mardi 30 août 2016

QU’EST-CE DONC QUE LA CULTURE ?


A PROPOS DE LA MORT ANNONCEE D’UNE LIBRAIRIE ABIDJANAISE

Le 17 août 2016, tôt le matin, grand émoi à la Librairie Arte’Lettres (située à la Riviera-Golf dans le Centre Cash-Center Riviera, ancien Leader Price) où deux agents des Impôts viennent de remettre à la directrice, Mme Jacqueline Siréra-Boni, un avis de fermeture de la librairie pour défaut de règlement des arriérés d’impôts dans les 72 heures qui suivent.
A partir de là, Mme Siréra-Boni et les amis d’Arte’Lettres et, bien plus encore, les amis et militants pour la promotion des Lettres et de la Culture, lancent l’alerte. La Librairie Arte’Lettres ne doit pas être fermée ! De quel défaut de règlement des arriérés d’impôts est-il question ?
Avant tout, Mme Jacqueline Siréra-Boni tient à préciser qu’elle n’a jamais remis en question le principe général de la responsabilité citoyenne de payer les impôts. Cependant, en la circonstance et selon elle, le problème mérite d’être traité en 2 temps : le problème des arriérés d’Arte’Lettres et le problème des impôts et taxes douanières dans le secteur des opérateurs du Livre et de la Culture en général.
Pour le problème des arriérés d’Arte’Lettres, faisons un peu d’histoire. Cela peut permettre de mieux comprendre le deuxième aspect de la question ci-dessus annoncé. La Librairie Arte’Lettres en 2009-2010 avait déjà eu une inspection fiscale faite dans les normes au sein même de la librairie. Cependant, dès 2011 -- doit-on dire que décision n’est pas toujours raison ? -- elle a un  redressement fiscal qui, après une demande de remise gracieuse adressée à M. Abinan, alors DG des impôts, de 125 millions est passé à 11 387 165 F. C’était encore un véritable coup de massue porté à la librairie d’autant plus que le dur contexte socio-politique et économique était très asphyxiant. Cependant, jusqu’à cette date fatidique du 17 août dernier, sous la contrainte de raisons très pratiques, elle a pu éviter le pire avec quelques très difficiles versements et la signature d’un protocole de règlement. Or vouloir n’est pas pouvoir, surtout quand il s’agit de l’activité d’un libraire et vu les priorités d’ordre matériel des populations. Quoique très angoissée par cette épée de Damoclès, Mme Siréra-Boni gardait l’espoir de jours meilleurs, l’essentiel pour elle étant d’être toujours à jour des impôts mensuels et annuels malgré leur augmentation. L’histoire est dite ! Il semblerait que Mme Siréra-Boni, s’étant rendue aux impôts dès le 18 août dernier et ayant été reçue avec attention et considération, ait pu obtenir un délai et même le conseil rassurant de relancer un nouveau dossier pour l’annulation de cette dette. On peut  penser que les difficultés de cette activité et la sincérité de Mme Siréra-Boni ont été pris en compte.
Abordons, maintenant, le 2° aspect du problème qui, en fait, est en lien direct avec le premier et, surtout, la conséquence d’une crise de la Culture et de l’absence d’une véritable politique nationale du Livre et de la Culture. Pour qui connaît la Librairie Arte’Lettres et les propos et articles de Mme Siréra-Boni, la solution incontournable pour comprendre, aider à résoudre et servir la Côte d’Ivoire sinon l’Afrique toute entière, c’est de traiter la crise de la Culture qui sévit encore plus gravement chez nous qu’ailleurs dans le monde (la mondialisation construite sur les forfaitures de l’argent et de sa  puissance deshumanisante en est la conséquence). En effet, chez nous elle intervient sur les ruines avilissantes et asservissantes de la déculturation, conséquences de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. Qu’est-ce donc que la Culture ? Est-elle ce qui nous distrait, ce qui plaît à nos yeux et qui peut apporter du charme à nos vies ? Non, cette vision est bien trop dangereusement réductive. Le mot Culture recouvre toutes les potentialités créatives symboliques de la spiritualité humaine susceptibles d’assurer la cohésion sociale; spiritualité et socialité sont les 2 marqueurs-conducteurs qui font l’Homme et notre Humanité devenue naturellement plurielle. Elle doit  être intégrée dans la vie de tous de façon que tous participent aux apports sociaux qui en dépendent. Or, vu son rôle sociétal majeur, elle peut être dévoyée par ceux qui avec une posture d’homme de culture servent des intérêts égocentriques de domination. Ainsi avons-nous subi déculturation et acculturation.
Par conséquent, tous les opérateurs qui travaillent à réhabiliter la culture en général et  le patrimoine de la culture africaine -- capital symbolique dont la mémoire et la réactualisation sont encore capables de développer une efficience créative adaptée -- devraient être soutenus par l’Etat et bénéficier de la défiscalisation (cf. : les Accords de Florence et de Nairobi / cf. : le PAARI de l’UMOA, non appliqués chez nous).
C’est ainsi dans certains pays, car c’est «avec cette  conscience, avec ce ciment que l’on pourra construire les fondations solides de notre maison, la Côte d’Ivoire où des maisons de la Cité panafricaine » dit Mme Siréra-Boni. Sur ce sujet, il n’est pas inutile de dire qu’adopter une politique nationale du Livre et de la Culture, c’est passer, selon le poète Massongo Massongo, de « L’abîme à la  cime ». Dans cette ascension nous avons compris qu’il y a deux versants possibles, l’un est illusoire et même perfide, c’est celui qu’empruntent par convenance une certaine intelligentsia avec ce qu’un célèbre journaliste appelle leur « quincaillerie argumentaire », vrai cheval de Troie et faux clichés prétendument traditionnels combinés à la culture de la mondialisation avec son arsenal, le libéralisme économique. L’autre versant est celui d’un engagement éclairé et purificateur, difficile à vivre dans le contexte général actuel, qui permettra à nos populations de vivre « contagieusement » et à leur avantage sur le chemin du renouveau et de la renaissance africaine pour l’émergence d’un citoyen nouveau respecté et non plus assisté. Aujourd’hui, avec la loi sur l’industrie du livre en Côte d’Ivoire, promulguée le 20 juillet 2015 qui constitue un mépris ahurissant aux dépens de la professionnalisation des métiers du livre et, avec toutes les dispositions fiscales et douanières aggravantes, nous sommes encore sur les « sentiers borgnes » tellement dénoncés par Amin Maalouf.
A quand la défiscalisation, à quand la suppression de taxes mortifères ? Des décrets d’application, apprend-on devraient arranger ça ; or, qu’est-ce qu’un décret par rapport à une loi ? Mais, une fois que les critères professionnels des métiers du livre seront ré-enchantés, un Ordre National des professionnels du livre pourra être mis en place pour que les Droits et les Devoirs dus à la Nation et, donc, à l’Etat qui les assistera enfin, soient respectés scrupuleusement. La Culture sera au cœur de la Cité capable de soigner, avec les Outils et Appareils complémentaires, bien sûr, sans lesquels cette Ascension rédemptrice reste utopique, la crise sociétale qui endeuille l’Afrique aujourd’hui encore.
Jacqueline Siréra-Boni (20 août 2016)
Titre original : « Avis de fermeture de la librairie Arte’Lettres. La part de vérité de Mme Jacqueline Siréra-Boni ».


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Source : Le Nouveau Courrier 24 Août 2016

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