« La sorcière qui a mangé le bébé peut oublier,
mais la mère de l’enfant ne peut jamais oublier »
S. TRAORE |
« Pour
être assuré de mettre les pieds dans les bonnes pistes, consultons le bon vieux
dictionnaire ! Précaution commode parce que, parfois, il nous est brutalement
rappelé que le français n’est pas notre langue maternelle. Et le langage
d’autrui, c’est un autre soi-même. Sans souci donc, nous choisissons de
retourner sur les bancs de l’école. Ça ne fait pas de mal de revisiter les
fondamentaux. « Le référendum est un
procédé de démocratie semi-direct par lequel l’ensemble des citoyens d’un
territoire donné est appelé à exprimer une position sur une proposition qui
leur est faite, concernant une mesure qu’une autre autorité a prise ou envisage
de prendre ». Dit plus prosaïquement, quand ça coince, lorsque les
hommes et leurs échafaudages institutionnels peinent à montrer le chemin, on
pose la question à la grande masse. Preuve est faite que le législateur n’est
pas fou. Et qu’il a habilement pensé à tout. Une bonne chose qu’un cerveau bien
huilé qui fonctionne à plein régime !
Considérons les termes utilisés dans cette définition. Là, nous sommes
obligés de faire confiance aux femmes et aux hommes qui ont élaboré cette
phrase à tiroirs. Procédé, comprenons un moyen d’action. Si c’est une vis, le
procédé est un tournevis, cruciforme ou pas. Si c’est un écrou, il faut une
clé, anglaise, à molette ou pas. Pour labourer, une daba et pour défricher, une
machette. Démocratie, semi-directe ou pas, est à mettre en lien avec le mot
citoyen. En démocratie, si on a bien compris les explications de nos
enseignants, c’est le peuple, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens qui décide.
Le citoyen est donc une femme ou un homme libre qui prend ses décisions en
toute souveraineté. Comme un grand et sans l’aide de qui que ce soit. Au
contraire du sujet qui se prosterne devant un souverain à bonnet écarlate,
attendant l’oracle. Et dans ce cas de figure, l’autorité c’est la femme ou
l’homme à qui les citoyens ont bien voulu confier une parcelle de pouvoir. Quant au mot proposition, tout le
monde comprend. Tu veux du riz ou du tô ? Est-ce que tu manges du chitumu,
ou bien tu veux du poisson à la place ? On va au maquis, ou bien on reste
à la maison ? Et une fois rendus au bistrot, ça devient : une guiness
ou bien tu restes à la brakina ? Pour les croyants, ça peut donner
ceci : on mange maintenant ou bien on attend que tu reviennes de la
mosquée ?
Jusque-là, les choses sont claires et parfaitement compréhensibles. Il ne
devrait donc pas y avoir de problème notable. RAS, comme disent les soldats.
Seulement voilà ! Les hommes sont ce qu’ils sont, et Dieu seul sait
comment il a créé l’esprit humain. Et le Créateur seul sait ce qu’il a bien
voulu mettre dedans, en termes de droiture et de fourberie. Si bien que nous
pouvons prendre une bonne chose et en faire un méchant usage. Regardez le
couteau qui attend sagement sur votre table ! En soi, il n’est ni bon ni
mauvais. Tel qu’il est, il est utile et inutile. Opérant et inopérant, par
lui-même. Vous voulez une preuve ? Eh bien, soit ! C’est un bout de
fer forgé qui ne saurait bouger tout seul. C’est la main de l’homme qui en
détermine la fonction. Vous pouvez l’utiliser pour éplucher une mangue.
Activité innocente ! Vous pouvez l’utiliser pour protéger votre maison,
votre épouse et vos enfants. Activité noble ! Vous pouvez également
l’utiliser pour terroriser les gens de votre maison. Vous devenez du coup un
tyran domestique. Activité détestable ! Vous pouvez également utiliser ce
bout de ferraille pour agresser votre voisin ou pour réaliser des braquages. Du
coup, tout le monde rêve de vous faire la peau. Même le fusil n’a pas le choix.
L’arme du soldat et du policier nous rassure, parce que son détenteur est posté
là pour notre sécurité. Mais le fusil du visiteur de minuit tétanise toute la
maisonnée. Pourtant, c’est le même artisan qui a fabriqué et le premier et le
deuxième.
Les Blancs ont beau être
« Nassara »
Revenons à notre référendum qui met le feu dans les crânes ! Comme
procédé, c’est un bon système. Les Blancs ont beau être « Nassara »
(chrétiens, ndlr), ils ne peuvent pas être tous des roublards ! Car avec
le bulletin de vote, l’autorité dit au citoyen : « Votes ! Ne t’énerve plus ! Ne te fâche plus contre ton
frère ! Ne cries plus contre ta sœur ! Repose ta respiration !
Mets de la glace sur ton cœur ! Laisse ton gourdin ! Vas les
voir ! Fais ton "posé" et discutez, palabrez autant que vous
voulez, et décidez ensemble ce qui est souhaitable pour tous ! L’homme est
un remède pour l’homme. Choisis ! Et ne te bats plus ! Et puis, tout
bien considéré, de toi à moi, si tu ne dis rien, comment veux-tu que je te
comprenne ? Disons-nous la vérité : "même si le Gourmantché fais
le malin avec son sable, lui aussi met quelque chose dans sa bouche pour vivre".
"Regarde ce Boussanga aux oreilles écartées et à la narine pleine de
potasse, il croit qu’il est mieux que tout le monde !" Et ces
oreilles ? Et voilà que "c’est entré ici et puis c’est sorti là-bas",
c’est-à-dire "de fil en aiguille", on se dit un peu de tout. Et tout
le monde tousse ensemble, pète ensemble sur la même natte. Et puis "Toi
même tu vois non ?". On finit par convenir que "ce qu’il y a
chez les Peuls, c’est ça qu’il y a chez les mossé" ».
« Référendum, ce
que nous avons toujours fait »
Qu’est-ce qui est nouveau dans ça ? On dit référendum, mais c’est ce
que nous avons toujours fait à l’ombre du baobab ! Nous autres nègres, on
connaît ça-là depuis longtemps ! Donc référendum-là, c’est une bonne
chose. Mais qu’est-ce qui fait que les gens refusent d’en entendre
parler ? Là aussi, la réponse est simple : on n’a pas peur du
référendum lui-même, on n’a pas confiance à ceux qui veulent le mettre en
œuvre. Ce qui entraîne une autre question : comment un homme en
arrive-t-il à ne plus faire confiance à son prochain ? Et si on énonce une
question, la logique commande de répondre.
On craint et on rejette cette consultation parce qu’on connaît maintenant
toutes les techniques de trucage d’un scrutin. Deux proverbes pour illustrer le
propos. Les chanteurs ivoiriens disent que « la
sorcière qui a mangé le bébé peut oublier, mais la mère de l’enfant ne peut
jamais oublier ». Et les lutteurs sénégalais expliquent que « si tu fais la même prise deux ou
trois fois, soit sûr que ton adversaire est maintenant renseigné ».
Croyez-le bien : même si on n’a pas la bouche pour le dire, il n’en
demeure pas moins qu’on est révolté au plus haut point de se voir dépossédé du
résultat de son vote par de savants tours de passe-passe. Et on n’oublie pas.
On va parler football. Là, on va se comprendre. Imaginons un match où le
club qui reçoit a la maîtrise du terrain, le public avec lui, les arbitres et
les commissaires désignés par son entraîneur. Ce n’est pas tout. Le terrain est
en pente, et on devine facilement de quel côté ça descend. Les cages des
gardiens de but n’ont pas la même largeur. Là également l’esprit mesure
facilement qui a droit à quoi. Ce n’est pas fini. Le président du club qui
reçoit a la possibilité, à tout moment, de changer les règles du jeu. Même en
cours de match. Suprême finesse, c’est encore ce président qui peut dire à
quelle minute se termine la partie.
Les scrutins en Afrique
Le lecteur peut se laisser aller à penser qu’on exagère. Hélas non !
Dans les scrutins en Afrique, c’est la même équipe qui prépare, organise,
dirige un vote, qui comptabilise les suffrages, qui contrôle la régularité des
opérations, et qui proclame les résultats. Et en cas de litige, qui
retrouve-t-on à la manœuvre ? Du reste, qui peut prétendre avoir jamais vu
les réclamations d’une opposition aboutir sous nos cieux ardents ? Nos
dirigeants ne sont guère perméables à ce genre de poésie. Il est même arrivé
que le leader politique qui réclame finisse en prison. Qu’importe si la loi lui
reconnaît la possibilité de recours et s’il produit des preuves valables !
Certains diront des preuves lavables ! C’est pour contourner cette sorte
de martingale à sens unique que dans tous les pays africains, on s’est battu
pour avoir une CENI. Toutefois, à l’usage, on a pu remarquer que cela n’a pas
empêché de faire ses affaires entre petits copains. Il n’est pas interdit
d’être malin. Malin comme le Diable ! On peut se faire prendre en
possession d’urnes baladeuses, sans rien risquer. N’a-t-on pas pris récemment
des gens qui achetaient des cartes d’électeurs pour s’amuser ?
Mais, à ce jeu où c’est toujours le même qui gagne, on peut ne plus avoir
goût au spectacle. « Tu terrasses et je terrasse, c’est cela le plaisir de
la lutte ». Plus rusé que son prochain, ça gâte l’amitié. C’est tout
simplement humain et c’est ça qui est la réalité. Et il n’y a pas lieu de
perdre le contrôle de ses nerfs et de « souhaiter que Dieu brûle le
derrière » de ses petits camarades. Ce qu’il faut, c’est interroger la
genèse de cette constitution.
Limitation des mandats
présidentiels à deux
C’est le peuple qui a adopté cette constitution par référendum en juin
1991. Elle contenait la limitation des mandats présidentiels à 2 consécutifs.
Pour dire les choses simplement : une même femme ou un même homme peut
faire un premier mandat, puis se faire réélire pour un deuxième mandat si les
gens trouvent qu’il travaille bien. Après ce deuxième mandat, il doit partir et
laisser la place à un autre fils du pays. Il est gentil-ô ! Il est méchant-ô !
Il a bien travaillé-ô ! Il est un paresseux-ô ! Ce n’est pas le
problème : la loi dit qu’il doit partir. Si les gens trouvent que son
successeur est un mauvais naaba, on attend la fin du mandat du nouveau
président et on peut reprendre le premier que les gens aiment. La loi est comme
ça : même si elle ne plaît pas à tout le monde, même si elle nous impose
des contraintes, c’est la règle qu’il faut respecter pour que tout le monde
puisse vivre ensemble. Les autres Burkinabè doivent m’excuser, mais il est plus
prudent de parler de ce qu’on connaît. Quand un chef moaga meurt, c’est un
membre de la famille royale qui prend le trône et coiffe le bonnet rouge. C’est
la loi, et tout le monde a appris à respecter cette règle. Même si un autre
habitant du royaume est super-intelligent, même s’il est le plus beau et le
plus riche, s’il n’est pas prince il ne peut pas chercher le naam. Ça veut dire
que nous n’avons pas attendu le Blanc et ses papiers pour savoir ce qu’est la
loi. Sauf à vouloir tricher !
En 1997, sans consulter le peuple, on a décidé de modifier la constitution
et d’enlever la limitation des mandats présidentiels. Cette nouvelle loi qui a
été introduite nuitamment dit qu’un président peut se faire élire autant de
fois qu’il veut. La seule limitation, c’est sa mort.
Un an après, on a retrouvé Norbert Zongo et ses camarades trucidés à
Sapouy. Grosse émotion nationale et manifestations tous azimuts. Quand ça chauffe,
l’Africain retrouve ses réflexes de nègre. On a donc appelé les Grands Anciens
au secours. Le collège des Sages a mis sa bouche dans l’affaire et on a dit
qu’on remettait la constitution comme avant : c’est-à-dire telle que votée
en juin 1991. La peur a mis tout le monde d’accord et on pensait la cause
entendue.
La loi obéissante à des
procédures millimétrées
On pensait naïvement qu’en 2005, c’était la fin du deuxième mandat
consécutif de Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré. Mais des
savants ont regardé dans leurs gros livres et ont dit que la loi elle-même
obéit à des procédures millimétrées. Et que quand on vote une loi, elle ne peut
pas punir les gens qui ont fauté avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle
loi. Et que donc la deuxième révision qui a remis la loi à sa place ne pouvait
pas concerner Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré. Et que
donc, en 2005, après des années au pouvoir, on devait regarder Son Excellence
Monsieur le Président Blaise Compaoré comme un jeune homme tout neuf, qui n’a
jamais exercé le pouvoir, et qui vient de demander à venir au pouvoir. Si vous
avez compris, bravo ! Donc de 2005 à 2010, Son Excellence Monsieur le
Président Blaise Compaoré a fait « un
premier mandat ». Interdiction de rire ! Et de 2010 à 2015, il
est en train de faire « son deuxième
premier mandat ». Vous n’êtes pas encore égaré ? Bravo !
Que ce raisonnement soit vrai ou pas, on sait que toute chose a une fin.
Aujourd’hui, nous on sait de façon certaine que 2015, c’est la fin réelle du
deuxième mandat consécutif de Son Excellence Monsieur le Président Blaise
Compaoré. Et, quel que soit l’artifice, on sait que la dernière révision de
l’article 37 concerne bien Son Excellence Monsieur le Président Blaise
Compaoré. Et c’est là que le référendum est apparu miraculeusement. Subitement,
les gens qui n’ont jamais jugé utile de consulter le peuple pour faire les deux
précédentes révisions, se souviennent tout à coup brusquement que nous autres
citoyens, nous sommes là. Eh Allah !
Les choses un peu plus
complexes
On objectera que la loi n’interdit pas le référendum. Et on conviendra
humblement que c’est vrai. Toutefois, les choses sont un peu plus complexes.
Parce que la vie elle-même n’est pas simple. La loi n’interdit pas à un mari de
tout manger chez lui et de condamner ses femmes et ses enfants à la famine.
Pourtant, nul n’ose se le permettre. Si je dépense mon argent pour installer un
forage dans ma propriété, la loi ne peut pas m’obliger à permettre l’usage de
cet équipement aux femmes du quartier. Mais tout le monde voit qu’en le
faisant, je me rends coupable de barbarie. Une barbarie silencieuse, il est
vrai, mais une barbarie quand même. Parce que je deviens un monstre d’égoïsme.
Heureusement pour nous, Dieu a été gentil quand sa main nous façonnait. Il nous
a équipés d’un cerveau qui nous permet d’appréhender le réel.
Quand le politicien professionnel parle, le citoyen doit faire attention à
ses propos. Aujourd’hui, le mot paix revient dans tous les discours des « moogo pissants ». On a même
des ministres qui parcourent le monde pour promouvoir la paix. Ça veut dire que
nous devons craindre pour notre tranquillité future. Pourtant les choses sont
simples. Terriblement simples. Lumineusement simples. Chacun doit respecter la
loi. Et quand la loi dit que c’est fini, il faut accepter que c’est fini. On
doit accepter qu’on ne peut plus utiliser la force pour venir au pouvoir. On
doit accepter qu’on ne peut plus tricher lors des élections pour gagner quelque
chose. Surtout, nous devons éviter d’enseigner à nos enfants des mensonges qui
ressemblent furieusement à la vérité.
Sayouba Traoré, Écrivain,
Journaliste
Source : Lefaso.net 18 avril 2014
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