(Source : Bôl'Kotch 24-30 janvier 2014) |
Le
président du Burkina Faso n'a peut-être pas encore formellement pris sa
décision. Mais pour Blaise Compaoré, l'envie de rempiler pour un troisième
mandat est grande. Avec le double risque de créer une situation de tensions
sociales et politiques et d'écorner son image.
Novembre 2015, cela peut paraître loin, et deux ans en
politique, très long. Mais pour un pays qui, de l'aveu même de ses plus hauts
dirigeants, ne sait pas faire dans la « transition
démocratique », pour la simple raison qu'il n'a jamais eu l'occasion
d'en vivre une, c'est une autre histoire. Surtout quand le président sortant,
qui en sera alors à sa vingt-neuvième année de règne sans réel partage et qui
s'est construit au fil des ans une image d'« homme providentiel »,
n'a toujours pas levé le voile sur ses propres intentions.
Ira-t-il, ira-t-il pas ? Deux ans avant la fin de son mandat –
théoriquement le dernier –, Blaise Compaoré reste fidèle à sa réputation : il
cultive le flou. « C'est mon choix
qui va être déterminant. Je sais où sont les limites de mes forces et de mon
intelligence », se contentait-il de dire le 22 septembre sur La
Voix de l'Amérique. Ses partisans, eux, rappellent que 62 ans c'est encore
jeune pour un chef d'État.
À Ouagadougou, chacun a sa petite idée. Un diplomate étranger de
premier plan : « Il semble qu'il ne
se représentera pas ». Ablassé Ouédraogo, son ancien ministre des
Affaires étrangères aujourd'hui passé à l'opposition : « Il n'ira pas ». Un ami de Compaoré, qui fut son
conseiller pendant près de vingt ans et jusqu'à il y a peu : « Je crois qu'il n'a aucune intention
de prolonger et qu'il laissera sa place ». Le vote en juin 2012
par l'Assemblée nationale d'une loi d'amnistie pour les anciens chefs d'État du
Burkina est souvent avancé comme la preuve que Compaoré est prêt à passer la
main. D'autres personnalités haut placées dans la sous-région disent le
contraire. Il semble surtout qu'il n'a toujours pas pris sa décision et qu'il
tranchera en fonction de l'évolution de la situation.
À vrai dire, il a beau répéter à chacune de ses (rares) sorties
publiques qu'il n'y pense pas, Compaoré ne trompe personne. Les pressions sont
trop nombreuses et trop contradictoires pour qu'il les évacue d'un simple
revers de main. D'un côté, il y a son entourage, à commencer par son
frère François. Il y a son parti, le Congrès
pour la démocratie et le progrès (CDP), qui réclame depuis plusieurs années
la modification de l'article 37 de la Constitution, lequel stipule que le
président du Faso n'est rééligible qu'une fois. Il y a tout ce que le monde des
affaires compte de puissants. Et il y a l'armée. On a tendance à l'oublier,
mais Compaoré et de nombreux dirigeants de l'actuel régime en sont issus, et
celle-ci – faut-il le rappeler –, n'a jamais quitté la scène politique depuis
sa prise du pouvoir en 1966. Elle est ce que le chercheur Augustin Loada
appelle « la matrice du pouvoir »,
mais aussi « une épée de Damoclès »
qui pèse sur les civils.
Une opposition de mieux en mieux
structurée
Tous ceux-là souhaitent que Compaoré s'accroche au pouvoir pour
diverses raisons : pour parachever « l'œuvre
de démocratisation entamée en 1987 », pour « préserver la stabilité du pays » ou, plus trivialement,
pour conserver le pouvoir, garder la main sur l'économie ou assurer ses
arrières. « Le clan du président
craint une chasse aux sorcières en cas d'alternance. Il pèse de tout son poids
pour que Blaise reste à Kosyam », se désole un cadre du CDP, qui, lui,
n'y est pas favorable. À force de persuader les Burkinabè qu'il est le seul
recours, l'entourage du président a semble-t-il fini par y croire.
En face, il y a l'opposition, de mieux en mieux structurée, la
société civile, plus impliquée que jamais, les étudiants et les syndicats,
toujours aussi politisés... Dans la perspective de 2015, ces poches de
contre-pouvoir qui, jusque-là, n'arrivaient pas à s'entendre, ont effectué un
rapprochement jugé inquiétant au Palais. Les
manifestations des mois de juin et juillet ont
démontré leur capacité à mobiliser. Celles de 2011, couplées à de nombreuses
mutineries, avaient révélé l'ampleur du malaise qui touche aussi bien les
soldats du rang que les commerçants, les étudiants ou encore les
fonctionnaires.
Il y a aussi l'Église catholique, historiquement très influente au
Burkina. En dénonçant, le 15 juillet, dans une lettre pastorale qui a pris
les traits d'un tract de l'opposition, « le
malaise social », « une
gouvernance de plus en plus déconnectée de la réalité », « la corruption » et surtout
la « patrimonialisation de l'État », les évêques, qui ne sont pas favorables à la modification
de l'article 37, ont lancé un sérieux avertissement.
Il y a enfin la communauté internationale. Un certain nombre de voisins
qui s'inquiètent d'une possible déstabilisation du pays ont d'ores et déjà
envoyé des messages à « Blaise »
via des intermédiaires. « Rassurez-le.
Dites-lui qu'on ne l'oubliera pas. Qu'on lui trouvera une mission à sa hauteur ».
À la Francophonie, à l'Union africaine ou ailleurs.
Plusieurs pays européens, dont l'aide bilatérale est loin d'être
négligeable, ont de leur côté manifesté leur attachement à la Constitution. Les
États-Unis et la France aussi, même si la position des deux seuls partenaires
qui comptent vraiment au Burkina est ambiguë. Certes, Emmanuel Beth, qui était
le représentant de la France à Ouagadougou jusqu'en août dernier, lui aurait
plusieurs fois conseillé de « ne pas
y aller ». Mais Paris et Washington ne cachent pas leur embarras : si
Compaoré a subi un relatif échec au Mali (la confiance placée par ses hommes en
Iyad Ag Ghaly reste en travers de la gorge de la France), il est toujours
considéré comme un partenaire essentiel dans la sous-région. La stabilité du
Faso n'a pas de prix alors que la Côte d'Ivoire et le Mali sortent à peine du
chaos et que d'autres pays pourraient y plonger. Et l'hospitalité du pays en
matière militaire est loin d'être négligeable, alors que la guerre contre la
nébuleuse salafiste ne fait que débuter : voilà plusieurs années que le Faso
sert de base pour les forces d'élite et les services de renseignements des
armées française et américaine.
Au-delà de toutes ces pressions, Compaoré doit prendre en
considération les conséquences de ce qu'impliquera son choix. S'il tarde à
dévoiler ses intentions, il alimente la machine à rumeurs, qui n'est pas sans
impact sur le climat sociopolitique. S'il annonce qu'il ne se représentera pas,
il ouvre la voie à une guerre de succession qui pourrait laminer son parti, déjà
en proie à de graves dissensions depuis qu'en mars 2012 la plupart des
barons du CDP ont été évincés du bureau politique au profit des proches de
François Compaoré. A-t-il commis là une erreur rédhibitoire en ne désignant pas
de successeur longtemps à l'avance ? Certains, au CDP, le pensent. « Notre parti peut rester dix ans au
pouvoir, vingt ans même, après Blaise. Mais on ne prépare personne ! Rien n'est
fait pour trouver un successeur. Au contraire, tous ceux qui sortent du lot
sont écrasés », se désole un cadre du parti proche de Roch
Marc Christian Kaboré, un des barons placardisé.
Dans un rapport publié en juillet, intitulé « Avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes », le
think tank International Crisis Group établissait un douloureux parallèle avec
le voisin ivoirien : « À la manière
de ce qui s'est produit lors de la succession de Félix Houphouët-Boigny en Côte
d'Ivoire, les caciques du régime pourraient se livrer à une bataille
destructrice pour prendre la place laissée vacante par le président ».
Enfin, si Compaoré décide de se représenter, il prend le double
risque de créer une situation de tension politique et sociale et d'écorner son
image. Va-t-il passer en force ? Comptera-t-il sur un vote du Congrès ? La
polémique suscitée par la création du Sénat (qui n'a toujours pas vu le jour)
l'en a dissuadé. La seule option qui lui reste est donc la voie référendaire.
Mais c'est risqué. « Tout change
très vite dans ce pays. Aujourd'hui, les gens réfléchissent, s'expriment, s'informent »,
note l'« opposant » Ablassé
Ouédraogo.
Une enquête d'opinion considérée comme fiable illustre cette
évolution. Menée il y a un an auprès de 1 200 Burkinabè par le Centre pour la
gouvernance démocratique, elle révèle que 54 % des sondés ne veulent pas
que la Constitution soit modifiée dans le but de permettre à Compaoré de se
présenter à nouveau. En 2008, ils n'étaient que 46 %.
L'armée
peut-elle jouer un rôle en 2015 ? Cela reste une
énigme. Selon Rinaldo Depagne, analyste principal chargé de l'Afrique de
l'Ouest pour International Crisis Group, « l'armée
burkinabè est aussi silencieuse que le président qui l'a façonnée. Les mutineries
de 2011 ont cependant montré que l'armée, en particulier sa base, n'était pas
aussi disciplinée qu'on le pensait. Depuis l'indépendance, le Burkina est
traversé par une grande dynamique : à chaque fois qu'un régime a tenté
d'imposer trop fortement son autorité, s'est montré incapable de gouverner ou a
imposé un contrôle trop inégalitaire des ressources du pays, il a fini par être
renversé, par la rue ou par l'armée ».
Rémi
Carayol (Jeune
Afrique 25 novembre 2013)
Titre original : « Blaise Comparé, la tentation du troisième
mandat »
en maraude dans le web
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nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Le
Patriote 28 février 2014
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