Houphouët vit-il dans les
événements d’Adzopé l’amorce de la fin de son règne ? On peut
répondre
sans risque par l’affirmative vu les décisions qu’il arrêta au lendemain de ces
faits. En effet, non seulement il décida à nouveau de la fermeture de toutes
les structures de formation du primaire jusqu’au supérieur, mais il proclama
contre toute attente, l’année scolaire et universitaire 1989-1990, « année blanche ». Ensuite, il
fit courir le bruit de son départ du pouvoir. La presse internationale fit de
cette rumeur, son chou gras. Lettre d’Afrique, dans sa livraison du 11 avril
1990, crut savoir que le départ d’Houphouët, était imminent et même fixé dans
le mois de juin de l’année en cours. Tous les acteurs politiques de l’ombre
entrèrent alors en action. Ils furent nombreux à comprendre que les temps
étaient désormais propices pour réclamer des droits politiques pour les
Ivoiriens. Ainsi donc, dans le sillage du Synares qui depuis le début de
l’année ne cessait, outre ses revendications corporatistes, de réclamer
l’institution de la démocratie pluraliste, un homme allait se lever et braver
les peurs. Il s’agit de Laurent Gbagbo qui était revenu à l’IHAAA. Face aux
hésitations de certains de ses aînés progressistes comme lui, qui pensaient que
le fruit n’était pas suffisamment mûr pour être cueilli, et comme mû par tous
ces événements qui accéléraient l’histoire politique de la Côte d’Ivoire,
Gbagbo prit son courage à deux mains et alla dès le 3 avril, trois jours avant
la mort brutale de Kpéa Domin, déposer les statuts et règlements intérieurs de
son nouveau parti, le FPI, au ministère de l’Intérieur. Avec comme objectif
stratégique d’activer au plus vite l’article 7 de la Constitution ivoirienne de
1960. Cet acte de bravoure tactique fut salué partout par le peuple qui était
dans l’attente, pourrait-on dire, de cet événement politique. En déposant le
premier les textes du Fpi, il positionna son parti dans l’arène politique du
pays, ce qui lui permettra de s’incruster durablement dans les consciences des
masses populaires. S’étant rendu compte que rien n’était arrivé à Gbagbo et à
ses compagnons, Francis Wodié, le 19 avril suivant, annonça la création de son
parti, le parti ivoirien des travailleurs (Pit). De leur côté, les élèves et
étudiants qui militaient de manière éparse dans plusieurs mouvements syndicaux,
pour se donner une force et une conscience de groupe d’intérêts, décidèrent de
coaliser tout, et le 21 avril, ils créèrent la Fédération estudiantine et
scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), à la paroisse sainte Famille de la Riviera.
Dans cette ambiance, pour ne pas que le Pdci prenne l’eau de toutes parts, les
animateurs d’un courant rénovateur au sein de ce parti, demandèrent
courageusement et sans faux-fuyant à la
direction de leur parti d’ouvrir le
pays au multipartisme. Le Pdci ainsi contraint, reconnut le pluralisme
politique le 30 avril et son gouvernement, par un acte solennel pris en Conseil
de ministres, proclama le 3 mai 1990, le retour du multipartisme en Côte
d’Ivoire. Ce fut une grande victoire des forces progressistes et démocratiques
ivoiriennes, mais une victoire pour le peuple qui a su en temps voulu,
surmonter ses peurs et prendre son destin en main. Dans cette conquête de nos
droits politiques, dans cette bataille pour obtenir les libertés d’opinion,
d’association, de réunion, et tous les autres droits démocratiques, si on peut
saluer avec déférence le rôle primordial joué par Laurent Gbagbo qui, par ses
batailles politiques commencées très tôt contre l’unanimisme du parti unique, a
aiguisé la conscience populaire des Ivoiriens, si on peut hautement apprécier
l’action éminemment salutaire du Synares sous Marcel Etté dans ses revendications
syndicales à relents politiques dans la mobilisation des fonctionnaires et
autres salariés à se dresser contre le pouvoir liberticide, exploiteur et
expropriateur du Pdci, il faut avec honnêteté reconnaître que les jeunes et
surtout les élèves et étudiants des années 90 ont été le moteur du changement
qualitatif au plan politique intervenu en Côte d’ivoire. Il faut savoir s’en
souvenir et leur rendre un jour un hommage mérité et leur dédier une journée
nationale autour du symbole sous forme de stèle que doit représenter le martyre
d’Edouard Kpéa Domin dans le sang duquel ont trouvé racine le Multipartisme et
la Démocratie dans notre pays.
Charge de la police contre les manifestants le 2 mars 1990 |
La "Une" de Fraternité Matin du 7-3-90 |
Lazare
Koffi Koffi
(Extrait de son livre en préparation :
« Côte d’Ivoire, ma passion »)
en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous
vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source :
Le Quotidien d’Abidjan 23
Octobre 2013
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