Une interview de Me Apollinaire
Kyélem de Tambèla
Me Apollinaire Kyélem de Tambèla |
Me
Apollinaire Kyélem de Tambèla, est avocat au Barreau du Burkina Faso et
directeur du Centre de recherches internationales et stratégiques (C.R.I.S).
Très fécond en production, il est auteur de plusieurs ouvrages de référence,
notamment : « Thomas Sankara et la Révolution au Burkina Faso. Une
expérience de développement autocentré ». Dans cette interview, il se
prononce sur la récente radiation des avocats et sur les dossiers pendants en
justice. Mais il donne surtout son point de vue sur la situation politique
nationale.
Le bâtonnier de
l’ordre des avocats vient de prononcer la radiation de certains avocats du
Barreau burkinabè. Est-ce le signe que le barreau serait infesté aussi de
brebis galeuses ?
J’ai
effectivement appris la radiation des confrères à travers la presse. Parce que
n’étant pas membre du conseil de l’Ordre, je ne suis donc pas au courant de ses
décisions sauf lorsqu’elles sont rendues publiques. Mais par principe, je suis
contre les radiations. Parce qu’il y a une échelle de sanctions prévues par nos
textes qu’on peut exploiter. Pour moi, la radiation est une mesure extrême qui
ne devrait intervenir qu’après des avertissements, des mises en demeure et des
mises en garde. Donc par principe je suis contre les radiations. Parce que si
vous radiez quelqu’un, ça veut dire qu’il est exclu de la profession et en ce
moment, vous voulez qu’il fasse quoi ? Donc il faudrait une faute
inexcusable et très grave de mon point de vue avant qu’on ne prononce les
radiations. Mais j’avoue que je n’ai pas encore eu le temps de bien lire tous
les documents pour pouvoir me prononcer en toute connaissance de cause. Je ne
peux pas donner un point de vue sur ce plan pour vous dire par exemple si la
radiation est fondée ou pas. Seulement, je vous ai donné ma position de
principe.
Maintenant,
dire qu’il y a des brebis galeuses dans le milieu des avocats, il faut savoir
que la profession d’avocat est constituée d’avocats, donc de burkinabè qui
vivent les mêmes réalités que le Burkina Faso. Et les mêmes crises qui se
ressentent dans la société Burkinabè se retrouvent au sein des avocats. Vous
avez des avocats qui sont tentés par le goût de l’enrichissement illicite et de
la facilité à l’image des autres membres de la société. Mais là où c’est
difficilement acceptable chez les avocats tout comme chez les magistrats, c’est
parce qu’ils sont les représentants de la loi. C’est eux qui doivent défendre
la loi ; donc c’est eux qui doivent beaucoup plus résister à ces
tentations plus que le commun des citoyens. Dire qu’il y a des brebis galeuses
…Certes, sans doute ! Mais je pense qu’il ne faut pas exagérer. J’ai lu
les déclarations du bâtonnier dans la presse où il insinuait que les avocats
sont des « coupeurs de route ». Je m’inscris en faux. Je ne sais pas
ce qui a amené le bâtonnier à affirmer cela, mais dire que les avocats sont des
coupeurs de route, ça veut dire qu’il n’ y a plus de moralité dans cette
profession. Et ça veut dire qu’il se dénie lui-même. Et s’il y a toujours des
gens qui ont toujours confiance aux avocats pour leur confier leurs dossiers,
ça veut dire qu’ils ont confiance en ce qu’ils font. Tout compte fait, il y a
beaucoup plus d’avocats méritants et de magistrats méritants que d’avocats ou
de magistrats défaillants.
Justement,
d’aucuns sont tentés de penser à une forme de vengeance étant donné que l’un
des avocats radié en l’occurrence Me Keita avait attrait le bâtonnier devant le
tribunal pour une affaire de blocage d’honoraires au niveau de la CARPA, la
caisse des avocats !
Je ne peux pas
me prononcer là-dessus parce que je n’ai pas d’éléments. Mais si c’était le
cas, ce serait vraiment déplorable. Parce que quand vous êtes une autorité,
vous devez vous élever pour être au-dessus de toutes ces choses. Quand vous
êtes une autorité, il faut accepter la critique. Quelles critiques on ne fait
pas par exemple sur le président Blaise Compaoré et son régime ? Mais il
est obligé de l’accepter ! Et si tu ne peux pas accepter les critiques, tu
démissionnes. Donc à partir du moment où on est investi d’une certaine autorité,
il faut accepter la contradiction, la critique et collaborer avec tes
administrés. Si c’était vraiment un cas de vengeance, ce serait vraiment
déplorable et j’ose croire que ce n’est pas le cas.
Vous dites
qu’il n’y a pas cette critique qu’on ne formule pas à l’encontre du régime en
place. Il s’agit de quelles critiques par exemple ?
Vous savez que Blaise Compaoré a assis
son régime sur le sang ! Le 15 octobre a commencé par un bain de sang avec
l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons. Il s’en est suivi des
assassinats et des disparitions inexpliqués notamment de Lengani, Henri Zongo,
Guillaume Sessouma, Oumarou Clément Ouédraogo, Dabo Boukary, Norbert Zongo etc.
et ça, qu’on le veuille ou pas, c’est le régime qui est comptable de ce passif.
Et le président Compaoré en tant que chef de l’Etat, chef suprême des armées et
premier magistrat, a la responsabilité morale et il ne peut pas s’en laver les
mains. En dehors de cela, il y a les crimes économiques que les médias
évoquent à tout moment. Il y a la mal gouvernance qui est aussi décriée et le
président entend ! Donc ce sont ces genres de critiques qui sont adressées
en général contre le régime. Et de mon point de vue, la critique fondamentale
c’est ce qui porte atteinte au droit à la vie, au droit à la liberté
d’expression, au droit à la liberté d’aller et venir. Et sur ce plan, le régime
a failli. Parce que la
responsabilité d’un Chef d’Etat, c’est de préserver la vie de ses citoyens.
Sinon, quel que soit ce que vous allez faire pour le pays, si des vies sont
ôtées, tout ce que vous faites est nul.
Justement la
requête pour l’exhumation de la tombe de Thomas Sankara en vue de procéder à un
test ADN a encore été renvoyée par le tribunal. Que cachent de telles
manœuvres ?
Il faut être
dans le milieu judiciaire pour comprendre ce phénomène. Ce n’est pas le seul
dossier où il y a eu des renvois. Il y a beaucoup de facteurs qui peuvent
intervenir dans le renvoi d’un dossier sans que ce ne soit une mauvaise
intention. Il y a par exemple la question de la disponibilité d’un ou des
magistrats, des cas où le juge demande l’ajout de pièces, etc. Les avocats du
dossier peuvent avoir leur point de vue sur la question mais n’étant pas dans
le dossier je ne peux pas me prononcer là-dessus. Seulement, étant de la profession,
je sais que beaucoup de facteurs peuvent intervenir dans le renvoi d’un dossier
sans que ce ne soit pas nécessairement animé par une mauvaise intention.
Quelles issues
pourraient avoir les dossiers judiciaires pendants tels celui de Thomas
Sankara, Dabo Boukary et Norbert Zongo ?
Nous avons
parlé de crimes de sang dont le régime est responsable parce qu’ils ont été
commis sous le régime du président Compaoré. Alors qu’il a prêté serment de
respecter la constitution qui garantit le droit à la vie de chacun. La question
que vous me posez, vous savez très bien qu’on dit qu’on ne scie pas la branche
sur laquelle on est assis ! Si le régime veut rendre justice sur ces
dossiers, il va tomber. Si la justice doit se faire dans le dossier Thomas
Sankara ou Norbert Zongo, ceux qui sont actuellement au pouvoir seront
impliqués. Dans notre tradition, le parquet est assujetti à la chancellerie,
donc au ministère de la justice et à l’exécutif par ricochet, alors que le
parquet a l’opportunité des poursuites. Si ça ne l’arrange pas, il fera de
sorte que les choses n’aboutissent pas ! En France, jusque dans les années
récentes, dans les dossiers qui impliquent les hautes personnalités, on
s’arrangeait toujours pour constituer le tribunal en fonction du sens dans
lequel on veut que la décision aille.
Des magistrats qui ont connu de l’affaire
Norbert Zongo sont actuellement nommés à des hautes responsabilités au niveau
de la justice. Le ministre Dramane Yaméogo était procureur du Faso à l’époque
et le juge d’instruction du dossier Wenscelas Ilboudo est devenu Procureur
général. N’y a-t-il pas une relation de cause à effet ?
C’est tout à
fait normal. C’est le même régime et le même système qui se poursuit avec les
mêmes hommes.
Des dossiers
comme celui de Guiro, l’ancien D G des Douanes dorment toujours au tribunal.
Faut-il se désillusionner de voir un éventuel procès ?
J’ai
effectivement entendu parler de ce dossier. Mais en tant qu’avocat, j’ai appris
à être prudent. Parce que généralement entre la rumeur et la réalité du
dossier, il y a toujours un fossé. J’ai eu à connaitre des dossiers très
sensibles dans lesquels le public avait déjà désigné ses coupables. Et quand
j’ai examiné le dossier, je me suis rendu compte qu’en termes de culpabilité,
il y en avait pas. Parce que ceux qui abordent la question généralement dans la
presse ne sont pas des spécialistes du droit. Il faut savoir que vous pouvez
avoir tort moralement mais avoir raison juridiquement. Comme vous pouvez avoir
tort juridiquement et raison moralement. Les deux choses ne sont pas liées. En
première année de droit à l’Université, dans les cours d’introduction à l’étude
du droit, on apprend aux étudiants que le droit ce n’est pas les us et
coutumes !
La médiation
interne initiée par le président Jean Baptiste Ouédraogo a échoué. Est-ce que
cette médiation pouvait avoir un meilleur sort selon vous ?
La médiation
était une bonne initiative de la part du président Jean Baptiste Ouédraogo.
Cette médiation pouvait avoir un meilleur sort connaissant la faune politique
du Burkina où les gens se prononcent généralement non pas sur des positions de
principe mais en fonction d’intérêts particuliers. Ce qui préoccupe généralement c’est les
postes de conseillers, députés, ministres etc…comme si c’était une fin en soi.
Ça, ce sont des attitudes de politiciens alors que nous devons avoir des
attitudes d’homme d’Etat. L’homme d’Etat pense à la prochaine génération et le
politicien pense à la prochaine élection. C’est cela la différence. L’homme
d’Etat voit l’avenir du pays. Le politicien voit son avenir à lui et celui de
son clan. Au Burkina Faso, il y a beaucoup plus de politiciens que d’hommes
d’Etat. Donc les gens se prononcent en fonction des intérêts qu’ils peuvent
avoir. Est-ce qu’en étant là-bas, je peux achever les murs de ma maison. Est-ce
que je peux avoir la 4x4 aussi comme celle du voisin ? Voilà généralement
l’optique des politiciens du Burkina Faso. Donc sachant que tel est le
cas, si on avait mis les moyens dans ce sens, ça pouvait aboutir !
Peut-être qu’on aurait pu appâter des gens pour qu’ils aillent dans le sens
qu’on voulait qu’ils aillent ! La chèvre est là pour brouter. Si on lui
montre un vert pâturage, d’un côté, elle pouvait s’orienter de ce côté ! Ça
aurait pu aboutir connaissant l’état de la faune politique burkinabè. Mais si
la médiation n’a pas abouti, il y a deux raisons : soit ceux qui voulaient
que ça aboutisse n’ont pas mis les moyens qu’il fallait, soit la faune
politique est en train de changer.
Voulez-vous
faire allusion à la corruption ?
À propos du
mandat exigé par l’opposition par exemple, l’expérience a suffisamment montré
que si on met les moyens, les avis peuvent diverger à un moment donné lors des
négociations. Et si cela n’a pas été le cas cette fois-ci, il faut se dire que
soit les moyens qui auraient été déployés éventuellement n’ont pas été
conséquents, soit c’est la classe politique qui a muté
Mais est-ce que
la médiation ne portait pas en elle-même les germes de son échec avec ses
propositions de « transition apaisée après 2015 » ?
Non je ne pense
pas. La proposition portait sur 2 ans transitoires. Vous savez que selon la
constitution, le président Compaoré ne devrait pas se présenter en 2005.
Puisqu’il avait déjà fait 2 mandats successifs. Mais pourtant il s’est présenté
sous prétexte que la loi n’était pas rétroactive. Alors que c’était une
évidence. Mais les gens n’ont pas réagi parce que ça les arrangeait ! Il y
a eu quelques-uns seulement qui se sont agités. Je suis même surpris de
constater que le parti de Me Hermann Yaméogo qui était violemment opposé à la
représentation de Blaise Compaoré en 2005 en soit aujourd’hui à souhaiter la
mise en place d’une transition apaisée avec un « lenga » et le
maintien au pouvoir du président Compaoré ad vitam aeternam. En 2005, vous
n’étiez même pas d’accord pour qu’il se représente ! Et maintenant dix ans
après, vous voulez qu’il reste au pouvoir. C’est pour vous dire que la médiation
ne portait pas en elle-même les germes de son échec parce qu’on pouvait amener
la faune burkinabè à aller dans le sens souhaité. Peut-être qu’ils n’ont pas
mis les moyens qu’il fallait pour convaincre les gens ou bien qu’il y a une
vraie mutation de la classe politique.
Vous ne pensez
pas que c’est l’action de l’opinion publique qui veille en sentinelle qui a dû
impacter sur le comportement des hommes politiques ? Est-ce que ce n’est
pas le peuple qui tire les ficelles.
J’ose croire.
Mais n’exagérez pas quand vous parlez de peuple. Il n’y a pas encore de « peuple burkinabè ».
Il y a une « population burkinabè ». Le peuple, c’est un
rassemblement de population qui a pris conscience de quelque chose. Une
population, c’est un rassemblement de population qui n’a pas encore pris
conscience. Et quand vous parlez de peuple au Burkina Faso, est-ce que
en dehors de Ouagadougou la capitale, vous voyez un peuple ? Ce n’est pas
les grands centres qui élisent les chefs d’Etat en démocratie. Ce sont les
populations qui élisent les députés et le président. Ce ne sont pas des
peuples. Et même quand vous allez dans certaines grandes villes du Burkina,
vous allez constater que le niveau de conscientisation est très faible. Là où
il y a vraiment une prise de conscience au Burkina c’est dans la capitale – Ouagadougou
– et dans une certaine classe sociale ! Donc il ne faut pas exagérer sur
le rôle du peuple. Par rapport à cela, sans doute que cette petite minorité qui
a pris conscience peut agir.
Mais il faut se
dire aussi qu’au niveau de la classe politique, il y a une certaine prise de
conscience ou une certaine volonté de défendre ses intérêts. Parce que quand
vous voyez ceux qui se prononcent, vous savez qu’ils obéissent à des mentors.
Il suffit que ces mentors leur disent d’aller dans un sens ou dans un autre, et
ils y vont. Il y a
une minorité de gens qui se prononcent de façon indépendante. Mais la majorité
se prononce en fonction de leur mentor sans trop réfléchir. Par exemple, les
partisans de Salif Diallo ne réfléchissent pas par deux fois. Il suffit qu’il
leur dise d’aller dans ce sens ou dans l’autre et ils y vont !
C’est la même chose pour les autres leaders. Donc nous sommes dans un système
où l’élite gouverne à travers ses intérêts. Et la base se trompe en croyant pouvoir agir sur les
élites.
Mais la rue
gronde de plus en plus et les leaders peinent déjà à contenir la colère des
manifestants qui s’opposent farouchement contre une éventuelle modification de
l’article 37 !
Tout est parti de la mise à l’écart des Roch, Salif et
Simon etc. au dernier congrès du CDP. Si vous aviez remarqué, à partir du
moment où ils ont été mis à l’écart, le rang des mécontents s’est élargi du
coup. Et cela confirme que les gens se prononcent plus en fonction de leur
mentor qu’en fonction de leur propre conception des choses. N’est-ce pas le même Roch qui avait déclaré que la limitation des mandats
est antidémocratique ? Mais la rue ne grondait pas ! En tout cas, pas
à ce point. Si ces gens-là
étaient restés dans le CDP, je crois que Blaise Compaoré aurait pu
tranquillement modifier l’article 37 et puis rempiler encore. Je crois que
l’erreur a été d’avoir mis tous ces leaders à l’écart alors que ce sont eux qui
ont œuvré à asseoir la base du régime.
Mais vous ne
pensez pas aussi que l’opposition s’est réorganisée avec l’avènement de l’UPC
et la consécration de Zéphirin Diabré comme chef de file de l’opposition ?
L’UPC a joué un
grand rôle dans la mutation sociologique et politique de la société burkinabè surtout
dans les grandes villes. Mais si vous avez remarqué, l’UPC est apparue avant la
tenue du 5e congrès du CDP. Mais la vague de mécontentement et de contestation
n’était pas à ce niveau. L’UPC a même constitué sa base avec une frange
considérable des mécontents du système. Le CDP n’arrivait pas à satisfaire tous
ses militants et cela a créé des mécontents, sans oublier que certains
militants d’autres partis n’arrivaient pas à trouver leur compte dans leur
parti respectif. La
chance de Zéphirin Diabré, est de venir avec des moyens non négligeables et au
moment où il y avait une masse à regrouper. Ça, c’était la première mutation
mais cela n’était pas suffisant pour ébranler le régime. Donc le vrai choc pour
le régime a été provoqué par la mise à l’écart des grands pontes du CDP qui
sont partis avec leur base qui suivent les personnes et non pas leur propre
conception des choses !
Mais il y a
aussi que le travail des intellectuels, les medias, les artistes et les
organisations de la société civile ont contribué à éveiller davantage les
consciences !
C’est vrai que
tout cela a impacté mais de façon minime. Parce qu’au Bukina, le taux de scolarisation est
encore faible. Combien de gens savent lire et écrire même dans nos langues
locales. Combien de burkinabè peuvent lire la constitution et la
comprendre ? Ils sont très peu. Ne restons pas dans notre bulle. Parce que
le paysan qui écoute les informations en langue nationale, ne prend pas
position parce qu’il ne se reconnait pas dans le système de gouvernance actuel
qui est là. Il ne s’y implique pas et il n’a pas les moyens de s’y impliquer.
Il reste donc en marge du système sans pouvoir impacter sur lui. Il ne faut
donc pas se leurrer. Même si les medias portent l’information aux masses, elles
attendront toujours les consignes de leur mentor pour les votes.
Mais à l’allure
où vont les choses, les acteurs de l’alternance risquent de se recruter parmi
les démissionnaires du CDP qui ont rejoint l’opposition à des époques
différentes. Est-ce qu’on peut espérer une alternative ?
Je ne vois pas de différence entre le CDP et le MPP.
Parce que pour moi, c’est beaucoup plus une question d’intérêts personnels que
de ligne idéologique ou de position politique. Je peux me
tromper et je souhaite pouvoir me tromper. Mais en observant les choses telles
qu’elles se passent, je crois qu’il s’agit moins d’une question d’intérêts du
pays que d’intérêts personnels. Parce que si vous remarquez ceux qui ont créé le MPP,
ce sont les mêmes qui ont assis et consolidé le régime du président Compaoré
pendant plus d’un quart de siècle. Ils ont les mêmes réseaux, les mêmes amis,
les mêmes appuis que le CDP et le président Compaoré. Ils ne peuvent donc pas
gouverner différemment en dehors de la question de personne. Or, quand
vous gouvernez, c’est en fonction d’une base. Et quand vous avez les mêmes
bases, vous ne pouvez pas gouverner différemment avec la même base. Les
marxistes parlaient de classe sociale. Pour gouverner, vous vous fondez sur une
catégorie de la population. Vous pouvez aussi vous fonder sur toutes les
catégories de la population pour gouverner si votre pouvoir a une essence
divine ou historique comme le Moogho Naaba face aux Mossés. En dehors de cela,
le pouvoir est partisan et vous vous fondez sur une catégorie de la population
plus ou moins large pour gouverner. Et vous ne pouvez pas le faire contre les
intérêts de la fraction sur laquelle vous vous appuyez pour gouverner. Sinon,
vous provoquez votre chute. Or quand j’analyse, je vois que ce sont les gens qui ont
toujours été avec les mêmes réseaux, qui ont toujours eu les mêmes amis, qui
ont toujours traqué l’opposition, qui soutenaient les positions allant dans le
sens de la préservation des intérêts du président et de la famille
présidentielle et du CDP ! Donc je ne vois pas comment ils vont gouverner
différemment. Pour moi, ils ont créé le MPP parce qu’ils ne retrouvaient plus
leurs intérêt au CDP et qu’ils se sentaient marginalisés au fur et à mesure par
l’équipe de François Compaoré et que s’ils ne rebondissaient pas avec le temps,
ils seraient marginalisés et ce sera la fin de leur vie politique.
Pendant qu’ils ont encore du ressort, ils en ont profité pour créer leur propre
parti pour rebondir.
Depuis un
certain temps, ceux qui parviennent au pouvoir en Afrique ont toujours flirté
avec le régime en place. Les exemples de Macky Sall au Sénégal, de Mamadou
Issoufou du Niger, sont éloquents. Est-ce que ce n’est pas dans l’ordre normal
des choses que l’UPC et le MPP aient eu cet envol ?
Oui on peut
dire effectivement que c’est dans l’ordre normal des choses. Et si vous
remarquez, tous ceux
qui arrivent au pouvoir suite à des dissidences ne gouvernent pas différemment
que le régime précédent. Vous croyez que Macky Sall gouverne différemment de Me
Abdoulaye Wade ? Hormis quelques retouches, le régime politique n’a pas
fondamentalement changé. Pourquoi cela ? Parce que se faire élire
en Afrique -dernier continent sur la planète ou au Burkina, dernier pays sur le
continent –, c’est différent d’ailleurs. Ailleurs, les gens peuvent avoir des
opinions différentes. L’Africain noire n’a pas d’opinion ! Peut-être en
Afrique du Sud. Tout simplement parce que ventre affamé n’a point d’oreille.
Ici, les gens cherchent à manger d’abord. Donc la meilleure façon d’accéder au
pouvoir en Afrique, c’est de côtoyer le pouvoir pour avoir les moyens et les
réseaux. Ou alors, il faut vous constituer une fortune à l’écart. Tant que ce
n’est pas le cas, vous ne pouvez pas accéder au pouvoir si vous êtes démunis.
Quelles que soit les idées que vous avez, ce n’est pas possible. Par exemple,
dans un régime démocratique, quelqu’un comme Thomas Sankara ne pouvait pas
accéder au pouvoir. Puisse qu’il n’était pas riche, il ne pouvait pas se faire
élire. Même à son époque, il n’aurait pas pu passer face aux Gérard Kango
Ouédraogo, Joseph Ouédraogo, Joseph Ki Zerbo et autres. Il faut donc comprendre
la sociologie politique de l’Afrique. Nous sommes dans un continent où le premier souci des
gens c’est de sortir de la misère.
Ça veut dire
donc que la démocratie est dans une impasse où seuls les nantis s’en
sortent !
La démocratie
est viciée. Il n’y a pas de démocratie en Afrique noire. En dehors de certains
pays tels, l’Afrique du Sud, l’Ile Maurice, le Bostwana, on ne peut pas parler
de démocratie véritable dans les autres pays de l’Afrique noire. Il n’y a pas
de démocratie. C’est l’argent qui fait les démocrates. Ici au Burkina Faso,
vous avez des partis qui ont de belles idées mais qui ne pèsent pas. Parce
qu’ils n’ont pas de moyens ! A contrario, vous avez des partis qui n’ont
même pas d’idées mais qui s’en sortent avec des députés parce qu’ils ont les
moyens. Quand vous parlez du CDP, est-ce que tous ceux qui ont voté le CDP ou qui ont voté Blaise
Compaoré connaissent le programme politique de Blaise Compaoré ou du CDP ?
Pas sûr. Mais ils votent parce que le CDP a le pouvoir, et le président
a le pouvoir de nommer qui il veut ! Voilà ce qu’est l’électorat en
Afrique. On ne vote pas les gens pour leur programme. Le programme ne veut rien
dire.
A vous
entendre, certains opposants historiques qui n’ont pas les moyens devraient se
faire des soucis !
S’ils n’ont pas
de moyens, ils peuvent néanmoins avoir la satisfaction morale de faire leur
travail, mais ils doivent tirer un trait sur leur volonté d’accéder au pouvoir.
Mais certains politiciens ont compris cela. C’est pourquoi les opportunistes
changent leurs manœuvres. Quelqu’un qui est intègre et qui a de bonnes idées ne
peut pas accéder au pouvoir s’il n’a que ces atouts. Car, il lui faut d’avoir
des moyens en plus. Vous avez remarqué que quand les démissionnaires du CDP
sont sortis faire leur mea culpa, cela a suffi pour que les gens les
accueillent favorablement et s’alignent derrière eux ! C’est pour vous
dire que le problème de l’électorat au Burkina, ce n’est pas lié à la question
de la modification de l’article 37 ou pas ou à la mise en place du sénat ou
pas. C’est de savoir qui est pour ou contre. Est-ce que mon mentor est pour ou
contre ? Et chacun s’aligne sur la position de son mentor ! En
Afrique, c’est plus une question de personne que d’idées. C’est pour cela que
l’Afrique Subsaharienne a des problèmes de développement parce qu’on développe
d’abord un pays par des idées.
La CENI dit qu’elle
n’a pas encore reçu les moyens pour préparer la prochaine présidentielle. Que
faut-il comprendre par cet aveu ?
Si déjà elle
n’a pas les moyens pour préparer la présidentielle qui est prévue depuis
longtemps, on ne peut pas parler de referendum avant ces élections. Sinon on
sortirait de la logique économique. C’est peut-être aussi une façon pour la
CENI de rassurer l’opinion qu’il n’y aura pas de referendum. Vous savez, les
hommes politiques ont souvent des stratégies de communication pour transmettre
certains messages.
Est-ce qu’il
n’y a pas lieu de revoir le mode de financement de la CENI pour lui rendre plus
autonome ?
Effectivement,
on pourrait réviser les textes pour faire en sorte que l’Assemblée nationale
vote un budget pour la CENI afin de lui rendre autonome. C’est un combat que
doit mener la CENI. Mais peut-être aussi que la CENI ne s’attend pas à être
autonome et indépendante. Peut-être qu’elle se complait à être toujours sous
tutelle car cela lui permet de ne pas assumer seule toute la responsabilité des
imperfections.
La médiation
interne a dévoilé les différents scénarii pour 2015 avec en filigrane la fin du
mandat constitutionnel du président Compaoré. Est-ce que la fin d’un mandat
doit faire l’objet de tant de polémiques et de supputations ?
C’est parce que
nous sommes dans une démocratie bananière. On ne discute jamais sur la fin de
mandat de quelqu’un ! C’est prévu par les textes. Pour moi, un peuple qui
en est à discuter pour savoir comment on va faire partir son président est un
peuple mineur. Et ce peuple a ce qu’il mérite. S’il faut proposer des garanties
pour quémander le départ du président, son successeur pourrait aussi en faire à
sa tête car il héritera d’une jurisprudence.
Mais que doit
faire le président pour sa sortie de scène en 2015 ?
Le régime a un
programme. Le président a été élu en 2010 sur la base d’un programme. Il
applique simplement son programme. A la fin de son mandat, il fera le bilan au
peuple et il s’en va. Personne ne termine jamais son programme. Maintenant,
s’il n’a rien fait aussi, l’histoire appréciera. Je rappelle que depuis 2005,
le président Compaoré avait promis la construction d’un lycée professionnel
dans mon village à Koupéla. Jusque-là ce n’est pas fait et je sais que ce n’est
pas la seule promesse qui n’aura pas été tenue par le Chef de l’Etat. Mais les
gens n’ont pas oublié. Tôt ou tard, on fera le bilan de chaque dirigeant du
Burkina. J’ai le bilan de tous les présidents qui ont gouverné le Burkina Faso
depuis les indépendances jusqu’à nos jours.
Alors, lequel
des présidents a le bilan le plus éloquent ?
C’est le
président Lamizana qui a le bilan le plus éloquent. Parce que sauf erreur de ma
part, Lamizana n’a pas porté atteinte à la vie de quelqu’un. Il n’a porté
atteinte à la liberté de personne. Sur le plan économique, Lamizana a restauré
la santé financière du Burkina Faso – l’ex Haute Volta –. Et, dans un contexte
difficile, il a ouvert le Burkina sur l’extérieur. C’est lui qui a ouvert le
Burkina sur le port de Lomé. C’est sous Lamizana que les axes internationaux
ont été bitumés dans un contexte difficile où il n’était pas aisé de mobiliser
de l’argent. Le palais de justice de Ouaga, l’université de Ouagadougou, le
Fespaco, le CILSS… ont été réalisé sous Lamizana. Il suffit de se pencher pour
savoir que le président Lamizana a posé de grandes actions dans le contexte
difficile de l’époque. Et cela dans le silence.
Et qui a le
bilan le moins éloquent ?
C’est Blaise Compaoré et Maurice Yaméogo qui se
disputent le bilan médiocre. Mais moi je donne de la priorité aux droits
humains. Et sur ce plan, Blaise Compaoré a le bilan le plus médiocre. Parce
qu’il y a eu beaucoup de pertes en vies humaines sous Blaise Compaoré. Il y a
eu beaucoup d’atteintes à la liberté, beaucoup de captations et de trafics sous
Blaise Compaoré.
Mais est-ce que
ce n’est pas parce qu’il a duré aussi au pouvoir ?
Il y a un peu
de cela mais il faut savoir que l’essentiel s’est passé dans les premiers
moments de son règne. Voilà pourquoi on déconseille de commencer par faire le
mal. Parce que dès lors qu’on y entre, il est difficile d’en sortir.
Quant à Maurice
Yaméogo, il a porté des atteintes à la liberté aussi. Parce que les syndicats
ont été persécutés sous son régime. Sa gestion économique a été des plus
scabreuses. C’est lui qui a mis les ressources de l’Etat en panne. Vous
imaginez que dans les années 60, alors que le budget national tournait autour
de 8 milliards de Fcfa, le président Maurice se tapait un salaire mensuel
d’environ 1,5 million de FCFA sans compter la caisse noire et les autres
indemnités. Ça veut dire qu’il se tapait à lui seul la moitié du budget de
l’Etat. En dehors de ces gestions scabreuses, les autres ont bien géré le pays.
Les gens ont une mauvaise opinion sur le CMRPN de Saye Zerbo, mais il faut
noter qu’en deux ans, le CMRPN a fait beaucoup de choses pour le pays plus que
certains régimes.
Au regard des
obstacles divers qui jonchent le chemin de la démocratie, est-ce qu’on peut
espérer instaurer une véritable démocratie en Afrique ?
On ne peut pas
parler de démocratie à des gens affamés. La seule solution c’est de commencer à
produire pour donner suffisamment à chacun. C’est par là que chacun devient
autonome. Quand vous êtes chef de famille, et que vous avez des enfants chez
vous, les enfants qui n’ont pas les moyens restent chez vous ! Et tant que
vous restez dans la cour familiale chez votre papa, vous n’êtes pas totalement
indépendant même si vous êtes majeur ! Et une fois que vous avez les moyens
de vous acheter une parcelle pour construire et y aménager, vous devenez
indépendant. L’indépendance c’est donc une question de moyen et c’est la même
chose au niveau des peuples. Pour qu’un peuple puisse être indépendant et voter
librement en toute conscience, il lui faut un minimum que je fixe à 3500
dollars de produit national brut par tête au minimum. Tous les pays qui
atteignent ce taux peuvent aspirer à une démocratie et à un certain
développement parce les citoyens ont un minimum qui leur permette de ne plus se
prononcer de façon intéressée en fonction de leur mentor. Donc tant qu’on ne va
pas travailler à accroitre la productivité, ça ne va pas aller.
Interview
réalisée par Touwendinda Zongo - Mutations
15 mars 2014.
Titre original : « Me Apollinaire
Kyélem de Tambèla, avocat au Barreau du Burkina : "Il y a beaucoup
plus de politiciens au Burkina Faso que d’hommes d’Etat" ».
Source : Lefaso.net 9 avril 2014
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