Guillaume Ancel (photo Laure de Vulpian/Radio Radio France) |
Alors que l'association Survie a déposé, récemment, à Paris, une
plainte contre des responsables politiques et militaires français pour
« complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité », lors du génocide au Rwanda, en 1994 ,
Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée de terre, affirme, ce jeudi, sur
franceinfo, que ses supérieurs lui ont clairement demandé de « livrer des armes aux
génocidaires dans les camps de réfugiés ». Guillaume Ancel a
pris part à l'opération Turquoise au Rwanda, en 1994, en tant que capitaine
du 2e régiment étranger d'infanterie. Il a ensuite été en mission à
Sarajevo pendant le siège de la ville, en 1995 (une expérience qu'il
raconte dans Vent glacial sur
Sarajevo, publié aux Belles Lettres). Il a quitté l'armée en 2005,
et travaille aujourd'hui dans le secteur privé.
franceinfo : Que vous inspire cette
plainte contre les responsables politiques et militaires français de l'époque ?
Guillaume
Ancel : Force est de constater que,
23 ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, nous ne connaissons
toujours pas le rôle que la France a joué, et je pense qu'il serait grand temps
qu'on arrête de raconter aux Français ce qu'ils doivent en penser et qu'on leur
permette de juger par eux-mêmes. C’est-à-dire d'ouvrir les archives, de faire
la lumière sur ce qu'il s'est passé, et d'arrêter d'être dans ce déni permanent
d'une réalité à laquelle, moi, j'ai assisté.
Je ne vais prendre qu'un exemple :
j'étais officier détaché dans une unité de la Légion étrangère, quand nous
sommes partis dans cette opération humanitaire. La première partie de
l'opération était clairement destinée à remettre au pouvoir le gouvernement
génocidaire. On pourrait dire que l'on n'en avait pas parfaitement conscience,
alors, qu'en réalité, la DGSE avait largement informé le gouvernement de
l'époque. Dans la deuxième partie, quand on a enfin renoncé à remettre au
pouvoir ce gouvernement génocidaire, on a juste protégé sa fuite en créant une
zone humanitaire.
Non seulement les génocidaires ont pu
tranquillement aller se réfugier au Zaïre [aujourd'hui République démocratique
du Congo] mais, en plus, on les a laissés organiser l'exode de leur population,
qui a quand même dû faire 100 000 morts supplémentaires. Et puis,
c'est l'épisode, à mon avis, le plus indéfendable parce que ce n'est pas un
sujet de confusion ou de manque de clairvoyance, c'est pour moi, un sujet de
complicité de génocide : on nous a demandés de livrer des armes aux
génocidaires dans les camps de réfugiés. Moi j'ai assisté à une de ces
livraisons, c'était la deuxième quinzaine de juillet 1994 : je revenais
d'une opération d'extraction qui s'était mal passée. Quand j'arrive sur la
base, le commandant adjoint du détachement me demande de détourner l'attention
des journalistes parce que, je le cite, « un convoi d'armes va
partir vers le Zaïre ».
Je fais ce qu'il m'a demandé parce que
je n'ai pas eu le temps de réagir plus que ça, et, le soir, au débriefing, qui
est évidemment très dur, je demande des explications sur ce sujet. Là,
j'entends les commandants du groupement m'expliquer sans y croire qu'en
fait, on livre des armes à ces hommes qui ont conduit des massacres parce
qu'il faut éviter qu'ils se retournent contre l'armée française. Ce n'est pas en
les réarmant qu'on les rendra moins dangereux, et je comprends, à ce moment-là,
qu'ils ne font qu'exécuter des directives qui viennent du plus haut niveau de
l'Etat. Il y a eu un manque total de clairvoyance du gouvernement de
cohabitation de l'époque et, maintenant, ils s'enferment dans un déni total
plutôt que d'oser expliquer aux Français les décisions qu'ils ont prises à
l'époque.
Il n'y a
qu'un point qui m'ennuie un petit peu dans les mises en accusations dont on a
parlé : je trouve un peu dommage qu'on s'en prenne à mes compagnons
d'armes. Je suis solidaire d'eux, parce que, de toute façon, j'ai participé à
ses actions, mais je pense qu'ils ont fait ce qu'on attendait d'eux. Même si un
officier est forcément responsable des ordres qu'il donne, il faut se rappeler
qu'on était dans le cadre d'une politique qui était décidée au plus haut sommet
de l'Etat.
Vous dites que les militaires n'avaient
pas le choix, qu'ils devaient obéir ?
La Revue XXI a révélé ce que même moi j'ignorais,
c'est à dire qu'il y a des officiers beaucoup plus courageux que moi qui ont
rapporté au plus haut niveau de l'état-major français qu'ils étaient contre
cette politique et qu'ils ne comprenaient pas pourquoi on nous demandait de
livrer des armes aux génocidaires dans des camps de réfugiés. Ce rapport arrive
à l'Elysée, et un homme de l'Elysée, « H.V. », sans doute Hubert
Védrine, met cette mention terrifiante : « Appliquez la directive ». Vous
vous rendez compte de ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'il y avait une
directive de fournir des armes à des génocidaires dans des camps de réfugiés
alors qu'on est sous un mandat humanitaire de l'ONU.
Hubert Védrine, devant la commission de la
défense, le 16 avril 2014, a reconnu que des livraisons d'armes
s'étaient bien poursuives depuis le début du massacre, tout en disant que cela
n'avait rien à voir avec le génocide. Qu'en pensez-vous ?
Ce n'est pas
la peine d'avoir fait Saint-Cyr pour comprendre, quand on arrive sur un
territoire, que les gens qui ont du sang jusqu'aux coudes, et qui se vantent
des massacres qu'ils ont conduit – on en a eu l'exemple dans les collines
de Bisesero, où l'on a vu les forces gouvernementales massacrer la population
civile –, que les gens que l'on nous demande d'aider sont ceux qui
organisent les massacres. Ce qui explique la totale réticence de l'armée
française. Aujourd'hui, on les a mis dans une situation extrêmement délicate
parce que, en gros, pendant 22 ans ils ont été obligés de couvrir ce
secret d'Etat. Maintenant, c'est délicat de leur demander de raconter la
réalité qu'ils n'ont jamais pu dire pendant toutes ces années. Très clairement,
on avait toutes les informations pour changer de politique, et si cela n'a pas
été fait, cela doit être justifié par des raisons que je ne comprends toujours
pas.
Source : Franceinfo 29 juin
2017
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