jeudi 24 octobre 2013

« Si le Sénat est mis en place, nous opposerons une résistance républicaine »

Z. Diabré
(Photo : lefaso.net)
Les Burkinabè sont majoritairement opposés à une candidature de Blaise Compaoré à l’élection présidentielle de 2015. Lors d’une interview sur les antennes de RFI, Zéphirin Diabré, président de l’Union pour le changement (UPC) et chef de file de l’opposition, affirme que Blaise Compaoré ne peut pas être de nouveau candidat et il en donne les raisons. Il donne aussi son avis sur la révision de l’article 37, le Sénat… 

RFI : Il y a un mois, sur RFI, Blaise Compaoré est resté très évasif sur la présidentielle de 2015. Il n’a pas voulu dire s’il essaierait de se représenter. Qu’en pensez-vous ?
Zéphirin Diabré : Notre position au sein de l’opposition burkinabè est claire. La Constitution, dans ses dispositions actuelles, qui sont pertinentes, établit que le président Blaise Compaoré n’est pas en mesure d’être candidat en 2015 à l’élection présidentielle. Nous nous en tenons à cela. 
Au tennis, les grands joueurs cachent leurs coups jusqu’à la dernière seconde. Est-ce que Blaise Compaoré ne prépare pas un coup décisif contre ses adversaires ?
Je ne peux pas rentrer dans ce genre de considérations. Je peux vous dire simplement qu’au sein de l’opposition dont je suis le chef de file, nous menons un combat pour l’alternance dans notre pays et une partie de ce combat-là sera de faire en sorte que ces dispositions de la Constitution soient respectées. 
Pour se présenter en 2015, Blaise Compaoré doit modifier l’article 37 de votre Constitution. Comme il ne dispose pas de la majorité nécessaire à l’Assemblée nationale, beaucoup lui prêtent l’intention de vouloir créer un Sénat pour obtenir cette majorité qualifiée. Est-ce que c’est aussi votre avis ?
Oui, c’est ce que nous entendons dans l’opinion publique. Et sur cette question du Sénat, la position de l’opposition, depuis le début, est que cette institution n’apporte rien de plus au système démocratique que nous avons actuellement. Dans sa configuration, telle qu’elle apparaît à la suite des élections qui ont eu lieu le 28 juillet, le Sénat et l’Assemblée nationale actuelle feront en sorte que le président Compaoré puisse disposer d’une majorité qualifiée, s’il voulait modifier la Constitution.
« Le Sénat c’est un plus de démocratie », dit le président.
L’Assemblée nationale actuelle est composée de députés qui ont été élus au suffrage universel direct, donc par le peuple. Dans le Sénat qui est proposé, un tiers des membres seront nommés par le chef de l’Etat. En quoi cela peut-il être caractérisé d’avancée démocratique ? 
C’est vrai que 31 des 89 membres éventuels de ce Sénat seront nommés par le chef de l’Etat. Mais les autres ne seront-ils pas élus ?
Oui, mais c’est déjà un aspect qui montre bien que dans cette configuration du Sénat, on ne peut pas parler d’avancée démocratique. Et quand on regarde ensuite la composition des autres membres, un tiers sera nommé par les conseillers municipaux au niveau des régions, dans lesquelles régions le parti du président Compaoré, le CDP, a la majorité. Donc on retrouvera des sénateurs qui sont encore issus de ce même rang. En quoi cela peut-il être qualifié d’avancée démocratique ? 
Les sénateurs ont été élus le 28 juillet, mais pour l’instant, le Sénat lui-même n’a pas été mis en place. Est-ce que vous y voyez peut-être un geste d’apaisement de la part du pouvoir ?
J’y vois surtout la détermination des Burkinabè, qui ont montré à plusieurs occasions, y compris par des marches dans les artères de la ville de Ouagadougou et des autres villes du Burkina Faso, qu’ils ne voulaient pas de ce Sénat. Peut-être que c’est le message qui a été entendu. 
Voulez-vous dire que les atermoiements actuels du pouvoir sont peut-être un signe de détente ?
Je constate, comme beaucoup de Burkinabè, que, contrairement à ce qui a été annoncé à l’occasion de l’ouverture de l’actuelle session parlementaire le 25 septembre, le Sénat n’est pas mis en place. 
Mais si le pouvoir s’obstine à créer ce Sénat, qu’est-ce que vous ferez ?
Nous ferons ce que nous avons fait depuis le début dans le cadre de l’opposition, qui n’est que le porte-parole de l’opinion et de l’ensemble des Burkinabè : nous allons opposer ce que nous appelons une résistance républicaine. 
Vous avez été le ministre des Finances de Blaise Compaoré. Est-ce qu’aujourd’hui vous seriez prêt à descendre dans la rue contre lui ?
J’ai déjà dirigé deux manifestations le 29 juin et le 28 juillet. Dès lors qu’il s’agit de questions touchant à l’avenir du pays et que je suis en symbiose avec les attentes, les aspirations et les souhaits de mon peuple, je ne vois aucun inconvénient à le faire. 
Vous êtes, très officiellement depuis le mois d’avril, le chef de file de l’opposition. Vous avez un bureau à ce titre à l’Assemblée nationale. Est-ce vraiment le rôle d’une telle personnalité de descendre dans la rue ?
Cette fonction de chef de file de l’opposition est une conquête de l’opposition démocratique au lendemain des douloureux évènements de la mort du journaliste Norbert Zongo. C’est inscrit dans la loi, le chef de file de l’opposition est l’individu avec lequel, en principe, la majorité doit dialoguer pour toutes les questions touchant à la vie de la démocratie dans le pays. C’est dans cet esprit-là que j’exerce mes responsabilités. 
Mais la rue, ça peut vouloir dire débordements, violence, pillages. Est-ce que vous êtes prêt à ça ?
Mais on n’a pas eu ça quand on est sorti les fois passées ; pourquoi voulez-vous qu’on les ait la prochaine fois ? Sauf si le gouvernement, par des manœuvres dont il a le secret, s’amuse à créer des situations de déstabilisation. 
Mais vous espérez ne pas en arriver là ?
Nous sommes une opposition républicaine, qui se bat d’abord au sein du Parlement. Et sur ces questions que vous évoquez, nos députés ont courageusement mené la résistance. Mais il y a que notre Constitution aussi donne la possibilité aux citoyens d’avoir d’autres formes d’expression, y compris de faire des manifestations dans les rues. 
Dernière hypothèse : pas de changement de Constitution, mais la candidature en 2015 de François Compaoré, le frère du chef de l’Etat. Est-ce que ce ne serait pas une solution de compromis ?
Monsieur Compaoré est un citoyen burkinabè comme les autres. Dans la Constitution, je n’ai pas vu une disposition qui interdit à un parent d’un chef d’Etat en exercice d’avoir des ambitions politiques. Et je vous ai toujours dit que notre combat à nous se situe d’abord sur le plan des idées et ne s’intéresse pas aux questions des personnes, parce que nous combattons un système. 
Ce n’est peut-être pas un citoyen tout à fait comme les autres, il est le frère du chef de l’Etat ?
Mais s’il est candidat, les Burkinabè jugeront. 
Est-ce que, face à François Compaoré, vous pensez que vous auriez plus de chances de gagner que face à ...
(L’interrompant) Je n’ai pas dit, d’abord, que je serai candidat à l’élection présidentielle. C’est une décision qui sera prise d’abord au sein de mon parti. Et puis, si tel est le cas, quand vous me reposerez la question, je vous répondrai. 
François Compaoré a été élu député en même temps que vous, il y a à peine un an. Est-ce que ce n’est pas le signe que, finalement, il va peut-être y aller ?
Il y a 127 députés dans l’Assemblée nationale au Burkina Faso. Je ne suis pas sûr qu’ils soient tous candidats à l’élection présidentielle. 
Finalement, un adversaire comme François Compaoré, ça vous conviendrait peut-être, non ?
Je vous redis : je ne suis pas encore candidat à l’élection présidentielle. C’est mon parti qui va en décider et on avisera au sein de l’opposition. Et le moment venu, je vous le dirai. 

Propos recueillis par Christophe Boisbouvier  

Source : RFI 23 octobre 2013

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