"Et les faits sont têtus !" |
« Sans doute. Notre expérience est
différente de celle des autres et cette spécificité a généré de notre part des
réponses elles aussi spécifiques, parfois complexes à expliquer. Il ne faut pas
oublier — même s’il s’agit encore aujourd’hui d’un sujet tabou — le rôle clé,
dans les racines historiques mais aussi dans le déroulement du génocide, de ces
mêmes puissances occidentales qui, aujourd’hui, définissent seules les règles
de la bonne gouvernance et les normes de la démocratie. Elles aimeraient que le
Rwanda soit un pays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui
présenterait l’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais
c’est impossible. Prenez le cas de la France. Vingt ans après, le seul reproche
admissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des
vies pendant le génocide. C’est un fait, mais cela masque l’essentiel : le rôle
direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide
et la participation de cette dernière à son exécution même. » (Jeune Afrique n°2778 du 6 au 12 avril
2014, pp.22-23).
Ces propos du chef de l’Etat rwandais
Paul Kagamé méritent leur place dans cette rubrique. Comme à ses habitudes, le
ton est direct, à la fois franc et courageux. Paul Kagamé (re)met ici en
exergue la responsabilité directe de la France dans ce drame historique
qualifié de génocide qui a emporté 800.000 de nos frères rwandais et dont la
célébration des 20 ans se déroule depuis cette semaine. A la suite de ces
propos, et comme toujours, la France a distrait le monde en les détournant de
leur véracité pour lui servir une querelle et une cacophonie diplomatiques
inutiles et de mauvais aloi entre Kigali et Paris. Malgré sa divagation, le rôle
de la France dans ce dernier génocide africain du siècle passé (en souhaitant
qu’il n’en ait plus) reste entier. Depuis 20 ans, sa responsabilité n’a jamais
été douteuse malgré les subterfuges dont elle use chaque fois que le sujet est
abordé sur la place publique.
Contre sa responsabilité, la France
brandit sa « grandeur », son « honneur », celui de son «
armée » et de ses « diplomates ». Comme s’il s’agissait de cela ici.
D’ailleurs, suffit-il d’être armée et diplomates français pour ne pas être
concepteur de génocide ? La France officielle ne sera jamais assez courageuse
pour répondre à cette importante question. Mieux, au lieu de brouiller sans
cesse les pistes qui, de toute façon, doivent s’éclairer tôt ou tard, la France
doit se demander pourquoi c’est elle qui est toujours chargée sur cette
question et mise au banc des accusés. Il en est de même pour tous les autres
faits dans lesquels la France est impliquée de façon particulière en Afrique.
Là où la France agit sur ce continent, jamais la vérité n’est plausible et
évidente. Il y a toujours une large couche de doute, de mensonges, de
demi-vérités, d’intimidation qui couvre d’un masque de laideur ses manœuvres et
ses actions en Afrique. Son mode opératoire dans ce continent est toujours
lugubre et mystérieux, et échappe à toute logique et intelligence.
Dans un livre très documenté qui vient de
paraître en ce début du printemps, Jean-François Dupaquier, très impliqué dans
la recherche de la vérité sur le génocide rwandais, remet au goût du jour les
complicités françaises. Eric Gillet qui a préfacé ce pavé de 480 pages écrit : «L’ouvrage de Jean-François Dupaquier
décrypte cette réalité, dans les registres de la propagande et de l’action
elle-même en ce qui concerne le cas français. Il nous montre en effet une
réalité terrifiante : certains de ces milieux ont en fait joué un rôle
d’interlocuteur actif dans la préparation de la solution finale rwandaise. Ils
ont eux-mêmes utilisé le Rwanda comme un terrain d’expérimentation de la guerre
psychologique, pensant, dans ce micro-Etat très éloigné, pouvoir le faire sans
avoir à répondre de leurs actes. Un petit pays d’Afrique sans importance,
utilisé comme laboratoire. » (J.-F. Dupaquier, Politiques,
militaires et mercenaires français au Rwanda. chronique d’une désinformation,
Paris, Karthala, 2014, p.11). Tout le monde a fini par reconnaître que le
génocide rwandais n’est pas une génération spontanée comme les vaticinateurs
l’ont chanté dès le départ pour cacher leur ignominie. Il a été méthodiquement
et scientifiquement préparé par ses exécuteurs aidés par des mains occultes qui
courent encore. Un témoin-clé de cette grise que nous avions rencontré il n’y a
pas longtemps lors d’un colloque sur ce génocide a soutenu, preuves à l’appui,
que la France y a joué un rôle extrêmement important. Pourquoi, pour une fois,
la France ne mettrait pas son « honneur » en
jeu en acceptant, sur la place publique, de faire toute la vérité dans cette
affaire qui colle à ses pieds comme un boulet qu’elle trainera au long de
l’histoire tant qu’elle entretiendra le flou et la diversion diplomatiques ? Il
serait juste, pour son «
honneur » gravement et
historiquement souillé, que la France joue cartes sur table pour purifier sa
propre mémoire vis-à-vis d’un peuple qui l’accuse à longueur de discours et de
publications de l’avoir massacré pour protéger ses propres intérêts.
« Les faits sont têtus », a dit Paul Kagamé lors de son discours
inaugural pour le vingtième anniversaire du génocide.
Père Jean K.
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cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui
ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et
des Ivoiriens, et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «
crise ivoirienne ».
Source : Notre Voie 12
& 13 avril 2014
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