Jean Bonin Kouadio : « Un
parti politique n'est pas la propriété d'un individu qu'on sert et à qui on
remet sa "chose" quand bon lui semble ».
JEAN BONIN KOUADIO |
Convié à un débat politique
hier (12 janvier) par Matt De Bouabre, j'avais pour contradicteur Dakouri
Roger, sympathisant du FPI et réfugié politique à Accra.
L'enseignement principal que
je tire de ce débat, c'est que la crise de positionnement au FPI ne prendra pas
fin tant que certains parmi nous n'auront pas fait le deuil du traumatisme subi
lors de la perte du pouvoir en 2011 et des effets collatéraux qui en ont
résulté.
Pourtant il faudra
nécessairement faire ce deuil pour pouvoir rebondir et être utile à toute la
nation et non pas seulement aux « pro-Gbagbo ».
L'absence de deuil ne permet
pas de contenir ses ressentiments et autres mauvais sentiments. Si tant est que
le FPI aspire à reconquérir le pouvoir d'Etat dans l'intérêt de tous les
Ivoiriens, nombreux parmi nous devront, sans renier les acquis d'hier, être
capables de se projeter vers l'avenir, sans rancœur et sans rancune.
Certains parmi nous ont
tellement été habitués à vivre sous l'ombre et l'autorité du Pdt Gbagbo qu'ils
ont perdu tout esprit critique et autocritique, tout sens des réalités et toute
capacité personnelle d'initiative. C'est tragique.
Tragique car c'est un signe
de faillite, d'impuissance et de résignation. Tragique car certains n'arrivent
toujours pas à comprendre que Gbagbo est en prison et qu'il a plus besoin de
nous que nous n'avons besoin de lui.
Il n'appartient pas à Gbagbo,
depuis sa cellule, de mener le combat pour la libération de la Côte d'Ivoire et
la sienne. Non, Gbagbo a besoin d'un parti fort, animé par les militants
aguerris et déterminés.
Il faut sortir de la logique
de l'exclusion virtuelle tout azimut, de la radiation puérile à tour de bras de
ceux qui pensent différemment. C'est cela le sens de la pluralité d'opinion,
une des raisons de la création du FPI.
Il faut sortir de la logique
du « Gbagbo ou rien » pour le « Gbagbo et nous ». Il ne
faut pas confondre le désir de la majorité des Ivoiriens, y compris de certains
militants du RDR ou du PDCI, de voir Gbagbo libre avec une posture de « Gbagbo
ou rien » ; car « Gbagbo ou rien » n'est pas un projet
politique, c'est juste un slogan.
Ce slogan est pour certains
l'expression d'une douleur, pour beaucoup une hypocrisie, un fonds de commerce,
et pour d'autres « une arme » pour combattre Affi.
« Gbagbo et la Côte
d'Ivoire » a un sens. Il est un projet politique. Oui, en même temps que
nous luttons, chacun, avec sa méthode, pour la libération de la Côte d'Ivoire
et de tous ses filles et fils, nous devons parallèlement nous battre pour
l'ensemble des Ivoiriens qui souffrent et qui aspirent à des changements
fondamentaux dans notre pays et dans leur condition de vie. C'est cela se
préoccuper du peuple.
L'intérêt du peuple, c'est la
libération de tous les détenus, le retour des exilés... Bref, la normalisation
de la vie sociale et politique. Cela, dans la situation actuelle de notre pays,
nécessité des compromis.
Or certains parmi nous
assimilent ce compromis qui conduit au dialogue politique et républicain a de
la traîtrise, de la lâcheté, de la compromission. Ils ont tort. Ils sont
excessivement émotifs.
Comme dans toutes situations
de stress post-traumatique, ceux-ci développent des tendances à l'affrontement
et quelques fois même à des démarches quasi suicidaires en refusant et en
boycottant tout.
La posture du non à tout,
c'est le refus du dialogue politique, du repositionnement du FPI vis-à-vis de
la communauté nationale et internationale, des élections, du retour des exilés
et des réfugiés, de la décrispation et de l'apaisement de l'environnement
sociopolitique, de la réconciliation nationale et interne au FPI...
Mon point de vue est que nous
devons accepter de regarder la réalité en face, de tirer les enseignements de
la crise, faire preuve de sagesse, de lucidité et de discernement pour définir une
stratégie pertinente, efficiente et efficace pour la suite du combat politique.
Aveuglés par la colère et le
ressentiment, le camp ou le Front du refus veut en découdre. Ses tenants
croient que la situation sociale est suffisamment mûre pour une révolution
sociale, pour des manifestations de masse qui contraindraient nos adversaires à
la capitulation. C'est une mauvaise lecture politique et un déni de la réalité.
Je milite pour une politique
de la décrispation et de la normalisation par le dialogue politique, dynamique
et sans compromission, ce qui bien évidemment n'exclut pas les moyens
démocratiques de manifestation.
Je suis un progressiste.
Comme tel, je considère que nous devons mettre un terme à la spirale de la
violence dans lequel le parti au pouvoir veut nous contraindre, car il s'y
plaît et y excelle. Je milite pour mettre fin à l'instabilité chronique que
connaît notre pays depuis près de vingt ans. Au pouvoir je la condamnais. Dans
l'opposition je la décrie toujours. Je suis constant. Au pouvoir comme dans
l'opposition.
Je suis convaincu que sans la
paix, la cohésion sociale et la stabilité politique, il n'y aura pas d'avenir
pour notre pays et nos enfants. C'est pourquoi j'ai moi-même fait le deuil des
traumatismes et frustrations que j'ai subi, avant, pendant et après la crise
postélectorale.
Je rêve d'une Côte d'Ivoire :
réconciliée, fraternelle, solidaire, prospère et démocratique, aux antipodes de
ce qui nous est servi par les tenants actuels du pouvoir et leur politique
d'exclusion, de rattrapage et de pillage planifié des ressources du pays.
Je veux défendre une vision
progressiste et moderniste de l'action politique. Vision où un parti politique
n'est pas la propriété d'un individu qu'on sert et à qui on remet « sa
chose » quand bon lui semble.
Non. Je suis contre la
« chosification » du FPI. Ce parti n'est pas une chose. C'est une
organisation politique qui selon ses statuts « rassemble en une union
volontaire, les femmes et les hommes épris de justice et de liberté... ».
Il faut éviter de réduire le
FPI à une dimension de chose car personne ne peut nier le rôle moteur de
l'ensemble de ses militantes et militants dans son rayonnement.
Pendant des années, tous,
nous avons supportés la réprobation générale, l'ostracisme, les pressions
familiales et tribales, toutes sortes de blessures physiques, morales et
psychologiques pour donner une assise au FPI, pour le faire grandir. C'est tout
cela qui a permis à Gbagbo d'accéder au pouvoir.
Ce pouvoir, pendant les 10
ans que nous l'avons exercé, je n'en ai strictement tiré aucun avantage ou
bénéfice personnel. Ce n'était d'ailleurs pas l'objectif de mon engagement dans
ce parti. Il était plus noble : paix, justice, liberté et démocratie.
L'aura, la stature et la
dimension politique de Gbagbo est le fruit de notre lutte commune, de notre
sueur et de notre sang.
Il faut donc éviter de nous
frustrer davantage en cherchant à réduire le FPI à un « patrimoine
privé » avec « ses propriétaires », ou à une secte avec ses
gourous, d'une part, et avec ses fidèles ou ses adeptes, d'autres part. Cette
attitude est rétrograde.
Gbagbo, qui a atteint la
dimension d'un Mandela, n'a pas et n'a plus besoin d'être président du FPI. Ce
n'est ni le titre, ni la notoriété qui libèrent ; sinon il ne serait pas en
détention à l'heure actuelle et Jean Pierre Bemba serait libre depuis 2011.
Quand un père de famille est en prison, ce sont ses enfants qui s'organisent
pour travailler à obtenir sa libération. C'est dire qu'on a toujours besoin
d'un plus petit que soi.
Comportons-nous en bons
disciples. Le bon disciple, ce n'est pas seulement celui qui se contente de
garder le temple, c'est aussi et surtout celui qui a su assimiler et féconder
la pensée d'un grand maître, afin de lui donner un rayonnement encore plus
grand. C'est la trajectoire qui devrait être celle de toutes celles et tous
ceux qui se réclament véritablement de Gbagbo.
Mon profond intérêt et amour
pour mon pays m'interdit de faire preuve d'inconscience et d'irresponsabilité
politiques. Les insultes et autres vilains comportements n'y changeront rien.
Pas plus que le besoin quasi existentiel qui hante certains de récolter des
« like » sur Facebook par leur postures volontairement populistes.
Quand l'heure est grave il
faut avoir le courage de dire, sans faux-fuyant, ce qui ne vas pas. Il ne faut
pas craindre la stigmatisation. Il faut faire preuve de courage. C'est cela la
qualité du leader. Le suivisme moutonnier corrompt et bien souvent finit pas
dénaturer l'être.
2020, c'est déjà demain. Il n'est cependant pas
encore trop tard pour que nous adoptions les bonnes attitudes si nous
souhaitons vraiment que les choses évoluent en notre faveur.
Jean Bonin Kouadio*
Titre original :
« Leçons d'un débat ».
EN
MARAUDE DANS LE WEB
Sous
cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui
ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et
des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «
crise ivoirienne ».
Source : Page Facebook de William Atéby 13 janvier
2017
*Jean Bonin Kouadio est « SGA du FPI (tendance Pascal Affi
N'Guessan) chargé de la Communication et du Marketing Politique ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire