Sous le signe de la panique morale…
Alain
Finkielkraut est très fier d’avoir été élu à l’Académie Française. Tant mieux
pour lui ! Commentant son élection, il nous dit que devenir « immortel », c’est
assurer la pérennité de son nom propre. En allant dans son sens, on pourrait
voir cette élection comme un pied de nez à Hitler et aux autres crapules qui
organisèrent en vain l’extermination totale du peuple juif. Les hauts
dignitaires nazis sont tous morts pour notre plus grand bien, et on peut
espérer que, petit à petit, leurs noms seront effacés de nos mémoires. Mais le
nom de Finkielkraut qui était destiné à disparaître est devenu celui d’un «
immortel ». Quelle ironie !
Il est
difficile de savoir si la volonté de revanche (sur le nazisme) ou le désir
d’éternité furent les véritables motivations de la jouissance que son élection
a procurée à Alain Finkielkraut. Les moralistes du grand siècle, qu’il connaît
si bien, auraient affirmé qu’elle est, comme tant d’actions humaines, une
simple expression d’amour de soi ou de vanité.
Mais Kant
n’avait pas tort d’affirmer que les motivations d’une action individuelle
resteront à jamais cachées. C’est le point de vue de la sagesse qu’il convient,
je crois, d’adopter lorsqu’on se pose des questions sur les motivations «
profondes » des actions de tout un chacun, celles d’Alain Finkielkraut entre
autres. Ne soyons pas des inquisiteurs. Abstenons-nous de juger ses
motivations.
On peut en
revanche (on doit même) s’interroger sur les raisons politiques qui ont conduit
l’Académie à l’accueillir dès le premier tour (par 16 voix sur 28 votants).
Pourquoi ce
choix ?
La
contribution d’Alain Finkielkraut au développement de la connaissance
(linguistique, grammaticale, etc.) et à l’enrichissement de la pensée n’est
vraiment pas évidente. Comment des raisonnements aussi approximatifs, un tel
désintérêt des faits, de telles confusions conceptuelles, de telles ignorances
de l’état des sciences du langage, pourraient-ils passer pour de la
connaissance ou de la pensée ?
Dans ses
déclarations publiques, Alain Finkielkraut ne laisse pas beaucoup de place à
l’aventure de la pensée dont la marque spécifique dans la modernité est le
doute, la fragilité, la faillibilité, la nuance, la remise en cause permanente
de ses propres hypothèses, l’ouverture aux objections bien formulées.
Son parti
pris contre la nuance et le doute fait d’Alain Finkielkraut un polémiste
efficace, un idéologue bien rôdé au combat médiatique, mais certainement pas un
« penseur » ou un écrivain au sens moderne du mot.
Il faut donc
croire que des critères n’ayant rien à voir avec la grandeur intellectuelle
expliquent cette décision collective. Ce n’est évidemment pas la première
fois : on ne peut pas dire que la contribution de Valéry Giscard d’Estaing
à la connaissance et à la pensée ait été un facteur déterminant dans son
élection !
Quelle autre
raison alors ?
Le souci
qu’avait l’Académie de renouveler son image désuète, ultraconservatrice ? Mais
en intégrant Finkielkraut, elle ne change pas vraiment de profil. À mon avis,
le climat de panique morale (tout fout le camp, c’était mieux avant, etc.),
qu’Alain Finkielkraut a entretenu pendant près de vingt ans a joué un rôle
important dans l’ouverture devant lui des portes de l’Académie (cette «
institution anachronique » comme il le dit avec gourmandise).
C’est ce qui
rend son élection troublante. Il existe en effet des raisons d’estimer que
Finkielkraut l’a lui-même rendue inévitable en devenant le porte-parole habile
d’un conservatisme moral rigide, qui envahit les esprits à droite comme à
gauche.
Comment une
institution conservatrice par définition et par composition pouvait-elle
refuser un siège à l’un de ses plus ardents défenseurs, en dépit de ses
déficits conceptuels que personne n’ignore ? Siège un peu embarrassant
d’ailleurs puisque c’est celui de Félicien Marceau, condamné pour fait de
collaboration, et dont ce fils de déporté devra faire l’éloge.
Encore une
petite ironie de la vie que son ami Milan Kundera va sans doute
particulièrement apprécier !
Ruwen Ogien (Source : Libération 12 avril 2014)
Finkielkraut,
ses dérapages, ses coups de colère
De la France
"black-black-black" à sa perte de sang froid dans l'émission
de Taddeï, retour sur les sorties les plus connues de l'intellectuel « néo-réac »
qui vient d'être élu à l'Académie française.
1995
: Kusturica exécuté
En 1995, Finkielkraut exécute Emir Kusturica,
primé à Cannes pour "Underground", version polémique de l'histoire de
l'ex-Yougoslavie, avant d'avouer qu'il n'a pas vu son film. Mais il n'en pense pas
moins que Kusturica est un dangereux propagandiste panserbe.
2002
: les larmes de Juliette Binoche
Mars 2002, sur le plateau de Thierry Ardisson.
Alain Finkielkraut fait pleurer Juliette Binoche, coupable selon lui
d'avoir participé à une manifestation pour une « paix juste » au
Moyen-Orient sans en avoir lu la déclaration.
2005
: les Antillais « vivent de l'assistance »
Nouveau tollé après les propos du philosophe sur RCJ,
une radio communautaire juive, concernant les Antillais, qui « vivent de
l'assistance de la Métropole ». Le 13 mars, l'intellectuel tente de
revenir sur ses dires : « Je
ne veux pas dire que les Antillais sont des
assistés [...]. Cette aide existe, elle est légitime. Mais que
ses bénéficiaires fassent le procès délirant
d'une France toujours esclavagiste et toujours coloniale, alors non ».
« Vous
mentez ! Vous mentez ! »
Le 27 avril de la même année, sur Beur FM,
l'écrivain est pris d'une énorme colère contre Youssef
Boussoumah, porte-parole des Indigènes de la République, se défendant
d'avoir soutenu l'essayiste Oriana Fallaci, qui affirmait que les
musulmans « se multiplient comme des rats ».
La
France « black-black-black »
Puis le 18 novembre 2005, dans une interview au
journal israélien « Haaretz », Alain Finkielkraut revient
sur les émeutes en banlieue qui ont débuté à Villiers-Le-Bel : « Le
problème est que la plupart de ces jeunes sont noirs ou arabes et s’identifient
à l’islam. [...] Il est donc clair qu’il s’agit d’une révolte à caractère
ethnico-religieux ». Plus loin, il ajoute, à propos de l'équipe de France
: « Les gens disent que l'équipe nationale française est admirée par
tous parce qu'elle est "black-blanc-beur". En réalité, l'équipe
nationale est aujourd'hui "black-black-black", ce qui en fait la
risée de toute l'Europe ».
2009
: la victime de Polanski, « pas une enfant »
Le philosophe défend vigoureusement le
cinéaste Roman Polanski, arrêté en Suisse pour « relations sexuelles
illégales » avec une mineure de 13 ans, en 1977 aux Etats-Unis. Pour
lui, « Polanksi n'est pas pédophile ». Sa victime « n'était
pas une fillette, une petite fille, une enfant, au moment des faits »,
mais « une adolescente qui posait dénudée pour "Vogue" ».
2010
: « Divisions ethniques » chez les Bleus
Sur la débâcle des Bleus à Knysna, en Afrique du Sud,
il se récrie : « Si cette équipe ne représente pas la France, hélas, elle
la reflète : avec ses clans, ses divisions ethniques, sa persécution du
premier de la classe, Yoann Gourcuff ».
2013
: « Tu la fermes ! »
Alain Finkielkraut s'empoigne avec Daniel
Cohn-Bendit sur le plateau de Frédéric Taddeï. Ne supportant pas que
Cohn-Bendit lui coupe la parole, l'intellectuel lui lance : « 68,
c'est fini. Alors, tu la fermes ! »
« Taisez-vous
! Mais taisez-vous ! »
La séquence est devenue culte. De nouveau invité de
Frédéric Taddeï dans l'émission « Ce soir ou jamais » sur France 2,
Alain Finkielkraut est violemment pris à partie par le scénariste Abdel
Raouf Dafri sur son livre, dans lequel son adversaire dit avoir perçu des
relents racistes. Le philosophe l'accuse d'être venu pour lui « régler
[son] compte ». Et alors que le cinéaste l'interrompt, il perd ses nerfs
et se met à hurler : « Taisez-vous ! Mais taisez-vous ! ».
2014
: les « Beurs » et leur « accent »
Dernier gros dérapage en date au petit-déjeuner
de l'UMP, le 23 janvier 2014. Le philosophe s'en prend à l'accent des « Beurs »
et des « Français de souche » des banlieues.
Laura Thouny (Source : Le Nouvel
Observateur 10 avril 2014)
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