vendredi 28 mars 2014

Quand arrêtera-t-on cette comédie ?

La guerre née de la crise postélectorale en Côte d’ivoire s’est achevée dans un effroyable bain de sang. Laurent Gbagbo capturé et fait prisonnier, des milliers de morts jonchant les rues, des dégâts matériels importants orchestrés, de profonds préjudices moraux subis…, tout cela fera, longtemps encore, tâche d’huile dans la mémoire collective des Ivoiriens. S’il y a une chose à retenir de ce sanglant et brutal dénouement, c’est bien cette évidence selon laquelle Alassane Ouattara n’a pu finalement s’asseoir dans le fauteuil présidentiel que grâce au rôle déterminant de l’armée française, appuyée par les forces de l’Onuci (opération des nations unies en Côte d’Ivoire) et la rébellion descendue du nord de la Côte d’Ivoire ; c’est bien à l’issue de l’usage des armes et moins par les urnes qu’il accède ainsi au pouvoir en 2011.
Mais bien avant, il y a décembre 2010 : les rideaux viennent de tomber sur le scrutin présidentiel en Côte d’Ivoire. Débute alors une longue et angoissante période d’attente des résultats. Non satisfait d’avoir inutilement joué avec les nerfs des Ivoiriens, Youssouf Bakayoko, le président de la CEI (Commission Electorale Indépendante), apparaît sur les écrans de la télévision nationale, quelques minutes avant la forclusion de l’organe qu’il dirige : « Il n’est pas encore minuit », lâche-t-il au grand dam des spectateurs. Paul Yao N’dré (avant qu’il ne déclare avoir été possédé par le diable !), président du Conseil Constitutionnel de Côte d’Ivoire, proclame alors les résultats définitifs, comme le stipule la Constitution ivoirienne. Laurent Gbagbo est déclaré élu.
Mais son élection est aussitôt contestée, par le camp adverse, celui d’Alassane Ouattara. Ce dernier bénéficie du soutien de la France et de ses alliés planqués au sein de l’Onu. La Côte d’Ivoire est l’objet d’un outrancier lynchage médiatique de la part des médias occidentaux, relayés en cela, par leurs satellites africains. Objectif : faire admettre à l’opinion qu’Alassane Ouattara est le vainqueur du scrutin présidentiel. En fin de compte, Alassane Ouattara et ses soutiens parviendront à leurs fins.
Certes, les armes se sont tues en Côte d’ivoire. Mais demeure lancinante la question de la réconciliation, gage d’une paix durable. En Côte d’Ivoire, c’est une évidence qui saute aux yeux. Le sentiment de méfiance, la haine et la rancœur sont, plus que jamais, présents dans les esprits et ne cessent de gagner du terrain au sein de la population. Dès lors, le calme et la paix dont certains pourraient se targuer ne sont qu’une fragile façade qui risque à tout moment de voler en éclat. La plupart des Ivoiriens gardent en leur cœur leur propre douleur ou l’amer souvenir d’un proche arraché à la terre des hommes. Voilà l’évidence que l’on tente de cacher à l’opinion.
Pourquoi un tel état d’esprit malgré tout le temps que l’on claironne çà et là en faveur de la réconciliation nationale ? N’est-ce pas parce que des personnes, notamment ceux qui sont aujourd’hui aux affaires, ont cru pouvoir s’imposer et imposer la paix par les armes et non par un dialogue franc et constructif ?
Il ne faut pas le nier : la Côte d’Ivoire est profondément divisée. Il y a un mal profond qui la ronge. Si l’on n’y prend garde, ce mal risque de lui causer des dégâts irréversibles.
Ceux qui nous dirigent ont parlé de justice avant réconciliation. Mais à la pratique, ils ont plutôt opté pour une justice des vainqueurs et une politique qui favorise un clan, une communauté, une ethnie... Ils dorlotent et protègent à souhait ceux qui ont tué, massacré, égorgé des Ivoiriens, c'est-à-dire, ceux qui les ont aidés à prendre le pouvoir. Ils tentent de faire de ces assassins, des héros, bien que les mains de ces derniers soient remplies de sang. Ils ferment les yeux sur les victimes de ces bourreaux, allant jusqu’à nier pratiquement leur existence. Pour eux, ils n’y a que des victimes de Laurent Gbagbo. Ils rejettent la faute sur l’opposition. Ils l’accusent de ne pas vouloir la réconciliation. En réalité, ils voudraient voir l’opposition – elle aussi – jouer la même comédie. Pour eux, il n’y a que Gbagbo qui a occasionné 3000 morts. Eux sont des « saints », des « libérateurs ». Ils s’efforcent à présenter de la Côte d’Ivoire une image plus que reluisante : « les Ivoiriens se réconcilient » ; « tout va bien au pays », disent-ils à qui veut l’entendre.
Pourtant, chaque jour fusent des nouvelles à nous glacer les os. Des individus auraient attaqué dans tel ou tel endroit, d’autres sont arrêtés pour, dit-on, atteinte à la sureté de l’Etat. Des communautés s’affrontent à l’intérieur du pays. L’opposition est accusée de « mettre de l’huile sur le feu »… Les nouvelles en provenance du pays, ne sont pas bonnes.
S’ils reconnaissent, malgré tout, ceux qui tiennent aujourd’hui les rênes du pays, qu’il y a « le feu » dans ce pays, pourquoi ne tentent-ils pas de l’éteindre tout bonnement ? Eh bien !, parce qu’ils sont eux-mêmes les pyromanes. Ce sont eux qui ont causé l’incendie, mais ils se refusent à l’admettre. Parce qu’ils n’ont pas ce qui fait la force et la réussite d’une réconciliation vraie et durable : l’humilité, le pardon, l’esprit de sacrifice pour l’intérêt commun…
Avec leurs armes, ils ont tué, divisé les Ivoiriens. Avec ces mêmes armes ils veulent leur imposer la paix. Mais personne n’est dupe de cette comédie de mauvais goût.
Jusqu’à quand se rendront-ils compte que la paix imposée par les armes est nulle et de nul effet ? En effet, les armes n’ont jamais réussi à imposer la paix, une vraie et durable paix. L’histoire de l’humanité n’offre aucun exemple de ce genre. Dès lors, il appartient aux Ivoiriens de prendre leurs responsabilités pour mettre fin à cette comédie, cette farce dont ils ne sont, en réalité, que les dindons.
 

Marc Micael, chroniqueur politique

Titre original : « Mettre fin à la comédie » 


 
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Source : CIVOX. NET 21 Mars 2014

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