« Ceux-là nous reviendront donc de leur exil en ayant tout oublié des causes qui les y ont conduits, et sans avoir rien appris de cette terrible épreuve ! »
Telle est la crainte que j’ai depuis que j’ai lu la « Déclaration de la Coalition des Patriotes Ivoiriens
en Exil suite aux attaques contre le président du FPI, Pascal Affi
N’Guessan », datée du 30 septembre et signée : « Pour le Bureau Exécutif,
Le Président : Damana Adia Pickass ».
Mais, au moment de rendre publique cette réaction,
qu’il me soit permis de préciser deux ou trois petites choses afin que nul ne
se méprenne sur son sens. Ceci n’est en aucune façon un « droit de
réponse » ; même si je ne pense rien de bon des tribulations de Pascal
Affi NGuessan depuis sa sortie de prison, je ne me sens pas pour autant
concerné par le procès en diffamation auquel se livrent Damana Adia Pickas et
ses amis. D’ailleurs, je ne suis pas, je n’ai jamais été et je ne serai
probablement jamais adhérent du FPI. Je n’ai pas, par conséquent, à juger de
l’adéquation des démarches et des discours du président du FPI avec sa
fonction, avec la ligne de son parti, ni même de leur cohérence avec les
conditions et les nécessités réelles de notre lutte de libération nationale.
L’histoire s’en chargera, et plus tôt que Damana et ses amis de « La
COPIE » ne se l’imaginent peut-être… Seulement, comme citoyen, et comme
patriote positionné depuis plus de 50 ans de ce même côté de la barricade, je
revendique – pour moi et pour tous mes semblables – le droit de penser et de
dire tout haut ce que nous estimons nécessaire et juste, de quiconque se
présente à nous, à la nation, comme sauveur suprême. De penser et de dire, par
exemple, qu’il nous paraît ou qu’il ne nous paraît pas digne de cette fonction
ou de ce titre.
Au demeurant, s’agissant d’Affi Nguessan, je pense
que le procès qu’on lui fait – procès dont il ne faut d’ailleurs pas exagérer
la portée comme le voudrait Damana – est un mauvais procès. On ne peut pas
demander à quelqu’un de devenir soudainement ce qu’il n’est pas naturellement,
simplement parce qu’on aimerait qu’il le devienne. Sorti en l’an 2000 du
chapeau magique de Laurent Gbagbo qui venait d’être élu président de la
République, Affi n’est rien en lui-même, ce qu’il a du reste toujours eu le bon
goût de reconnaître. Alors, il faut dépasser sa personne si on veut bien juger
de ce qu’il fait ou de ce qu’il dit – ou qu’on lui fait dire – depuis qu’il est en
liberté conditionnelle. C’est justement ce que je me propose de faire ici et
maintenant, en m’appuyant sur quelques éléments de la déclaration de Damana.
1 – La réconciliation et ses
conditions :
Est-ce que la libération de Laurent Gbagbo et de tous les autres
prisonniers du régime fantoche, ainsi que le retour de tous les exilés, et leur
rétablissement pur et simple dans leurs droits, suffiront à régler TOUS les
problémes du pays ? Bien sûr que non ! Ça n’est même pas pensable. Et
même si, à l’instar du PDCI, le FPI aussi se ralliait corps et âme au régime fantoche.
D’ailleurs, je ne suis même pas sûr que Damana et ses amis se font des illusions
à ce sujet ; leur façon de le dire suffit à marquer qu’ils n’y croient pas
plus que ça, ou qu’ils envisagent cela seulement soit comme un
miracle, soit comme un cadeau que leur feraient les successeurs de ceux qui
ordonnèrent ou qui exécutèrent l’anéantissement de nos forces armées, le
bombardement de la résidence officielle du chef de l’Etat et le meurtre de
sang-froid de centaines de nos jeunes compatriotes militaires et civils afin
d’imposer leurs marionnettes à la tête de la Côte d’Ivoire.
En faveur de cette troisième hypothèse, je citerais ce passage proprement
extraordinaire : « La COPIE félicite le Président Pascal AFFI N’guessan
pour la qualité du travail qu’il accomplit dépuis sa libération, en
particulier, l’offensive diplomatique avec les représentations des Etats Unis,
de la France, de l’Onuci pour partager avec ces institutions sa vision de
sortie de crise ». Un
comble !, quand nous ne savons absolument rien de ce qu’ont bien pu se
dire Affi et ses différents interlocuteurs, dont l’un au moins, le désormais
ancien ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire Phillip Carter III, fut l’un
des acteurs directs de cette agression dont la nation porte encore les
stigmates. On dirait, à lire Damana, que le simple fait d’avoir reçu Affi l’a
absout, ainsi que ses complices : l’ambassadeur de France Jean-marc Simon
et le représentant du secrétaire général de l’ONU, Young-jin Choi, de leur
crime collectif. Mais, qui donc – ou qu’est-ce qui – aurait donné ce pouvoir
extraordinaire au président du FPI à peine sorti de prison et toujours à la
merci d’une justice aux ordres des pires ennemis de ce qu’il est censé
représenter ?
Pour conclure ce premier point, j’emprunte à Koffi
Annan, qui s’occupe beaucoup de nos affaires sans qu’on sache exactement à quel
titre, sa définition de cette « réconciliation nationale » dont on nous
rebat sans cesse les oreilles : « Il y a un seul
pays pour tous les Ivoiriens. Il faut la réconciliation nationale, il faut
travailler pour le pays et pour les générations futures. J’encourage donc tout
le monde à accepter de travailler ensemble pour un pays stable et prospère » (D’après Le Patriote du 10 octobre 2013). En clair, ce à quoi cet illustre kpakpato nous
invite – et seulement nous les
patriotes qui résistons à l’entreprise de recolonisation de notre patrie !
–, c’est à nous soumettre
purement et simplement à l’état de fait ; à abandonner tout esprit de
résistance et toute volonté de rétablir un jour la terre de nos ancêtres et ses
citoyens naturels – je veux
dire : ceux qui y ont toutes leurs tombes – dans la plénitude de leurs droits naturels et constitutionnels.
2 – les états généraux de la
République
Parmi nos amis lecteurs, peut-être ceux qui
suivaient les événements en 1990 se souviennent-ils qu’à cette époque-là, le
FPI, par la bouche de son président Laurent Gbagbo, rejeta sèchement une doléance
identique présentée par le PIT en prétextant que « la conférence nationale
n’était pas une panacée ». Ceux-là trouverons alors un peu court
l’argument de Damana : 12 mots en tout et pour tout !, alors qu’ils
aimeraient peut-être savoir très précisément pourquoi le FPI qui hier rejetait
toute idée de « conférence nationale souveraine », croit aujourd’hui
que de vagues « états généraux de la République » seraient un remède
à la mesure d’un mal infiniment plus grave et plus pernicieux que celui dont la
Côte d’Ivoire souffrait en 1990…
3 - le Président du FPI […] cristallise sur lui les attentes
du peuple Ivoirien
Il s’agit là d’une assertion gravissime dans le
contexte actuel, parce qu’elle est fausse. Et elle est d’autant plus grave que
c’est une croyance très répandue parmi ceux qui parlent aujourd’hui au nom du
FPI – et qui ont, d’ailleurs, un peu trop tendance à le faire comme si pour eux
le Fpi englobait indistinctement l’ensemble de la Résistance nationale !
Selon eux, si on a libéré Affi et consort, c’est parce que prisonniers, ils
faisaient peur à ceux qui les avaient fait jeter en prison. Mais ils semblent
ne plus du tout savoir qui les a livrés à leurs ennemis, et aucun d’eux ne
paraît même capable d’imaginer le rôle décisif d’une opinion nationale rétive,
inflexible, irréductible, indomptable, comme déterminant principal de ce qu’ils
célèbrent comme une victoire miraculeuse de leur seul parti ! Mais est-ce
que des gens qui se sont toujours crus prédestinés par leur dieu particulier à
diriger notre peuple, et qui concevaient cette fonction comme celle du berger
et de ses chiens guidant des moutons, peuvent comprendre cela ?
Ni 1999, ni 2000, ni 2002, ni 2011 ne leur auront
appris cette humilité qui est l’une des qualités essentielles des plus grands
conducteurs de peuples ! Aussi, dans leur bouche, une déclaration comme « La
Coalition des patriotes ivoiriens en exil (COPIE) salue cette volonté
clairement exprimée des dirigeants du Front Populaire Ivoirien de répondre aux
aspirations véritables des populations ivoiriennes » sonne-t-elle comme une pure plaisanterie, si ce
n’est pas la manifestation désinvolte d’un cynisme particulièrement odieux. Car
si Damana et ses amis sont vraiment sérieux, s’ils ne sont que maladroits dans
le choix de leurs mots, ils devraient au moins savoir
que d’après la vulgate de
leur parti, c’est depuis 1988, voire depuis 1982, qu’existerait chez eux
« cette volonté… etc » ? Or, au bout des trente années écoulées
depuis lors, qu’en est-il résulté ? Rien que cet immense chaos, qu’ils ont
aussi püissamment contribué à installer.
4 – « La COPIE adhère pleinement à la vision du Président
Pascal AFFI N’guessan sur la réconciliation nationale dont le Président Laurent
Gbagbo est le socle et lui apporte un soutien total. »
Qu’est-ce qu’une telle profession de foi peut bien
vouloir dire ? Inutile de chercher, ça n’a pas de sens !
Si ces gens étaient vraiment capables d’une
véritable réflexion politique, ils devraient admettre que Laurent Gbagbo, s’il
mérite certainement d’être rendu purement et simplement à la liberté, il n’a
plus en revanche aucun avenir politique en Côte d’Ivoire ; que, même s’il
avait l’ambition de « revenir », la Côte d’Ivoire, elle, a désormais
tout intérêt à ce qu’il n’en fasse rien, car il ne pourrait revenir en
politique que pour être un autre Bédié…
Pauvre Laurent ! Je ne doute pas que tu ais
été parfois sincère, au moins à tes débuts, quand, porté par ton propre
enthousiasme et par certaines complaisances médiatico-politiques hexagonales –
pas toutes désintéressées –, tu croyais pouvoir voguer longtemps en toute
sûreté sur les eaux troubles de la social-démocratie française. Aussi n’as-tu
pas pris le temps ni la peine de te forger un instrument réellement à la mesure
de ton ambition ou, au moins, à la mesure des conditions du combat politique dans
un pays comme la Côte d’Ivoire houphouéto-foccartienne. De passage à Abidjan au
début des années 1990, Abdoulaye Wade alors un drôle d’opposant lui-même, t’en
avais pourtant averti quand il prononça cette formule étrange : « La Côte d’Ivoire n’est pas n’importe
quel pays ! » Sous entendu : ça sera plus compliqué pour
vous de vous en sortir que partout ailleurs…
FPI, pour Front populaire ivoirien. Refondation, pour tout programme… Un
sigle et un slogan qui, dans un contexte historique particulièrement glauque,
s’avèreront d’une formidable – et d’une dangereuse – efficacité, beaucoup y trouvant le camouflage idéal pour abriter leurs
ambitions de carrière tout en faisant l’économie d’un véritable engagement
idéologique. Ils y affluèrent donc comme les mouches autour d’un pot de miel. Il
n’y manqua même pas les traîtres potentiels, qui s’y embusquèrent, ou qu’on y
prépositionna, pour attendre le moment où ils pourraient servir : un
Louis-Henri Dacoury-Tabley, un Raphaël Lakpé, un Mamadou Koulibaly, entre
autres…
Tout alla bien tant que se maintint la ferveur
populaire et la faveur des « amis de l’extérieur ». Et puis un jour,
comme il advient toujours dans les pactes avec le Diable, les choses se
gâtèrent quand il a fallu donner son âme. Et ce fut la comédie électorale de
novembre 2010, puis le coup de grâce du 11 avril 2011… Mais ce jour-là, le vrai
drame, ce ne fut pas la chute d’un homme et de son régime ; ce fut la
révélation du néant politique que jusqu’alors le sigle « FPI » et le
slogan « Refondation » cachaient aux foules de jeunes prêts à se
sacrifier pour leur idole.
5 –
en guise de conclusion
Une guerre, civile ou étrangère, se gagne ou se
perd. Et puis, celui qui a perdu, pourvu qu’il ait assuré ses arrières en intégrant
dans ses plans l’éventualité de cette défaite, peut espérer renaître… Nos
« refondateurs », eux, n’avaient aucun plan, ni d’offensive ni de
défensive. Encore heureux que nous ayons dans notre généalogie nationale ces
peuples admirables, dont l’esprit d’indépendance, qui déjà exaspérait tant
Angoulvant vers 1910 – il
appelait cela l’« instinct atavivique d’indépendance » –, leur fait comme une carapace face à qui prétend les
réduire à sa merci.
La force qui maintint Gbagbo à flots de 2002 à 2010,
ce n’est pas son « charisme », ni l’appareil d’un FPI fantomatique,
ni Blé Goudé et ses gesticulations, encore moins la science militaire de nos braves
matamores de chefs d’état-major successifs, mais cet « instinct »-là !…
C’est grâce à lui si après le 11 avril 2011, malgré tous les efforts de nos
opiâtres et insatiables prédateurs pour nous démoraliser, nous ne sommes pas
encore redevenus une consentante et inerte néocolonie française sous-traitée au
Burkina Faso et aux autres pays-CEDEAO en guise d’« espace vital ».
C’est grâce à lui si les vrais artisans du coup d’Etat le plus long de
l’histoire, c’est-à-dire la France des affairistes sans scrupules, comprenant
qu’elle ne nous aurait jamais à l’usure comme elle l’avait espéré, tente
maintenant de récupérer les éléments modérés du FPI encore utilisables pour
appâter l’opinion en vue de la retourner en faveur du régime fantoche. L’étrange
ballet auquel nous assistons depuis la libération conditionnelle d’Affi et de
ses compagnon n’a pas d’autre signification.
Je ne sais pas si c’est sciemment qu’Affi se prête
à ce jeu de dupes. Je ne veux même pas me poser la question. Car dans cette
affaire, en tout état de cause, Affi n’est que le pot de terre, et il ne pourra
que se briser contre la volonté de domination de ceux qui ont tout organisé
depuis 1993 afin que la disparition de leur cher Houphouët-Boigny ne signifie
pas la fin de la main-mise de la Françafrique sur notre patrie. S’il le sait,
tant mieux pour lui et pour le FPI. Sinon, il ne tardera pas à l’apprendre…
Des milliers d’Ivoiriennes et d’Ivoiriens sont
morts en bravant les armes françaises et onusiennes parfois déguisées en
« forces nouvelles ». Est-ce que, sous prétexte d’on ne sais quelle
« réconciliation nationale », il faut laisser les ennemis de notre
patrie croire que tous ces frères et sœurs, toutes ces filles et tous ces fils qu’ils
nous ont tués depuis 1999 jusqu’à aujourd’hui, c’est « cadeau » ?
Voilà la seule vraie question à laquelle toute
l’histoire de ce pays depuis ses commencements nous commande de répondre à
cette heure ! Et ce serait le comble de l’aveuglement, voire une trahison,
d’accepter que ceux qui, après avoir capté la confiance de tout un peuple,
n’ont pas été capables de le conduire à
la victoire, ni de lui ménager les moyens de se protéger contre l’humiliation
et les spoliations après la défaite, viennent dire qu’ils détiennent seuls la
légitimité pour y répondre. Surtout quand nous les voyons si près de rendre les
armes alors que le combat n’a pas cessé.
Marcel Amondji
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