jeudi 4 août 2016

« …choquer le peuple, le brutaliser, l’humilier et le maintenir dans un état psychologique de terreur et de fragilité pour ainsi le réduire à la dépendance. »

Le 9 novembre 2004, devant l'hôtel Ivoire, juste avant le massacre
« À 15 heures, les manifestants sont à moins de deux mètres des blindés français. Certains
jeunes s’amusent, par défi, à aller toucher le canon des chars. Ils sont acclamés. À la suite
d’un mouvement de foule plus important, l’ordre de tirer est donné. En une minute, les
soldats français brûlent 2000 cartouches. […] Des soldats, bien campés sur leurs jambes,
tirent en rafales. Certains au-dessus des têtes, d’autres à tir tendu, le fusil au niveau de la
poitrine. Ils tirent sans même la protection de leurs véhicules blindés, qui sont rangés en
rempart juste derrière eux… Apparemment les soldats savent qu’ils ne risquent pas de riposte. »
(Paul Moreira, « Les Nouvelles censures », Robert Laffont, 2007).
De quoi s'agit-il ? Il faut déjà dire qu’il y a une situation qui motive le titre ci-dessus. En fait, un ami m'a appelé hier du pays – un cadre de son état –. Il me dit : « je suis en train de regarder une émission sur France24 dans laquelle on débat du terrorisme. Quand il y a des guerres chez nous, ces gens-là disent que c'est le nord musulman qui se bat contre le sud chrétien. On vient de tuer un prête. Alors qu'est-ce qui se passe chez vous là-bas ? Quelle est ta compréhension de ces choses-là ? Ensuite, il ajoute, ici au pays, ils nous ont mis quelqu'un. Je me dis que personne n'est éternel. Dix ans, c'est long ; mais il faut tenir parce qu'il partira au bout de ses dix ans. Et que ce n’est pas la peine d’amener des jeunes à l’abattoir ».
Là, « je n'ai pas été surpris » parce que j'ai pu mesurer qu'il n'est pas le seul à penser ainsi parmi nos compatriotes – malgré là-aussi son niveau d'études et sa situation sociale –. Peut-être, est-ce ce statut social même qui lui permet de penser qu’il peut supporter dix ans de Ouattara. 
Je suis « … un peu choqué » parce que ce genre de raisonnement est répandu par certains de ceux-là mêmes qui doivent éveiller la conscience du peuple notamment de la jeunesse. Parce qu’on ne peut pas accepter de vivre longtemps une telle situation. 
Mais je réponds à sa question en affirmant que la violence ne peut être justifiée d’où qu’elle vienne et que de mon point de vue, les élites en Occident et spécifiquement en France, mènent des débats entre elles pour se positionner. Parce qu’elles ne débattent pas des causes du terrorisme. Elles ne veulent même pas en parler. Elles font de la surenchère pour distraire une opinion à qui elles veulent cacher la vérité… 
Sur la situation du pays, je lui ai dit qu’il y a chez nombre d’Ivoiriens comme une cécité parfois involontaire mais surtout une naïveté méthodique qui participe de ce qui nous a amenés là. Croire que le problème c’est seulement Ouattara, au lieu d’intégrer que ce qui se passe, est la manifestation d’un système rampant questionne. 
Parce qu’il m’est donné de penser qu’après Ouattara, les acteurs de l’impérialisme ont déjà prévu celui qu’ils vont mettre. Des deux qui sont en pole position, il y a un « ou » et il y a un « et ». Croire donc qu’après dix ans, on rendra la liberté aux Ivoiriens, m’a « … choqué ». Et je lui ai dit qu’il vaut mieux mourir à l’abattoir que mourir d’un mal de tête ou de toute autre pathologie en réalité bénigne – parce que le moindre comprimé thérapeutique n’est pas disponible. 
En mourant dans la rue, l’opinion saura au moins qu’on est morts pour quelque chose. Et que depuis, c’est au cours de ces six dernières années que nous voyons autant de gens décéder de « petites maladies » et de l’AVC, notamment des jeunes. Il y a donc de nombreuses morts à cause d’hôpitaux qui sont aujourd’hui des mouroirs par manque de fournitures médicales dû à une absence de volonté politique, de santé publique, comme dans d’autres domaines. Parce que le sort de l’école est également connu… La « mort gratuite » est donc plus que scandaleuse qu’une mort pour le combat sur une  cause  juste. 
Toujours, sur la situation du pays. Je lui ai donné l’exemple de l’Algérie pour ne pas aussi citer celui du Vietnam. Je lui ai dit que les gens ont décidé, dans ces pays-là, un moment, de mourir nombreux. Et la pression de l’opinion publique internationale a fait céder les oppresseurs. La liberté et l'indépendance qui en ont résulté dans ces pays, font qu'aujourd’hui la France  ne  peut  pas  faire  ce  qu’elle  veut  en  Algérie. 
En traumatisant le peuple de Côte d’Ivoire par une intervention militaire barbare, c’était pour choquer le peuple, le brutaliser, l’humilier et le maintenir dans un état psychologique de terreur et de fragilité pour ainsi le réduire à la dépendance. 
Mais là, on peut voir qu’ils ont échoué parce que ce peuple qui a intégré l’esprit de la démocratie et de la liberté, ne compte pas accepter de se laisser intimider indéfiniment. 
Après, l’ami me demande des nouvelles de La Haye. Je lui réponds que des choses se font. Mais c’est une situation nouvelle en Côte d’Ivoire qui contribuera aussi à accélérer une prise de décision politique qui a la clé de ce bourbier qu’ils ont créé. 
Alors l’ami me répond : « Ah ! Maintenant, il veut changer la Constitution ; je suis en train de réfléchir pour trouver comment mener la bataille ».
Je n'ai donc pas été surpris mais j'ai été un peu choqué. Il reste tout de même que l'opposition ivoirienne doit arrêter le spectacle de l'émiettement suicidaire. La question d'un Etat, à plus forte raison le sort de populations en souffrance, devant aller au-delà de question entre des individus.
On ne saurait forcer personne à l'union. Mais il est essentiel et responsable d'aller à l'unité avec tous ceux qui se réclament du progressisme, pour délivrer le peuple de Côte d'Ivoire. Après, il sera juste et admissible de revendiquer sa propre chapelle, une fois le pays recouvré.

Claude Koudou
Titre original : « A propos de mon pays, je n'ai pas été surpris mais je suis un peu choqué. »


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Source : CIVOX. NET 4 Août 2016

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