jeudi 19 janvier 2017

LA CRISE DU FPI VUE DE L'INTERIEUR (SUITE)

Jean Bonin Kouadio : « Un parti politique n'est pas la propriété d'un individu qu'on sert et à qui on remet sa "chose" quand bon lui semble ».

JEAN BONIN KOUADIO 
Convié à un débat politique hier (12 janvier) par Matt De Bouabre, j'avais pour contradicteur Dakouri Roger, sympathisant du FPI et réfugié politique à Accra.
L'enseignement principal que je tire de ce débat, c'est que la crise de positionnement au FPI ne prendra pas fin tant que certains parmi nous n'auront pas fait le deuil du traumatisme subi lors de la perte du pouvoir en 2011 et des effets collatéraux qui en ont résulté.
Pourtant il faudra nécessairement faire ce deuil pour pouvoir rebondir et être utile à toute la nation et non pas seulement aux « pro-Gbagbo ».
L'absence de deuil ne permet pas de contenir ses ressentiments et autres mauvais sentiments. Si tant est que le FPI aspire à reconquérir le pouvoir d'Etat dans l'intérêt de tous les Ivoiriens, nombreux parmi nous devront, sans renier les acquis d'hier, être capables de se projeter vers l'avenir, sans rancœur et sans rancune.
Certains parmi nous ont tellement été habitués à vivre sous l'ombre et l'autorité du Pdt Gbagbo qu'ils ont perdu tout esprit critique et autocritique, tout sens des réalités et toute capacité personnelle d'initiative. C'est tragique.
Tragique car c'est un signe de faillite, d'impuissance et de résignation. Tragique car certains n'arrivent toujours pas à comprendre que Gbagbo est en prison et qu'il a plus besoin de nous que nous n'avons besoin de lui.
Il n'appartient pas à Gbagbo, depuis sa cellule, de mener le combat pour la libération de la Côte d'Ivoire et la sienne. Non, Gbagbo a besoin d'un parti fort, animé par les militants aguerris et déterminés.
Il faut sortir de la logique de l'exclusion virtuelle tout azimut, de la radiation puérile à tour de bras de ceux qui pensent différemment. C'est cela le sens de la pluralité d'opinion, une des raisons de la création du FPI.
Il faut sortir de la logique du « Gbagbo ou rien » pour le « Gbagbo et nous ». Il ne faut pas confondre le désir de la majorité des Ivoiriens, y compris de certains militants du RDR ou du PDCI, de voir Gbagbo libre avec une posture de « Gbagbo ou rien » ; car « Gbagbo ou rien » n'est pas un projet politique, c'est juste un slogan.
Ce slogan est pour certains l'expression d'une douleur, pour beaucoup une hypocrisie, un fonds de commerce, et pour d'autres « une arme » pour combattre Affi.
« Gbagbo et la Côte d'Ivoire » a un sens. Il est un projet politique. Oui, en même temps que nous luttons, chacun, avec sa méthode, pour la libération de la Côte d'Ivoire et de tous ses filles et fils, nous devons parallèlement nous battre pour l'ensemble des Ivoiriens qui souffrent et qui aspirent à des changements fondamentaux dans notre pays et dans leur condition de vie. C'est cela se préoccuper du peuple.
L'intérêt du peuple, c'est la libération de tous les détenus, le retour des exilés... Bref, la normalisation de la vie sociale et politique. Cela, dans la situation actuelle de notre pays, nécessité des compromis.
Or certains parmi nous assimilent ce compromis qui conduit au dialogue politique et républicain a de la traîtrise, de la lâcheté, de la compromission. Ils ont tort. Ils sont excessivement émotifs.
Comme dans toutes situations de stress post-traumatique, ceux-ci développent des tendances à l'affrontement et quelques fois même à des démarches quasi suicidaires en refusant et en boycottant tout.
La posture du non à tout, c'est le refus du dialogue politique, du repositionnement du FPI vis-à-vis de la communauté nationale et internationale, des élections, du retour des exilés et des réfugiés, de la décrispation et de l'apaisement de l'environnement sociopolitique, de la réconciliation nationale et interne au FPI...
Mon point de vue est que nous devons accepter de regarder la réalité en face, de tirer les enseignements de la crise, faire preuve de sagesse, de lucidité et de discernement pour définir une stratégie pertinente, efficiente et efficace pour la suite du combat politique.
Aveuglés par la colère et le ressentiment, le camp ou le Front du refus veut en découdre. Ses tenants croient que la situation sociale est suffisamment mûre pour une révolution sociale, pour des manifestations de masse qui contraindraient nos adversaires à la capitulation. C'est une mauvaise lecture politique et un déni de la réalité.
Je milite pour une politique de la décrispation et de la normalisation par le dialogue politique, dynamique et sans compromission, ce qui bien évidemment n'exclut pas les moyens démocratiques de manifestation.
Je suis un progressiste. Comme tel, je considère que nous devons mettre un terme à la spirale de la violence dans lequel le parti au pouvoir veut nous contraindre, car il s'y plaît et y excelle. Je milite pour mettre fin à l'instabilité chronique que connaît notre pays depuis près de vingt ans. Au pouvoir je la condamnais. Dans l'opposition je la décrie toujours. Je suis constant. Au pouvoir comme dans l'opposition.
Je suis convaincu que sans la paix, la cohésion sociale et la stabilité politique, il n'y aura pas d'avenir pour notre pays et nos enfants. C'est pourquoi j'ai moi-même fait le deuil des traumatismes et frustrations que j'ai subi, avant, pendant et après la crise postélectorale.
Je rêve d'une Côte d'Ivoire : réconciliée, fraternelle, solidaire, prospère et démocratique, aux antipodes de ce qui nous est servi par les tenants actuels du pouvoir et leur politique d'exclusion, de rattrapage et de pillage planifié des ressources du pays.
Je veux défendre une vision progressiste et moderniste de l'action politique. Vision où un parti politique n'est pas la propriété d'un individu qu'on sert et à qui on remet « sa chose » quand bon lui semble.
Non. Je suis contre la « chosification » du FPI. Ce parti n'est pas une chose. C'est une organisation politique qui selon ses statuts « rassemble en une union volontaire, les femmes et les hommes épris de justice et de liberté... ».
Il faut éviter de réduire le FPI à une dimension de chose car personne ne peut nier le rôle moteur de l'ensemble de ses militantes et militants dans son rayonnement.
Pendant des années, tous, nous avons supportés la réprobation générale, l'ostracisme, les pressions familiales et tribales, toutes sortes de blessures physiques, morales et psychologiques pour donner une assise au FPI, pour le faire grandir. C'est tout cela qui a permis à Gbagbo d'accéder au pouvoir.
Ce pouvoir, pendant les 10 ans que nous l'avons exercé, je n'en ai strictement tiré aucun avantage ou bénéfice personnel. Ce n'était d'ailleurs pas l'objectif de mon engagement dans ce parti. Il était plus noble : paix, justice, liberté et démocratie.
L'aura, la stature et la dimension politique de Gbagbo est le fruit de notre lutte commune, de notre sueur et de notre sang.
Il faut donc éviter de nous frustrer davantage en cherchant à réduire le FPI à un « patrimoine privé » avec « ses propriétaires », ou à une secte avec ses gourous, d'une part, et avec ses fidèles ou ses adeptes, d'autres part. Cette attitude est rétrograde.
Gbagbo, qui a atteint la dimension d'un Mandela, n'a pas et n'a plus besoin d'être président du FPI. Ce n'est ni le titre, ni la notoriété qui libèrent ; sinon il ne serait pas en détention à l'heure actuelle et Jean Pierre Bemba serait libre depuis 2011. Quand un père de famille est en prison, ce sont ses enfants qui s'organisent pour travailler à obtenir sa libération. C'est dire qu'on a toujours besoin d'un plus petit que soi.
Comportons-nous en bons disciples. Le bon disciple, ce n'est pas seulement celui qui se contente de garder le temple, c'est aussi et surtout celui qui a su assimiler et féconder la pensée d'un grand maître, afin de lui donner un rayonnement encore plus grand. C'est la trajectoire qui devrait être celle de toutes celles et tous ceux qui se réclament véritablement de Gbagbo.
Mon profond intérêt et amour pour mon pays m'interdit de faire preuve d'inconscience et d'irresponsabilité politiques. Les insultes et autres vilains comportements n'y changeront rien. Pas plus que le besoin quasi existentiel qui hante certains de récolter des « like » sur Facebook par leur postures volontairement populistes.
Quand l'heure est grave il faut avoir le courage de dire, sans faux-fuyant, ce qui ne vas pas. Il ne faut pas craindre la stigmatisation. Il faut faire preuve de courage. C'est cela la qualité du leader. Le suivisme moutonnier corrompt et bien souvent finit pas dénaturer l'être.
2020, c'est déjà demain. Il n'est cependant pas encore trop tard pour que nous adoptions les bonnes attitudes si nous souhaitons vraiment que les choses évoluent en notre faveur.

Jean Bonin Kouadio*
Titre original : « Leçons d'un débat ».


EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».


Source : Page Facebook de William Atéby 13 janvier 2017


*Jean Bonin Kouadio est « SGA du FPI (tendance Pascal Affi N'Guessan) chargé de la Communication et du Marketing Politique ».

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