« Un pays profondément divisé, qui ne tient que par un appui militaire [français] renforcé et une débauche d'aide financière sans grand contrôle ».
Michel Galy |
Plus de cinq ans après
l'intervention franco-onusienne en Côte d'ivoire (avril 2011), la mutinerie
militaire vient rappeler à quel point le pays est divisé et fragile. Coup
d’État, mouvement corporatiste, mutinerie ? Un peu de tout cela à la fois, à
ceci près que comme des récentes émeutes de Bouaké – à caractère plus civil et
plus social (mouvement contre la cherté de la vie, notamment la hausse
exponentielle des factures d’électricité) –, tout se passe à l’intérieur du
camp Ouattara, l'actuel chef de l’État.
Les mutins, qui ont pris sans
coup férir et sans mort d'hommes les principales villes du pays, y compris une
partie d'Abidjan, réclament beaucoup, sans doute pour avoir moins : une villa
et une « prime Ecomog » de 5 millions de francs CFA pour chaque soldat, soit en
tout 45 milliards de francs CFA... pour le moment ! Et quelques avantages annexes
: des loyers gratuits, un grade d'adjudant pour tous... Cette armée mexicaine
est en principe dirigée par les ex « com-zones » de la rébellion pro-Ouattara,
souvent analphabètes et toujours plus intéressés par les prébendes et les
trafics (à tel point que jusqu'ici la partie nord du pays est rackettée par eux
et non soumise à l'autorité de l'Etat) que par le bien-être de leur
soldatesque.
Le secret de polichinelle
sécuritaire est hélas bien connu : la Côte d’Ivoire n'a plus d’armée. Ceux qui
ont été formés (les ex-FDS de l'armée officielle jusqu'en 2011) sont désarmés,
ainsi d’ailleurs que les policiers et les gendarmes, dont le régime se méfie,
en fonction de leur fidélité supposée au président Laurent Gbagbo (aujourd’hui
incarcéré à La Haye, et se défendant dans un interminable et controversé procès
à la CPI).
On l'a bien vu pendant la
mutinerie de Bouaké : à la fois dans l'expression et dans les pratiques, les
anciens rebelles sont bien issus du lumpen
proletariat à la fois urbain, du Nord ivoirien et des pays sahéliens, en
particulier du Burkina. Cette « mouvance mandingue » vient à la fois des
déshérités urbains de la capitale, des sans terre du Nord, de jeunes aventureux
sahéliens, parfois de délinquants ou marginaux de la sous-région : rien ne
les incite, de par leurs itinéraires chaotiques, une fois les coups de feu
interrompus, à former une armée régulière et disciplinée.
L’intervention militaire française,
en 2011, a été facilitée par un consensus mou, en France, entre une droite interventionniste et une gauche mollétiste se
reflétant dans de nombreux médias « embarqués », comme disait Daniel
Schneidermann dès 2004, dans un soutien à nos armes sans grand recul critique,
et sans remise en cause rétrospective, comme cela a été le cas sur d'autres
champs de bataille, comme l'Irak ou la Libye.
Or les différentes « élections »,
aussi partielles que partiales, auraient dû alerter de longue date sur la
fragilité d'un régime, d'un pays profondément divisé, qui ne tient que par un
appui militaire renforcé et une débauche d'aide financière sans grand contrôle.
« Gbagbo kafissa ! » disent ainsi spontanément les vendeuses d'Adjamé, quartier
d'Abidjan pro Ouattara : « c'était mieux » sous le régime précédent, tellement
le petit peuple s'est appauvri. Car quelle autre explication qu'une corruption
massive de la Famille et des affidés, entre une croissance à deux chiffres
basée sur l'appui extérieur ou un endettement faramineux, et le niveau de vie
dégradé des populations dont les mutins, ex rebelles, ne sont au fond qu'un
exemple militaire ?
« Qui t'a fait Roi ? » demandent
explicitement les mutins ? Les 8500 ex-rebelles ne sont qu'une partie émergée
des 12500 combattants, dont des chômeurs et des démobilisés précités qui,
partis du Burkina et du Nord de la Côte d'Ivoire, ont porté le « pouvoir dyoula
» (Malinkés de Ouattara qui, en guise de « rattrapage ethnique » (sic),
trustent l'appareil d'Etat, accessoirement Sénoufo de son chef de guerre,
Guillaume Soro). Ils ont été 20000 à demander les primes de démobilisation, et
non formés, quelque part extérieurs à la nation ivoirienne, ils attendent du
pouvoir actuel le bénéfice de l'insurrection : leur solde, en tous sens, de
leur mercenariat.
Mais d’autres éléments permettent
à l'observateur impartial de déconstruire aisément l'image d'« éléphant
d'Afrique » d'une Côte d'Ivoire pacifiée et en pleine croissance, qu'entretient
à grands frais le régime, via de grandes agences de communication africaines et
françaises, comme la fameuse « Image7 » à Paris.
Que font les 300 prisonniers
politiques dans ce tableau à la Potemkine, pourrissant à petit feu, depuis plus
de 5 ans sans jugement ? Amnesty international a aussi dénombré 200 « disparus
», dont on se doute qu'ils ne réapparaîtront pas vivants de l'enfer des geôles
et camps du régime... D'anciens ministres comme Assoa Adou ou le professeur de
droit Hubert Oulaye subissent un emprisonnement sans cause, prisonniers
politiques dans une situation indigne de leur condition et de leur âge.
Rappelons que le fils de l'ancien président, Michel Gbagbo, né à Lyon et de
nationalité française se voit interdire de revenir sur le territoire national,
sans que l'ambassade à Abidjan ou le gouvernement depuis Paris fassent
grand-chose pour le défendre...
Dans l’intérêt même du régime,
ces graves atteintes aux droits de l'Homme auraient dû être réglées depuis
longtemps. C'est cette conduite de rancœur – voire de vengeance ad hominem qui surprend certains
diplomates français qui n'hésitent pas à user de la métaphore de la « marionnette
qui a échappé à son créateur » – et qui sans plus de contrôle, mène le pays à
l'abîme...
Qui peut prétendre encore voir M.
Affi N'Guesssan, même s'il a récupéré le sigle FPI grâce au pouvoir actuel
comme « chef de l'opposition de Sa Majesté » ? Tous les observateurs ont vu
l'ancien président du FPI et ancien premier ministre de Gbagbo se rallier au
régime, « retourné » lors de la visite de François Hollande en juillet 2014...
mais laissant derrière lui l'essentiel des cadres et des électeurs d'un FPI
retourné à une existence semi officielle ; réalisant à peine 9% des 15%
d’électeurs s'étant déplacés aux dernières élections, « M. 1% », ainsi qu'il a
été cruellement brocardé ne représente en rien opposition et encore moins le «
Front populaire ivoirien » !
Et qui peut d'ailleurs parler
d'élections libres et de légitimité constitutionnelle ? Que ce soit au moment
des présidentielles ou des législatives récentes, le taux d'abstention a tourné
en réalité, au-delà des palinodies d'une CEI (qui est tout sauf « indépendante
»), entre 80 et 85%... Ouattara et son parti, le RDR, pourrait espérer
maîtriser, en fonction de la composition socio-ethnique du pays, environ un
tiers de l'électorat, virtuellement plus en s'appuyant sur le PDCI de son
allié, Henri Konan Bédié.
La réalité est tout autre :
traumatisés par la guerre civile de 2011, nombre d'électeurs se réfugient dans
une prudente abstention ; d'autres sont des « déçus du ouattarisme » : dans son
électorat « dyoula », les plus défavorisés subissent de plein fouet le
renchérissement de la vie, qui expliquent les émeutes civiles de Bouaké
(juillet 2016), fief de la rébellion.
Mais beaucoup plus suivent les
consignes d'abstention du FPI « canal historique » qui a élu (2015) Laurent
Gbagbo président in abstentia et qui est
dirigé au quotidien par le fidèle des fidèles, Aboudramane Sangaré : on peut
considérer que ce parti mobilise aujourd'hui bien plus de la majorité des
citoyens, peut être en cas d'élections libres et de par ses alliances
politiques, près des deux tiers. Pourtant ce puissant parti d'opposition
politique semble parfois déconnecté des luttes sociales et bien plus des
revendications miliciennes ou militaires, d'autant que les unes et les autres
touchent davantage l'électorat naturel de M. Ouattara et que la répression des
militants et de la presse est impitoyable.
Ainsi faute d’alternance possible
par la voie des urnes, la rivalité sous-jacente entre Ouattara et Soro
mène-t-elle le pays vers des rives dangereuses, rappelant la mutinerie anti Bédié
de décembre 1999 qui a porté le général Guéi au pouvoir, puis à sa triste fin.
Que le régime paie à prix d'or le « prix du sang » (15000 Ivoiriens civils tués
au bas mot par les forces pro-Ouattara selon les fuites de la commission
Dialogue, vérité et réconciliation), les mutins qui l'ont menée au pouvoir –
alors les démobilisés – et les autres « corps habillés », les fonctionnaires
récemment en grève et les nordistes appauvris voudront aussi leur part de
gâteau...
Mais peut être va-ton vers une
sorte de « nuit des longs couteaux », un règlement de comptes internes écartant
les contestataires pro-Soro, violences où le corps expéditionnaire français
aurait une position délicate, mais sans doute militairement décisive ?
Pendant les quatre mois de fin de
présidence française, une sorte de « fenêtre » de transition s'est ouverte :
mais si on voit mal Hollande faire tirer sur les mutins ou civils, on sait bien
que sans le soutien perinde ad cadaver
des fameuses « Forces françaises de Côte d’Ivoire » (FFCI, sic !), le régime
Ouattara ne tiendrait pas longtemps ; la capitale et le sud lui étant
majoritairement hostile.
Le pays est bien encore cette « poudrière
» latente, comme pendant la décennie précédente. Ainsi le problème des 30%
d'étrangers et de leur droit aux terres ou au vote est loin d'être réglé et
toujours explosif. Seules les apparences sont sauves : celles d'un régime « as
if »..., « comme si », diraient les psychologues. Un « Simulacre » de pouvoir,
pour les disciples de Baudrillard qui ne tient que par la force militaire,
aujourd’hui bien divisée, et par la violence symbolique de la Françafrique
s'exerçant notamment par des illusions médiatiques savamment entretenues.
Certes, pour reprendre une terminologie fonctionnaliste et
modérée, il y a bien d’autres « Etats fragiles » en Afrique subsaharienne...
Pour autant, la fragile Côte d'Ivoire pourrait dramatiquement se révéler un
archétype d'« Etat fantoche », au risque de ses soutiens extérieurs.
Michel Galy
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l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec
l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par
leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des
causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source :
Mediapart 28 Janvier 2017
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