A
PROPOS DE LA MORT ANNONCEE D’UNE LIBRAIRIE ABIDJANAISE
Le 17 août 2016, tôt le matin, grand émoi à la Librairie
Arte’Lettres (située à la Riviera-Golf dans le Centre Cash-Center Riviera,
ancien Leader Price) où deux agents des Impôts viennent de remettre à la
directrice, Mme Jacqueline Siréra-Boni, un avis de fermeture de la
librairie pour défaut de règlement des arriérés d’impôts dans les 72 heures qui
suivent.
A partir de là, Mme Siréra-Boni et les amis d’Arte’Lettres
et, bien plus encore, les amis et militants pour la promotion des Lettres et de
la Culture, lancent l’alerte. La Librairie Arte’Lettres ne doit pas être fermée
! De quel défaut de règlement des arriérés d’impôts est-il question ?
Avant tout, Mme Jacqueline Siréra-Boni tient à
préciser qu’elle n’a jamais remis en question le principe général de la
responsabilité citoyenne de payer les impôts. Cependant, en la circonstance et
selon elle, le problème mérite d’être traité en 2 temps : le problème
des arriérés d’Arte’Lettres et le problème des impôts et taxes douanières
dans le secteur des opérateurs du Livre et de la Culture en général.
Pour le problème des arriérés d’Arte’Lettres, faisons un
peu d’histoire. Cela peut permettre de mieux comprendre le deuxième aspect de
la question ci-dessus annoncé. La Librairie Arte’Lettres en 2009-2010 avait
déjà eu une inspection fiscale faite dans les normes au sein même de la
librairie. Cependant, dès 2011 -- doit-on dire que décision n’est pas toujours
raison ? -- elle a un redressement fiscal qui, après une demande de
remise gracieuse adressée à M. Abinan, alors DG des impôts, de 125 millions est
passé à 11 387 165 F. C’était encore un véritable coup de massue porté à la
librairie d’autant plus que le dur contexte socio-politique et économique était
très asphyxiant. Cependant, jusqu’à cette date fatidique du 17 août dernier,
sous la contrainte de raisons très pratiques, elle a pu éviter le pire avec
quelques très difficiles versements et la signature d’un protocole de
règlement. Or vouloir n’est pas pouvoir, surtout quand il s’agit de
l’activité d’un libraire et vu les priorités d’ordre matériel des populations.
Quoique très angoissée par cette épée de Damoclès, Mme Siréra-Boni gardait
l’espoir de jours meilleurs, l’essentiel pour elle étant d’être toujours à jour
des impôts mensuels et annuels malgré leur augmentation. L’histoire est dite !
Il semblerait que Mme Siréra-Boni, s’étant rendue aux impôts dès le 18 août
dernier et ayant été reçue avec attention et considération, ait pu obtenir
un délai et même le conseil rassurant de relancer un nouveau dossier pour l’annulation
de cette dette. On peut penser que les difficultés de cette activité et
la sincérité de Mme Siréra-Boni ont été pris en compte.
Abordons, maintenant, le 2° aspect du problème qui, en
fait, est en lien direct avec le premier et, surtout, la conséquence d’une
crise de la Culture et de l’absence d’une véritable politique nationale du
Livre et de la Culture. Pour qui connaît la Librairie Arte’Lettres et les
propos et articles de Mme Siréra-Boni, la solution incontournable pour
comprendre, aider à résoudre et servir la Côte d’Ivoire sinon l’Afrique toute
entière, c’est de traiter la crise de la Culture qui sévit encore plus
gravement chez nous qu’ailleurs dans le monde (la mondialisation construite sur
les forfaitures de l’argent et de sa puissance deshumanisante en est la
conséquence). En effet, chez nous elle intervient sur les ruines avilissantes
et asservissantes de la déculturation, conséquences de l’histoire de
l’esclavage et de la colonisation. Qu’est-ce donc que la Culture ? Est-elle ce
qui nous distrait, ce qui plaît à nos yeux et qui peut apporter du charme à nos
vies ? Non, cette vision est bien trop dangereusement réductive. Le mot Culture
recouvre toutes les potentialités créatives symboliques de la spiritualité
humaine susceptibles d’assurer la cohésion sociale; spiritualité et socialité
sont les 2 marqueurs-conducteurs qui font l’Homme et notre Humanité devenue
naturellement plurielle. Elle doit être intégrée dans la vie de tous de
façon que tous participent aux apports sociaux qui en dépendent. Or, vu son
rôle sociétal majeur, elle peut être dévoyée par ceux qui avec une posture
d’homme de culture servent des intérêts égocentriques de domination. Ainsi
avons-nous subi déculturation et acculturation.
Par conséquent, tous les opérateurs qui travaillent à
réhabiliter la culture en général et le patrimoine de la culture
africaine -- capital symbolique dont la mémoire et la réactualisation sont
encore capables de développer une efficience créative adaptée -- devraient être
soutenus par l’Etat et bénéficier de la défiscalisation (cf. : les Accords
de Florence et de Nairobi / cf. : le PAARI de l’UMOA, non appliqués chez
nous).
C’est ainsi dans certains pays, car c’est «avec cette
conscience, avec ce ciment que l’on pourra construire les fondations solides de
notre maison, la Côte d’Ivoire où des maisons de la Cité panafricaine » dit Mme
Siréra-Boni. Sur ce sujet, il n’est pas inutile de dire qu’adopter une
politique nationale du Livre et de la Culture, c’est passer, selon le poète
Massongo Massongo, de « L’abîme à la cime ». Dans cette ascension nous
avons compris qu’il y a deux versants possibles, l’un est illusoire et même
perfide, c’est celui qu’empruntent par convenance une certaine intelligentsia
avec ce qu’un célèbre journaliste appelle leur « quincaillerie argumentaire »,
vrai cheval de Troie et faux clichés prétendument traditionnels combinés à la
culture de la mondialisation avec son arsenal, le libéralisme économique.
L’autre versant est celui d’un engagement éclairé et purificateur, difficile à
vivre dans le contexte général actuel, qui permettra à nos populations de
vivre « contagieusement » et à leur avantage sur le chemin du renouveau et de
la renaissance africaine pour l’émergence d’un citoyen nouveau respecté et non
plus assisté. Aujourd’hui, avec la loi sur l’industrie du livre en Côte
d’Ivoire, promulguée le 20 juillet 2015 qui constitue un mépris ahurissant
aux dépens de la professionnalisation des métiers du livre et, avec
toutes les dispositions fiscales et douanières aggravantes, nous sommes
encore sur les « sentiers borgnes » tellement dénoncés par Amin Maalouf.
A quand la défiscalisation, à quand la suppression de taxes
mortifères ? Des décrets d’application, apprend-on devraient arranger ça ;
or, qu’est-ce qu’un décret par rapport à une loi ? Mais, une fois que les
critères professionnels des métiers du livre seront
ré-enchantés, un Ordre National des professionnels du livre
pourra être mis en place pour que les Droits et les Devoirs dus à la Nation et,
donc, à l’Etat qui les assistera enfin, soient respectés scrupuleusement. La
Culture sera au cœur de la Cité capable de soigner, avec les Outils et
Appareils complémentaires, bien sûr, sans lesquels cette Ascension rédemptrice
reste utopique, la crise sociétale qui endeuille l’Afrique aujourd’hui
encore.
Jacqueline Siréra-Boni (20 août
2016)
Titre
original : « Avis de fermeture de la librairie Arte’Lettres. La part
de vérité de Mme Jacqueline Siréra-Boni ».
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l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par
leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des
causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source :
Le Nouveau Courrier 24 Août 2016
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