mardi 29 avril 2014

LA GUERRE DU FRANC-CFA AURA-T-ELLE LIEU ?

Une réflexion de Mamadou Ben Soumahoro 


M. Ben Soumahoro
Pardonnez-moi de n’être ni un exégète de la gestion, ni un taxinomiste d’aucune sorte et de me permettre de m’immiscer dans un domaine si complexe, dont l’écheveau ne saurait être démêlé que par des demiurges portant le titre d’économiste et de monétariste. Si votre opinion ne rejoint pas cette introduction, faites-moi l’amitié de ne pas lire ce charabia ; parce que je vous entends déjà m’attribuer les épithètes les plus infamantes pour avoir osé m’intéresser au sacrosaint sujet du F.CFA. J’en tremble déjà. Mais je n’ai pu y renoncer parce que trop de questions m’assaillent qui n’ont jamais eu de réponses à ce jour. Par exemple une chape de plomb a recouvert et muselé les voix de tous les experts qui ont essayé de poser le problème. Les grands journaux Français, de «Marchés tropicaux» à «Valeurs actuelles», en passant par des hebdomadaires politiques de prestige tels que «Le Point», «L’Express», «Le Nouvel Observateur» et même «La Croix» et «Témoignage Chrétien», n’ont eu pour nous aucune charité. Ils se sont tus. C’est alors qu’on s’aperçoit que sciemment ou involontairement les Africains découvrent seulement maintenant qu’ils se sont trompés de débat pendant plus de 50 ans. Pourtant ce ne sont pas les spécialistes de renom qui ont fait défaut à cette Afrique-là. Où étaient donc passés les Lionel Zinsou, Khalil Sall, Henri Bazin, Norbert Elias, Babakar N’Diaye, Samyr Amyn et Mohamed Tiékoura Diawara qui se disputaient publiquement pour prouver que la croissance n’était pas le développement. Mohamed Tiékoura Diawara avait même créé le «Club de Dakar» pour faire pièce au «Club de Rome», pour ensuite découvrir son impuissance à ramener l’Afrique à l’essentiel.
A cette époque la France nous avait très clairement indiqué ceci : « La France n’a pas de pétrole mais elle a des idées ». Une fois encore, les nègres de l’Afrique Occidentale Française n’ont pas compris qu’il ne s’agissait pas d’un simple slogan. Nous n’avons pas compris qu’il s’agissait d’une véritable stratégie de guerre destinée à nous asservir et à nous spolier de nos biens, tout en brandissant sous nos yeux ce qui n’avait aucune consistance, c’est-à-dire l’Indépendance Nominale. Et bien entendu nous n’avons rien pu faire de cette coquille vide ; le Franc CFA n’est pas venu après, il a été conçu comme un instrument incontournable de notre asservissement et de notre esclavage. Mais la responsabilité de cette situation n’incombait pas aux seuls «blancs Français» puisque nous avons joyeusement fait semblant d’apprécier leur protection et celle de ce fameux Franc CFA qu’ils nous ont imposé. Les économistes Africains ont-ils été complices ou victimes de cette grave injustice ? Le Franc CFA peut-il nous permettre de nous libérer du joug néocolonial ? Qu’est-ce qui explique ce qui ressemble à un renoncement de la part de nos économistes ? Les questions sont pourtant simples : 50 ans n’ont-ils pas suffit pour les convaincre qu’ils avaient tort ? Il est vrai que certains leaders ne voulaient pas de l’indépendance qui, sans rire, déclaraient que nous ne savions même pas fabriquer une aiguille. C’est pourtant à ceux-là que l’indépendance et le Franc CFA ont profité le plus. Maintenant je vais vous surprendre : c’est un chef d’Etat d’Afrique Occidentale Française sorti des prytanées militaires qui a fait un jour la réflexion la plus respectable dans ce débat sur la souveraineté de nos Etats : le Président du Faso Blaise Compaoré a osé dire que : «Si nous avions arraché nos indépendances à l’issue d’une guerre, aussi petite soit-elle, les occidentaux nous auraient respecté un peu plus». Si vous n’avez pas compris, je vous invite à tourner vos regards vers l’Algérie, le Vietnam et le Zimbabwe. Mais la guerre, Blaise Compaoré et son complice Alassane Dramane Ouattara ont préféré la livrer à leur propre frère Laurent Gbagbo pour le compte de la France sur fond de Francs CFA.
Ils n’ont pas été les seuls à pourfendre et à agresser la Côte d’Ivoire et Laurent Gbagbo. Le Mali et Amadou Toumani Touré se sont surpassés. C’est à Bamako que l’on va mettre en œuvre le complot monétaire censé provoquer la chute de Laurent Gbagbo exigé par la France et Nicolas Sarkozy. C’est à Bamako que l’Ivoirien Philippe-Henry Dacoury-Tabley sera débarqué sans ménagement de son poste de gouverneur de la BCEAO puis emprisonné sans jugement avec l’appui zélé de Amadou Toumani Touré, pour bloquer toutes les opérations bancaires de la Côte d’Ivoire. Voici donc un homme que le hasard a conduit à la magistrature suprême de la République du Mali et qui s’est imaginé que la protection de la France et les boubous brodés et amidonnés suffisaient à lui conférer une noblesse que la [nature ne lui avait pas accordée].
Aujourd’hui encore, même l’élection « démocratique » de Macky Sall au Sénégal ne laisse aucune place au rêve de liberté des Africains vis-à-vis du Franc CFA. Le jeune président de la République a choisi son premier Premier ministre Monsieur Abdoul Mbaye visiblement sur l’inspiration de la France puisqu’aussi bien Monsieur Mbaye était auparavant directeur d’une banque Française à Dakar. Le ministre de l’Economie et des Finances de Macky Sall venait de la BCEAO, Banque des Banques contrôlée par la France. Prétendre ensuite parler du Franc CFA relève de l’utopie, parce que c’est le Sénégal qui de surcroît abrite le siège de Franc CFA. Il faut comprendre le jeune président qui doit probablement mieux que personne connaitre l’histoire du côté obscur du Franc CFA. Contrairement à ce qu’on pense, l’histoire de la sanction appliquée à tous ceux qui ont essayé de s’émanciper du Franc CFA n’a pas commencé avec la chute et l’assassinat du Président Sylvanus Olympio du Togo par Etienne Eyadema, en 1963, sur ordre de la France. Les rumeurs, qui résistent encore au temps, indiquaient alors que la nouvelle monnaie Togolaise qui devait remplacer le F.CFA attendait dans des conteneurs au port de Lomé, la nuit du meurtre d’Etat.
La Saga des chutes commence en réalité avec le limogeage au Niger du 1er président du Conseil de gouvernement de la loi cadre, Mr Djibo Bakary, président du parti socialiste Sawaba, en 1956-57. Il était panafricaniste, disciple de Kwame Nkrumah et d’Ahmed Sékou Touré, et il avait l’intention d’instituer la monnaie nationale Nigérienne, 1er instrument de la souveraineté de son pays. Il l’a payé très cher et il a dû se réfugier dans un pays voisin pour échapper au courroux de Mr Jacques Foccart. Ensuite on retiendra dans le désordre, le Président François Tombalbaye du Tchad qui s’est permis d’envisager la création de sa monnaie nationale. Son palais a été bombardé par l’armée Française et lui-même écrasé par des missiles qui ne lui ont laissé aucune chance. Ce n’était pas pour le pétrole qu’on venait de découvrir au Tchad mais pour le Franc CFA. Pour Ahmed Sékou Touré de Guinée-Conakry, l’équation a été simple. Non seulement il a été chassé de la zone CFA mais son pays a été inondé de faux billets du Franc Guinéen par les services spéciaux français pour le faire tomber. En vain. Le 1er Président de la République du Mali, le socialiste Modibo, Kéita a fait le choix immédiat de changer le Franc CFA en Franc Malien. La France peut tolérer qu’un de ses pions flirte avec l’Est et même avec Moscou. Mais dans cette zone CFA elle ne pouvait pardonner de velléité d’indépendance. Modibo Kéita est tombé et trois ans après, le Mali est revenu tête basse dans la zone CFA. Les successeurs de Mokhtar Ould Dada en Mauritanie ont pris l’initiative de battre monnaie et de quitter la zone CFA. La France a essayé de déstabiliser le pays. Les coups d’Etat sont devenus hebdomadaires mais les Français ont dû y renoncer quand la Mauritanie est devenue membre de la ligue Arabe. Est-ce que j’ai dit Arabe ? Le cas de la Côte d’Ivoire est assez symptomatique de la volonté de la France de maintenir sous sa botte les éléments de son pré carré. La France a eu très peur lorsque, pendant la crise postélectorale, les experts de Laurent Gbagbo avaient réussi à remettre en marche le système bancaire et l’économie du pays, à payer les fonctionnaires et à commencer de battre monnaie. Visiblement l’acte félon d’Amadou Toumani Touré n’avait servi à rien. Je crois qu’il ne vous a pas échappé que c’est pour le Franc CFA qu’on a bombardé la résidence officielle de Laurent Gbagbo pour le tuer. Tout le reste était secondaire. Pour les Français, Ouattara ou Tartempion, peu importe, mais pas celui qui leur avait fait si peur et bousculé leurs certitudes. De toute façon Alassane Dramane Ouattara avait déjà fait le job en 1993. Parce que c’est lui qui a mis au point l’inconvertibilité du Franc CFA et sa dévaluation de 50%.casses des BCEAO de Korogho, Bouaké et Man. Ils ont été jetés dans un avion spécial et ramenés en France où ils ont été jugés en procédure d’urgence et embastillés. Ni la BCEAO, ni les autorités Ivoiriennes n’avaient alors été informées. Le gouverneur Charles Konan Banny était devenu muet comme une carpe. Il n’a même pas porté plainte contre X. Lui-même, Ouattara et les rebelles se trouvaient du même côté que la France. On a vite couvert le vol. C’était un forfait militant. Quelques-uns d’entre nous s’étaient indignés de l’abandon par la France du Professeur Philippe Rémond, assassiné à Yamoussoukro par les Dozos de Alassane Dramane Ouattara sur ordre du Président de la France Mr Nicolas Sarkozy. Nous avions tous minimisé le fait que le professeur français avait osé s’attaquer au Franc CFA et aux intérêts de la France à la télévision Ivoirienne pendant la crise électorale de 2010.
Ce n’est évidemment pas un hasard si à la tête de la quasi-totalité de nos gouvernements sont automatiquement installés des économistes gardiens du Franc CFA.
Au Benin, Pascal Koupaki qui ambitionne maintenant de devenir Président de la république.
Au Sénégal, Abdoul Mbaye qui pantoufle en attendant des joutes qui seront soutenues par la France.
Au Mali, Oumar Tatam Ly qui vient de prendre congé d’IBK pour se positionner dans un avenir plus ou moins proche.
En Côte d’Ivoire, Daniel Kablan Dunkan joue son rôle de marionnette à merveille.
En Guinée-Conakry, Eugène Camara, diplômé d’économie et finance.
Quand le Premier ministre n’est pas économiste, le gardien du CFA est le ministre de l’Economie et/ou des Finances. Ils sont tous censés sortir du même moule. On leur apprend même des éléments de langage et des maitres-mots censés rentrer dans le langage courant des peuples qu’on veut endormir.
Cela dit, il faut reconnaitre que les Africains ont été les plus grands consommateurs de sigles et de qualificatifs inventés par l’Occident : le tiers-monde, le sous-développement, les pays en voie de développement, la croissance économique, le niveau de développement (croissance n’est pas développement), puis les PAS (Programme d’ajustement structurel). On a même eu droit aux « Eléphants blancs » longtemps après René Dumont (L’Afrique Noire est mal partie), comme pour lui donner raison. Maître Tixier-Vignancourt avait fait mieux en offrant un slogan inquiétant à la postérité : « la Corrèze avant le Zambèze ». Ensuite on a vu « les pays à revenus intermédiaires ». Et brusquement on nous a vus dans une violente course à l’échalote dont le but final était d’être acceptés parmi les grands privilégiés nommés PPTE (Pays pauvres très endettés). On croyait la compétition terminée mais bien sûr que non ! Un petit malin, au FMI ou à Bercy, a inventé la nouvelle formule qui va maintenant nous donner le sentiment de n’être plus des sous-hommes, mais surtout que nous n’allons pas nous noyer, même en étant PPTE. On a alors mis dans la bouche des gouverneurs et sous-préfets Noirs d’Afrique Occidentale Française un slogan qui est censé donner du souffle à leurs pouvoirs chancelants. Nous sommes aussitôt devenus des « pays émergents » à l’instar du Brésil, de la Chine, de l’Afrique du Sud, de l’Inde et de la Russie qui eux ont déjà émergé. Ils ne nous ont pas attendu parce qu’ils nous connaissent. Ils savent que nous n’émergerons jamais avec le système monétaire qui régit nos économies. A force d’user de ces sigles et formules économiques on ne se rend même plus compte qu’ils sont faits pour nous endormir et parfois pour nous amuser. Ainsi, l’instrument privilégié des occidentaux en Afrique francophone, leur chouchou Alassane Ouattara nous a fait l’injure de nous présenter une « canne émergente » pour cacher un handicap peu valorisant pour sa fonction. Mais tenez-vous bien, il s’est trouvé des Ivoiriens assez sots pour proclamer que cette « canne émergente » lui conférait « une certaine noblesse » et « une allure aristocratique ». Ô kpô ! Duncan toi aussi !!!
Enfin la démocratie : foutaise française pour nous aider à nous entretuer et pour se donner bonne conscience quand ils ont fini de fausser les chiffres et d’imposer leurs poulains dociles, obéissants et fiers de l’être.
La bonne gouvernance, oui la bonne gouvernance pour profiter ouvertement, honteusement et sans gêne des marchés de gré à gré. Quelques noms reviennent régulièrement : Martin Bouygues, Vincent Bolloré. Quelques petits malins essayent d’élargir le cercle des escrocs qui viennent sucer le sang des Ivoiriens : Gaoussou Touré, Mamady Diané, Adama Bictogo, Adama Toungara, etc… Il faut espérer qu’ils ne s’étonneront pas de voir tous ces contrats remis en cause dans un avenir plus ou moins proche.
Devant l’échec patent de toutes nos entreprises, certains des thuriféraires de nos chers président-sous-préfets tentent de leur trouver des excuses : il y aurait, d’après eux, plus d’impéritie que de cynisme dans leur comportement. Pitié pour nous !!
Justement ces temps-ci est arrivé un homme libre et admirable, un éveilleur de consciences, ce que Florence Artman appelle un « lanceur d’alerte ». Il est professeur d’économie à l’université de Versailles et se nomme Nicolas Agbohou. Sa pédagogie en ce qui concerne le Franc CFA dérange toutes les consciences endormies et réveille toutes celles qui somnolaient en Afrique. Il sait rendre intelligent tout auditeur disponible. Son enseignement révolte tous ceux qui s’étaient désintéressés de la lourde question du rapport de l’Afrique au Franc CFA. Sa leçon nous interpelle tous sur le lourd silence de nos experts mais aussi sur l’attitude de nos chefs d’Etats. Le professeur Nicolas Agbohou n’est pas un inconnu. Il parcourt l’Afrique depuis au moins 15 ans avec son sujet de prédilection – le Franc CFA et ses méfaits sur nos populations. Ses arguments sont inattaquables et c’est probablement pour cela que personne n’ose les attaquer. Ceci expliquant cela, le silence des économistes et des monétaristes devient assourdissant et coupable. Le professeur Nicolas Agbohou est seul. Peut-être. Il défend les intérêts d’un peuple faible, taillable et corvéable à merci selon la bonne vieille formule coloniale assimilable à la traite des Noirs... C’est le lieu de rappeler la sentence du président des Etats Unis d’Amérique Abraham Lincoln lors du vote du 13e amendement pour l’abolition de l’esclavage : « Tout ce qui pouvait être obtenu par la mort et le sacrifice a bien été prouvé maintenant. Que nous reste-t-il à faire ? ». Oui Monsieur le président de la République Française, que nous reste-t-il à faire étant donné que nous avons largement payé notre tribut à la colonisation ? Quand comptez-vous rendre aux Africains leur liberté et leur souveraineté véritables ? Encore un petit effort Monsieur le Président ! Pour commencer, un seul acte devrait suffire : s’il vous plait déliez vos vassaux prétendument chefs d’Etat d’Afrique de leur soumission au Franc CFA, à moins que vous n’ayez décidé d’attendre que l’Afrique se libère d’elle-même, dans la douleur.

Accra, le 26 Avril 2014
Mamadou Ben Soumahoro, ancien député indépendant de Côte d’Ivoire en exil au Ghana, ancien directeur général de la Télévision ivoirienne, président honoraire de l’union des Radios et télévisions nationales d’Afrique (Urtna)  

 
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Source : La Dépêche d'Abidjan 29 Avril 2014

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