avais déjà démissionné de la direction du Fpi
quand Gbagbo était encore là. Quand j’ai été affecté comme ambassadeur au
Cameroun, j’ai écrit un courrier pour dire que ma nouvelle fonction de diplomate
et serviteur de l’Etat à l’étranger n’était pas compatible avec ma présence dans
la direction du Fpi. Par ailleurs, concernant le journal notre Voie, j’en étais
le directeur de publication. Quand j’ai été nommé au Cameroun, j’ai écrit un courrier
pour dire que ma fonction n’était plus compatible avec celle du directeur de publication
du journal. Donc mon comportement n’est pas nouveau. Je vais vous faire une
confidence : en 2003, il y a eu Linas-Marcoussis et Kleber après l’attaque
du pays en septembre 2002. Avec tout ce que j’ai vu à Kleber, quand nous en
sommes revenus, le président Gbagbo a convoqué une réunion avec des membres du
gouvernement et les militaires. A cette réunion, des personnes ont dit que
notre armée pouvait chasser la rébellion jusqu’à la frontière. Elles étaient
toutes unanimes sur la question. J’ai demandé au président Gbagbo, si je peux
dire quelque chose. il a dit : «
Oui, Allou, parle ». J’ai alors dit : « Chers amis, il faut qu’on demande au président Gbagbo
de dialoguer. Qu’il demande à Guillaume Soro, ce qu’ils veulent. Sinon si nous
attaquons la rébellion, on aura affaire à l’armée française ». A cette réunion, des personnes peuvent en témoigner, le
Président Gbagbo et Mme Simone Gbagbo étaient présents. Quand nous sommes
sortis de cette rencontre, il y a une personnalité qui s’est mise à genoux
devant moi pour me dire ceci : «
Allou, je te demande pardon, ne dis plus ce que tu as dit là parce que ça va
nous desservir ». Et quand le président Gbagbo a vu
cette personne à genoux, il a dit : «
mais Allou a fait quoi ? Vous pensez que les gens doivent forcément dire à une réunion
ce que vous pensez. Allou était avec moi. Ce qu’il a vu et entendu, c’est en connaissance
de cause qu’il parle ».
…c’est
toujours quelqu’un qui fait un autre. Et Gbagbo lui-même,
fondateur du
Fpi, c’est nous, les militants, qui l’avons fait.
E. Allou accueillant G. Soro à Gagnoa |
N.V: Pensez-vous
alors avoir eu raison très tôt ?
E.A.: Quand je
suis rentré en 2011, j’ai conseillé le dialogue avec le pouvoir. C’est cela qui
sera le salut du Front populaire ivoirien. Je vois que c’est ce qu’Affi fait
aujourd’hui en allant dialoguer avec le pouvoir.
N.V.: Allou
Eugène ira-t-il voir le président Gbagbo à La Haye ?
E.A.: Je n’y ai
pas encore pensé.
N.V.: L’avez-vous
oublié ?
E.A.: Je ne peux
pas oublier le président Gbagbo. J’ai dit que je l’ai servi de 1990 à 2008.
C’est le président Gbagbo qui m’a fait. J’en suis conscient et je lui dis
merci. Mais je dis à tous ceux qui en parlent sans relâche que c’est toujours
quelqu’un qui fait un autre. Et Gbagbo lui-même, fondateur du Fpi, c’est nous,
les militants, qui l’avons fait. Les gens le disent comme s’il s’agissait de l’amusement.
Oui, c’est Gbagbo qui a fait Allou. Mais moi, j’ai servi Gbagbo comme un fils
sert son père. Mais j’ai en même temps servi le Fpi avec courage, abnégation et
bravoure.
N.V. : Vous
n’avez donc pas le sentiment d’avoir trahi Gbagbo ?
E.A.: Moi Allou,
je ne peux pas trahir Gbagbo. Et Gbagbo lui-même ne dira jamais qu’Allou l’a
trahi.
N.V.: Vous
retrouvez le président du Fpi, Pascal Affi N’Guessan, et vos camarades au
moment où votre parti est en crise. Que pouvez-vous dire à ce propos ?
E.A.: En 2011
quand j’avais dit qu’il faut dialoguer et qu’on avait perdu le pouvoir, tout le
monde m’a qualifié de traître. J’étais seul à cette époque. Même à Gagnoa, quand
je passe, on dit : « lui-là, il a trahi Gbagbo ». Aujourd’hui, je
vois que les traîtres deviennent nombreux. Et les traîtres seront encore
beaucoup plus nombreux. Nos camarades doivent comprendre qu’il ne s’agit pas de
l’amour pour Gbagbo. Il s’agit de comment faire pour que notre parti ne
disparaisse pas et comment faire pour qu’on participe à l’évolution de la Côte
d’ivoire. C’est de cela qu’il s’agit. Les gens sont toujours dans l’émotion. Or
Dieu nous a créés en nous donnant l’intelligence et la sagesse pour mieux appréhender
les faits. Ce sont les faits que j’apprécie.
Interview
réalisée par Benjamin Koré
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source :
Notre
Voie 16
avril 2015
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