samedi 19 avril 2014

« Pourquoi votre référendum inquiète »

« La sorcière qui a mangé le bébé peut oublier,
mais la mère de l’enfant ne peut jamais oublier »  

S. TRAORE
« Pour être assuré de mettre les pieds dans les bonnes pistes, consultons le bon vieux dictionnaire ! Précaution commode parce que, parfois, il nous est brutalement rappelé que le français n’est pas notre langue maternelle. Et le langage d’autrui, c’est un autre soi-même. Sans souci donc, nous choisissons de retourner sur les bancs de l’école. Ça ne fait pas de mal de revisiter les fondamentaux. « Le référendum est un procédé de démocratie semi-direct par lequel l’ensemble des citoyens d’un territoire donné est appelé à exprimer une position sur une proposition qui leur est faite, concernant une mesure qu’une autre autorité a prise ou envisage de prendre ». Dit plus prosaïquement, quand ça coince, lorsque les hommes et leurs échafaudages institutionnels peinent à montrer le chemin, on pose la question à la grande masse. Preuve est faite que le législateur n’est pas fou. Et qu’il a habilement pensé à tout. Une bonne chose qu’un cerveau bien huilé qui fonctionne à plein régime !
Considérons les termes utilisés dans cette définition. Là, nous sommes obligés de faire confiance aux femmes et aux hommes qui ont élaboré cette phrase à tiroirs. Procédé, comprenons un moyen d’action. Si c’est une vis, le procédé est un tournevis, cruciforme ou pas. Si c’est un écrou, il faut une clé, anglaise, à molette ou pas. Pour labourer, une daba et pour défricher, une machette. Démocratie, semi-directe ou pas, est à mettre en lien avec le mot citoyen. En démocratie, si on a bien compris les explications de nos enseignants, c’est le peuple, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens qui décide. Le citoyen est donc une femme ou un homme libre qui prend ses décisions en toute souveraineté. Comme un grand et sans l’aide de qui que ce soit. Au contraire du sujet qui se prosterne devant un souverain à bonnet écarlate, attendant l’oracle. Et dans ce cas de figure, l’autorité c’est la femme ou l’homme à qui les citoyens ont bien voulu confier une parcelle de pouvoir. Quant au mot proposition, tout le monde comprend. Tu veux du riz ou du tô ? Est-ce que tu manges du chitumu, ou bien tu veux du poisson à la place ? On va au maquis, ou bien on reste à la maison ? Et une fois rendus au bistrot, ça devient : une guiness ou bien tu restes à la brakina ? Pour les croyants, ça peut donner ceci : on mange maintenant ou bien on attend que tu reviennes de la mosquée ?
Jusque-là, les choses sont claires et parfaitement compréhensibles. Il ne devrait donc pas y avoir de problème notable. RAS, comme disent les soldats. Seulement voilà ! Les hommes sont ce qu’ils sont, et Dieu seul sait comment il a créé l’esprit humain. Et le Créateur seul sait ce qu’il a bien voulu mettre dedans, en termes de droiture et de fourberie. Si bien que nous pouvons prendre une bonne chose et en faire un méchant usage. Regardez le couteau qui attend sagement sur votre table ! En soi, il n’est ni bon ni mauvais. Tel qu’il est, il est utile et inutile. Opérant et inopérant, par lui-même. Vous voulez une preuve ? Eh bien, soit ! C’est un bout de fer forgé qui ne saurait bouger tout seul. C’est la main de l’homme qui en détermine la fonction. Vous pouvez l’utiliser pour éplucher une mangue. Activité innocente ! Vous pouvez l’utiliser pour protéger votre maison, votre épouse et vos enfants. Activité noble ! Vous pouvez également l’utiliser pour terroriser les gens de votre maison. Vous devenez du coup un tyran domestique. Activité détestable ! Vous pouvez également utiliser ce bout de ferraille pour agresser votre voisin ou pour réaliser des braquages. Du coup, tout le monde rêve de vous faire la peau. Même le fusil n’a pas le choix. L’arme du soldat et du policier nous rassure, parce que son détenteur est posté là pour notre sécurité. Mais le fusil du visiteur de minuit tétanise toute la maisonnée. Pourtant, c’est le même artisan qui a fabriqué et le premier et le deuxième.
Les Blancs ont beau être « Nassara »
Revenons à notre référendum qui met le feu dans les crânes ! Comme procédé, c’est un bon système. Les Blancs ont beau être « Nassara » (chrétiens, ndlr), ils ne peuvent pas être tous des roublards ! Car avec le bulletin de vote, l’autorité dit au citoyen : « Votes ! Ne t’énerve plus ! Ne te fâche plus contre ton frère ! Ne cries plus contre ta sœur ! Repose ta respiration ! Mets de la glace sur ton cœur ! Laisse ton gourdin ! Vas les voir ! Fais ton "posé" et discutez, palabrez autant que vous voulez, et décidez ensemble ce qui est souhaitable pour tous ! L’homme est un remède pour l’homme. Choisis ! Et ne te bats plus ! Et puis, tout bien considéré, de toi à moi, si tu ne dis rien, comment veux-tu que je te comprenne ? Disons-nous la vérité : "même si le Gourmantché fais le malin avec son sable, lui aussi met quelque chose dans sa bouche pour vivre". "Regarde ce Boussanga aux oreilles écartées et à la narine pleine de potasse, il croit qu’il est mieux que tout le monde !" Et ces oreilles ? Et voilà que "c’est entré ici et puis c’est sorti là-bas", c’est-à-dire "de fil en aiguille", on se dit un peu de tout. Et tout le monde tousse ensemble, pète ensemble sur la même natte. Et puis "Toi même tu vois non ?". On finit par convenir que "ce qu’il y a chez les Peuls, c’est ça qu’il y a chez les mossé" ».
« Référendum, ce que nous avons toujours fait »
Qu’est-ce qui est nouveau dans ça ? On dit référendum, mais c’est ce que nous avons toujours fait à l’ombre du baobab ! Nous autres nègres, on connaît ça-là depuis longtemps ! Donc référendum-là, c’est une bonne chose. Mais qu’est-ce qui fait que les gens refusent d’en entendre parler ? Là aussi, la réponse est simple : on n’a pas peur du référendum lui-même, on n’a pas confiance à ceux qui veulent le mettre en œuvre. Ce qui entraîne une autre question : comment un homme en arrive-t-il à ne plus faire confiance à son prochain ? Et si on énonce une question, la logique commande de répondre.
On craint et on rejette cette consultation parce qu’on connaît maintenant toutes les techniques de trucage d’un scrutin. Deux proverbes pour illustrer le propos. Les chanteurs ivoiriens disent que « la sorcière qui a mangé le bébé peut oublier, mais la mère de l’enfant ne peut jamais oublier ». Et les lutteurs sénégalais expliquent que « si tu fais la même prise deux ou trois fois, soit sûr que ton adversaire est maintenant renseigné ». Croyez-le bien : même si on n’a pas la bouche pour le dire, il n’en demeure pas moins qu’on est révolté au plus haut point de se voir dépossédé du résultat de son vote par de savants tours de passe-passe. Et on n’oublie pas.
On va parler football. Là, on va se comprendre. Imaginons un match où le club qui reçoit a la maîtrise du terrain, le public avec lui, les arbitres et les commissaires désignés par son entraîneur. Ce n’est pas tout. Le terrain est en pente, et on devine facilement de quel côté ça descend. Les cages des gardiens de but n’ont pas la même largeur. Là également l’esprit mesure facilement qui a droit à quoi. Ce n’est pas fini. Le président du club qui reçoit a la possibilité, à tout moment, de changer les règles du jeu. Même en cours de match. Suprême finesse, c’est encore ce président qui peut dire à quelle minute se termine la partie.
Les scrutins en Afrique
Le lecteur peut se laisser aller à penser qu’on exagère. Hélas non ! Dans les scrutins en Afrique, c’est la même équipe qui prépare, organise, dirige un vote, qui comptabilise les suffrages, qui contrôle la régularité des opérations, et qui proclame les résultats. Et en cas de litige, qui retrouve-t-on à la manœuvre ? Du reste, qui peut prétendre avoir jamais vu les réclamations d’une opposition aboutir sous nos cieux ardents ? Nos dirigeants ne sont guère perméables à ce genre de poésie. Il est même arrivé que le leader politique qui réclame finisse en prison. Qu’importe si la loi lui reconnaît la possibilité de recours et s’il produit des preuves valables ! Certains diront des preuves lavables ! C’est pour contourner cette sorte de martingale à sens unique que dans tous les pays africains, on s’est battu pour avoir une CENI. Toutefois, à l’usage, on a pu remarquer que cela n’a pas empêché de faire ses affaires entre petits copains. Il n’est pas interdit d’être malin. Malin comme le Diable ! On peut se faire prendre en possession d’urnes baladeuses, sans rien risquer. N’a-t-on pas pris récemment des gens qui achetaient des cartes d’électeurs pour s’amuser ?
Mais, à ce jeu où c’est toujours le même qui gagne, on peut ne plus avoir goût au spectacle. « Tu terrasses et je terrasse, c’est cela le plaisir de la lutte ». Plus rusé que son prochain, ça gâte l’amitié. C’est tout simplement humain et c’est ça qui est la réalité. Et il n’y a pas lieu de perdre le contrôle de ses nerfs et de « souhaiter que Dieu brûle le derrière » de ses petits camarades. Ce qu’il faut, c’est interroger la genèse de cette constitution.
Limitation des mandats présidentiels à deux
C’est le peuple qui a adopté cette constitution par référendum en juin 1991. Elle contenait la limitation des mandats présidentiels à 2 consécutifs. Pour dire les choses simplement : une même femme ou un même homme peut faire un premier mandat, puis se faire réélire pour un deuxième mandat si les gens trouvent qu’il travaille bien. Après ce deuxième mandat, il doit partir et laisser la place à un autre fils du pays. Il est gentil-ô ! Il est méchant-ô ! Il a bien travaillé-ô ! Il est un paresseux-ô ! Ce n’est pas le problème : la loi dit qu’il doit partir. Si les gens trouvent que son successeur est un mauvais naaba, on attend la fin du mandat du nouveau président et on peut reprendre le premier que les gens aiment. La loi est comme ça : même si elle ne plaît pas à tout le monde, même si elle nous impose des contraintes, c’est la règle qu’il faut respecter pour que tout le monde puisse vivre ensemble. Les autres Burkinabè doivent m’excuser, mais il est plus prudent de parler de ce qu’on connaît. Quand un chef moaga meurt, c’est un membre de la famille royale qui prend le trône et coiffe le bonnet rouge. C’est la loi, et tout le monde a appris à respecter cette règle. Même si un autre habitant du royaume est super-intelligent, même s’il est le plus beau et le plus riche, s’il n’est pas prince il ne peut pas chercher le naam. Ça veut dire que nous n’avons pas attendu le Blanc et ses papiers pour savoir ce qu’est la loi. Sauf à vouloir tricher !
En 1997, sans consulter le peuple, on a décidé de modifier la constitution et d’enlever la limitation des mandats présidentiels. Cette nouvelle loi qui a été introduite nuitamment dit qu’un président peut se faire élire autant de fois qu’il veut. La seule limitation, c’est sa mort.
Un an après, on a retrouvé Norbert Zongo et ses camarades trucidés à Sapouy. Grosse émotion nationale et manifestations tous azimuts. Quand ça chauffe, l’Africain retrouve ses réflexes de nègre. On a donc appelé les Grands Anciens au secours. Le collège des Sages a mis sa bouche dans l’affaire et on a dit qu’on remettait la constitution comme avant : c’est-à-dire telle que votée en juin 1991. La peur a mis tout le monde d’accord et on pensait la cause entendue.
La loi obéissante à des procédures millimétrées
On pensait naïvement qu’en 2005, c’était la fin du deuxième mandat consécutif de Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré. Mais des savants ont regardé dans leurs gros livres et ont dit que la loi elle-même obéit à des procédures millimétrées. Et que quand on vote une loi, elle ne peut pas punir les gens qui ont fauté avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi. Et que donc la deuxième révision qui a remis la loi à sa place ne pouvait pas concerner Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré. Et que donc, en 2005, après des années au pouvoir, on devait regarder Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré comme un jeune homme tout neuf, qui n’a jamais exercé le pouvoir, et qui vient de demander à venir au pouvoir. Si vous avez compris, bravo ! Donc de 2005 à 2010, Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré a fait « un premier mandat ». Interdiction de rire ! Et de 2010 à 2015, il est en train de faire « son deuxième premier mandat ». Vous n’êtes pas encore égaré ? Bravo !
Que ce raisonnement soit vrai ou pas, on sait que toute chose a une fin. Aujourd’hui, nous on sait de façon certaine que 2015, c’est la fin réelle du deuxième mandat consécutif de Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré. Et, quel que soit l’artifice, on sait que la dernière révision de l’article 37 concerne bien Son Excellence Monsieur le Président Blaise Compaoré. Et c’est là que le référendum est apparu miraculeusement. Subitement, les gens qui n’ont jamais jugé utile de consulter le peuple pour faire les deux précédentes révisions, se souviennent tout à coup brusquement que nous autres citoyens, nous sommes là. Eh Allah !
Les choses un peu plus complexes
On objectera que la loi n’interdit pas le référendum. Et on conviendra humblement que c’est vrai. Toutefois, les choses sont un peu plus complexes. Parce que la vie elle-même n’est pas simple. La loi n’interdit pas à un mari de tout manger chez lui et de condamner ses femmes et ses enfants à la famine. Pourtant, nul n’ose se le permettre. Si je dépense mon argent pour installer un forage dans ma propriété, la loi ne peut pas m’obliger à permettre l’usage de cet équipement aux femmes du quartier. Mais tout le monde voit qu’en le faisant, je me rends coupable de barbarie. Une barbarie silencieuse, il est vrai, mais une barbarie quand même. Parce que je deviens un monstre d’égoïsme. Heureusement pour nous, Dieu a été gentil quand sa main nous façonnait. Il nous a équipés d’un cerveau qui nous permet d’appréhender le réel.
Quand le politicien professionnel parle, le citoyen doit faire attention à ses propos. Aujourd’hui, le mot paix revient dans tous les discours des « moogo pissants ». On a même des ministres qui parcourent le monde pour promouvoir la paix. Ça veut dire que nous devons craindre pour notre tranquillité future. Pourtant les choses sont simples. Terriblement simples. Lumineusement simples. Chacun doit respecter la loi. Et quand la loi dit que c’est fini, il faut accepter que c’est fini. On doit accepter qu’on ne peut plus utiliser la force pour venir au pouvoir. On doit accepter qu’on ne peut plus tricher lors des élections pour gagner quelque chose. Surtout, nous devons éviter d’enseigner à nos enfants des mensonges qui ressemblent furieusement à la vérité.

Sayouba Traoré, Écrivain, Journaliste 

Source : Lefaso.net 18 avril 2014

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