dimanche 13 avril 2014

LES FAITS SONT TÊTUS


"Et les faits sont têtus !"
« Sans doute. Notre expérience est différente de celle des autres et cette spécificité a généré de notre part des réponses elles aussi spécifiques, parfois complexes à expliquer. Il ne faut pas oublier — même s’il s’agit encore aujourd’hui d’un sujet tabou — le rôle clé, dans les racines historiques mais aussi dans le déroulement du génocide, de ces mêmes puissances occidentales qui, aujourd’hui, définissent seules les règles de la bonne gouvernance et les normes de la démocratie. Elles aimeraient que le Rwanda soit un pays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui présenterait l’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais c’est impossible. Prenez le cas de la France. Vingt ans après, le seul reproche admissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide. C’est un fait, mais cela masque l’essentiel : le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même. » (Jeune Afrique n°2778 du 6 au 12 avril 2014, pp.22-23). 

Ces propos du chef de l’Etat rwandais Paul Kagamé méritent leur place dans cette rubrique. Comme à ses habitudes, le ton est direct, à la fois franc et courageux. Paul Kagamé (re)met ici en exergue la responsabilité directe de la France dans ce drame historique qualifié de génocide qui a emporté 800.000 de nos frères rwandais et dont la célébration des 20 ans se déroule depuis cette semaine. A la suite de ces propos, et comme toujours, la France a distrait le monde en les détournant de leur véracité pour lui servir une querelle et une cacophonie diplomatiques inutiles et de mauvais aloi entre Kigali et Paris. Malgré sa divagation, le rôle de la France dans ce dernier génocide africain du siècle passé (en souhaitant qu’il n’en ait plus) reste entier. Depuis 20 ans, sa responsabilité n’a jamais été douteuse malgré les subterfuges dont elle use chaque fois que le sujet est abordé sur la place publique.
Contre sa responsabilité, la France brandit sa « grandeur », son « honneur », celui de son « armée » et de ses « diplomates ». Comme s’il s’agissait de cela ici. D’ailleurs, suffit-il d’être armée et diplomates français pour ne pas être concepteur de génocide ? La France officielle ne sera jamais assez courageuse pour répondre à cette importante question. Mieux, au lieu de brouiller sans cesse les pistes qui, de toute façon, doivent s’éclairer tôt ou tard, la France doit se demander pourquoi c’est elle qui est toujours chargée sur cette question et mise au banc des accusés. Il en est de même pour tous les autres faits dans lesquels la France est impliquée de façon particulière en Afrique. Là où la France agit sur ce continent, jamais la vérité n’est plausible et évidente. Il y a toujours une large couche de doute, de mensonges, de demi-vérités, d’intimidation qui couvre d’un masque de laideur ses manœuvres et ses actions en Afrique. Son mode opératoire dans ce continent est toujours lugubre et mystérieux, et échappe à toute logique et intelligence.
Dans un livre très documenté qui vient de paraître en ce début du printemps, Jean-François Dupaquier, très impliqué dans la recherche de la vérité sur le génocide rwandais, remet au goût du jour les complicités françaises. Eric Gillet qui a préfacé ce pavé de 480 pages écrit : «L’ouvrage de Jean-François Dupaquier décrypte cette réalité, dans les registres de la propagande et de l’action elle-même en ce qui concerne le cas français. Il nous montre en effet une réalité terrifiante : certains de ces milieux ont en fait joué un rôle d’interlocuteur actif dans la préparation de la solution finale rwandaise. Ils ont eux-mêmes utilisé le Rwanda comme un terrain d’expérimentation de la guerre psychologique, pensant, dans ce micro-Etat très éloigné, pouvoir le faire sans avoir à répondre de leurs actes. Un petit pays d’Afrique sans importance, utilisé comme laboratoire. » (J.-F. Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda. chronique d’une désinformation, Paris, Karthala, 2014, p.11). Tout le monde a fini par reconnaître que le génocide rwandais n’est pas une génération spontanée comme les vaticinateurs l’ont chanté dès le départ pour cacher leur ignominie. Il a été méthodiquement et scientifiquement préparé par ses exécuteurs aidés par des mains occultes qui courent encore. Un témoin-clé de cette grise que nous avions rencontré il n’y a pas longtemps lors d’un colloque sur ce génocide a soutenu, preuves à l’appui, que la France y a joué un rôle extrêmement important. Pourquoi, pour une fois, la France ne mettrait pas son « honneur » en jeu en acceptant, sur la place publique, de faire toute la vérité dans cette affaire qui colle à ses pieds comme un boulet qu’elle trainera au long de l’histoire tant qu’elle entretiendra le flou et la diversion diplomatiques ? Il serait juste, pour son « honneur » gravement et historiquement souillé, que la France joue cartes sur table pour purifier sa propre mémoire vis-à-vis d’un peuple qui l’accuse à longueur de discours et de publications de l’avoir massacré pour protéger ses propres intérêts.
« Les faits sont têtus », a dit Paul Kagamé lors de son discours inaugural pour le vingtième anniversaire du génocide. 

Père Jean K.
 

 
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Source : Notre Voie 12 & 13 avril 2014

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