C'est finalement en se fondant sur
l'article permettant d'accuser un président de « crime de responsabilité »,
en l'occurrence sur la question des comptes de l'Etat, que l'assemblée a pu
mettre en place cette procédure. Ses raisons sont donc nettement plus
politiques qu'éthiques.
Cette destitution semble
donc fondée sur des raisons purement politiciennes, à la limite de la légalité ?
- C'est
d'ailleurs ce qu'a reproché ouvertement la présidente Dilma Rousseff au Sénat
qui l'interrogeait le 29 août. Evoquant un succès de la procédure de
destitution, elle a qualifié cette éventualité d'un « coup d'Etat
parlementaire ». Le cas échéant, elle a annoncé vouloir saisir le Tribunal
suprême fédéral brésilien, pour vérifier la légalité d'une telle démarche,
demandant à être jugée uniquement sur ce « crime de responsabilité ».
Elle a également profité de l'occasion
pour pointer du doigt un paradoxe: elle allait être condamnée dans ce procès
express par des hommes actuellement mis en examen pour corruption, alors même
que les procédures ouvertes contre eux sont au point mort.
Faut-il y voir une faille
dans la justice brésilienne ?
- Cela pose en
tout cas question quant à son fonctionnement. On note que là où les affaires
Lula ou Dilma Rousseff sont rapidement expédiées, d'autres responsables de
l'opposition s'en sortent mieux. Ainsi, le comportement
du juge Sérgio Moro avait posé problème lorsqu'il avait
ordonné aux forces de l'ordre de se rendre chez Lula à 6 heures du matin, sans
même lui avoir auparavant transmis une convocation… Il avait d'ailleurs été
suspendu de cette affaire par le Tribunal suprême fédéral.
Le rôle des médias peut aussi interroger.
Ils sont majoritairement dans l'opposition au Parti des Travailleurs (PT) de
Lula et Dilma Rousseff. Tant et si bien que même si toutes les mises en
examens et enquêtes sont connues, ce sont celles qui portent sur les cadres du
PT qui seront les plus médiatisées, entraînant une sorte de condamnation par
avance des personnes concernées.
Quel est le sentiment des
Brésiliens à propos de toute cette procédure de destitution ?
- A vrai dire,
il n'y avait pas vraiment d'attente particulière de la part des Brésiliens à
la veille de la décision, le dénouement de cette affaire étant relativement certain.
Ce phénomène s'était déjà retrouvé dans la première partie de l'année: les
manifestants étaient alors des Brésiliens qui soutenaient le PT ou d'autres
qui s'y opposaient.
Mais le reste était détaché de la
politique, comme désintéressé. C'est la tendance générale au Brésil : il y a
une lassitude qui s'est installée. Les Brésiliens ont tendance à replier sur
eux-mêmes et sur leurs problèmes, causés par la situation globale de crise
économique et politique.
L'héritage du Parti des
Travailleurs, au pouvoir depuis 2002, est-il remis en cause par le départ de
la présidente ?
- La nouvelle
majorité favorise l'équilibre budgétaire. Il va donc falloir couper dans les
dépenses, puisque la nouvelle majorité a réfuté l'idée d'une hausse de la
fiscalité émise par l'ancienne présidente.
Cela
représente des coupes probables dans les secteurs décrétés comme prioritaires
par les précédents gouvernements : les logements sociaux, les bourses
étudiantes, les aides sociales… On peut penser qu'il va y avoir une réelle
remise en cause des acquis sociaux défendus par Lula, puis Rousseff, depuis
l'arrivée au pouvoir du PT.
Mais une forme de résistance à cette
remise en cause est possible. Les anciens pauvres qui ont bénéficié des
politiques du PT ne vont pas laisser la nouvelle majorité supprimer toutes ces
mesures. Une autre partie de la population pourrait aussi s'y opposer : les
nouveaux étudiants, qui n'existaient pas il y a une dizaine d'années, qui sont
dotés de nouveaux outils théoriques et idéologiques et qui entrent aujourd'hui
en conflit avec les anciennes classes moyennes.
Dans ce contexte, quelles
sont les perspectives pour les élections à venir, d'abord les municipales
d'octobre puis les présidentielles de 2018 ?
- Les
municipales d'octobre vont donner le premier indice d'une probable érosion de
la participation, signe de la désaffection des Brésiliens pour le
politique. Plus largement, il faut rappeler que le système des partis
politiques est traditionnellement assez faible au Brésil, mis à part pour
l'élection présidentielle qui voit deux candidats s'opposer dans un second
tour.
Le schéma des
élections législatives, lui, est plus favorable à une dispersion des voix et
des partis (il y en a actuellement près de 25 dans les deux chambres). Ce
système rend nécessaire des coalitions et des arrangements ouvrant la porte à
toutes sortes d'abus.
Puisque le problème de la corruption
repose sur les institutions politiques elles-mêmes, leur réforme doit être au
cœur du programme des prochains candidats, notamment du PT. En 2018, cela sera
l'un des principaux enjeux de l'élection: une réforme réelle ou non des
institutions. Mais cela suppose déjà une remise sur les rails du PT, qui sort
évidemment affaibli de cette destitution. Il doit remobiliser son électorat,
qui, s'il est sociologiquement majoritaire au Brésil, est démoralisé et
désabusé.
L'expérience du PT au
pouvoir se solde-t-elle donc par un échec ?
- En fait,
Lula, arrivé au pouvoir en 2002, a pensé pouvoir faire l’économie d’une
réforme politique supposant d’affronter un puissant réseau de pouvoirs locaux
et particuliers. Pendant ses deux mandats, Lula a pu faire tourner la machine
politique dans la mesure où la croissance était au rendez-vous, portée par sa
politique keynésienne d'augmentation du pouvoir d'achat des plus défavorisés.
Mais en
faisant cela, il n'a eu qu'une fausse impression que le changement s'était
fait de manière indolore. C'était une illusion : le PT est rentré dans le
système, avec tous les travers qu'il représente. Le parti est devenu
comme les autres et a déçu son électorat.
La crise,
postérieure à l’année 2010, a été marquée par l’épuisement d’un modèle fondé
sur la stimulation de la consommation des plus pauvres. La perpétuation des
politiques sociales supposait un effort fiscal refusé par les patrons brésiliens
et les classes moyennes traditionnelles. Le divorce politique était inscrit
dans les contradictions de la politique suivie jusque-là, d’autant plus que
le/la président(e) n’avait pas le contrôle des dynamiques parlementaires,
faute d’avoir engagé la bataille de la réforme politique.
Un changement des institutions
politiques est désormais plus que nécessaire pour sortir le
Brésil de l'impasse de son système
politique, ouvert à la corruption.
Mais qui pourrait porter
un tel changement?
- En tout cas,
il est sûr que Dilma Rousseff ne pourra pas assurer ce rôle. Sa destitution
entraîne pour elle une impossibilité de revenir à la politique dans les 8
années à venir. Lula, désormais conscient qu'il ne peut pas faire sans une
réforme des institutions, pourrait tenter de l'incarner en 2018. Mais cela
suppose que les procédures judiciaires qui le concernent ne le fassent pas
tomber à son tour – d'autant plus que la justice a l'air d'aller plus vite sur
son cas que su d'autres. Et il devrait de toute façon remobiliser son
électorat.
De l'autre
côté du spectre politique, difficile d'imaginer un Michel Temer, l'ancien
vice-président ayant remplacé
Dilma Rousseff , défendeur d'une réforme des
institutions qu'il utilise à son avantage. De plus, il n'est pas aimé par
l'opinion publique, étant lui-même (tout comme d'autres membres de son
gouvernement) mis en examen pour des cas de corruption. Cela dit, les
procédures judiciaires traînent plus du côté de cette nouvelle majorité…
Toujours est-il qu'il est aujourd'hui
difficile de voir qui pourrait représenter cette réforme politique.
Propos recueillis par Martin
Lavielle
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