Dans un entretien fleuve en trois parties, le géopolitologue et
correspondant de guerre Renaud Girard[1]
analyse les contours d'« un monde en guerre ». Deuxième épisode avec
l'Occident, marqué par l'incertitude du duel entre Trump et Clinton. (Extrait)
FIGAROVOX. - En politique étrangère,
Hillary Clinton semble se placer sur une ligne plus dure que celle de Barack
Obama. Comment qualifier sa politique étrangère ?
Renaud GIRARD. - L'entourage diplomatique d'Hillary
Clinton est constitué de néoconservateurs. Elle est elle-même proche des thèses
néo-conservatrices. Je vais vous en donner trois preuves. La première concerne
l'invasion de l'Irak en 2003. A la différence de Barack Obama, qui était
contre, Hillary Clinton était en faveur de cette intervention militaire. Fin
2002, elle a voté au Sénat en faveur de l'invasion. Elle a ensuite eu un rôle
extrêmement important dans l'affaire libyenne. En mars 2011, elle est venue à
Paris pour rencontrer Nicolas Sarkozy et les rebelles libyens que Bernard-Henri
Lévy avait réunis. Elle a réussi à convaincre Barack Obama de participer à
cette intervention, qui était souhaitée par les Britanniques et les Français
alors que le président américain était réticent. Les Libyens et les Américains
s'étaient complètement réconciliés. Mouammar Kadhafi avait en effet renoncé à
toute ambition et avait même dénoncé le trafic du docteur Abdul Qadeer Khan, le
père de la bombe atomique pakistanaise, qui menait le plus grand trafic d'armes
nucléaires au monde. Barack Obama a d'ailleurs reconnu depuis que cette
intervention était une erreur, mais il s'est laissé faire par Hillary Clinton.
La troisième erreur néoconservatrice d'Hillary Clinton a été de militer, comme
secrétaire d'Etat, pour le retrait précipité d'Irak en 2010, lequel constitue
selon moi une erreur stratégique aussi importante que l'invasion inutile de
2003.
Les néoconservateurs sont à la réalité politique de la
planète ce que sont nos enfants aux programmes télévisés. Ce sont des zappeurs.
Ils crient très fort contre un tyran. Une fois qu'ils ont acquis le soutien des
médias, ils obtiennent l'intervention militaire, défont le tyran, se
congratulent, tirent un feu d'artifice et … s'en vont, sans la moindre
considération pour la situation de la population qu'ils étaient prétendument
venus « libérer ». Le néoconservatisme, c'est le culte fou de la démocratie
privilégiée à la paix. En Irak, ils ont installé en principe la démocratie -
ils ont mise en œuvre des scrutins - sans vouloir reconnaître que ces scrutins
ont seulement eu pour effet de diviser la société irakienne sur des lignes
confessionnelles et ethniques. Les Américains ont apporté une idée de
démocratie, mais une idée seulement. La réalité, c'est que l'Irak n'est en rien
une vraie démocratie, un vrai Etat de droit. Le néoconservateur préfère
toujours ses idées aux populations qu'il prétend protéger. En Libye, les
Occidentaux ont détruit l'administration de Kadhafi. Par respect élémentaire de
la population civile, ils auraient dû en mettre une autre au pouvoir, et
vérifier sur place qu'elle fonctionnait. Vous ne pouvez pas détruire les
structures d'un Etat puis partir en vous désintéressant des conséquences de
votre action militaire.
Les médias crient haro sur Donald Trump.
N'y-a-t-il pas un risque à masquer le danger néoconservateur que représente
Hillary Clinton?
Les médias américains sont biaisés, il n'y a pas de
vrai débat. Par exemple, les sept derniers OpEd (tribunes ndlr.) du New York
Times sont anti-Trump et pro-Clinton. Le débat n'est pas balancé, il existe
objectivement un matraquage de la classe intellectuelle et médiatique contre
Donald Trump.
Hillary Clinton vient du système et elle va laisser la
technostructure gérer le pays. C'est une personne dont le comportement ne fait
pas peur parce qu'elle garde en toutes circonstances un comportement réfléchi,
même si l'on peut juger négativement ses positions diplomatiques. C'est une
personne qui est capable de discuter et de traiter les crises internationales
avec sang-froid.
A l'inverse, Donald Trump est une candidature
rafraichissante. Il a parfois de bonnes idées, mais, à mon avis, il a un
caractère trop dangereux pour devenir président du plus puissant pays du monde.
Il a montré, dans sa campagne des primaires, six traits de caractère qui ne
nous disent rien de bon pour diriger la plus puissante armée de la planète:
sensibilité à la flatterie ; tendance à sur-réagir face à la moindre
contrariété ; intuition préférée à la réflexion ; faible capacité d'écoute des
autres en raison d'un ego surdimensionné ; mépris des faits ; incapacité à
changer d'opinion sur un dossier en fonction d'informations nouvelles. Bref,
Trump présente pour nous un risque de sécurité. Il est peut-être faible, mais
c'est un risque que nous n'avons pas envie de prendre.
Clinton ne présente pas un tel caractère dangereux.
C'est un peu comme si Laurent Fabius devenait président de la République. La
diplomatie ne serait pas géniale, il ne réformerait pas la société (puisqu'il avait
déjà promis de le faire quand il était Premier ministre et il ne l'a jamais
fait). Mais ce ne serait pas une catastrophe, parce qu'il a un comportement
rationnel, appuyé sur la technostructure. Je préfère voir Hillary à la Maison
Blanche, parce que je n'ai pas envie, en tant que Français, de prendre le
risque de voir Trump diriger les Etats-Unis. J'espère qu'elle sera une bonne
présidente, j'espère qu'elle sera pro-française, mais je n'en suis hélas pas du
tout sûr. Dans tous les cas, pour nous, Européens, l'élection américaine 2016
ne sera pas un bon cru.
(…)
Source : FIGAROVOX 12 août 2016
[1]
- Renaud
Girard est géopoliticien, grand reporter et correspondant de guerre.
Chroniqueur international du Figaro, journal pour lequel il a couvert les
principaux conflits de la planète depuis 1984, il est également professeur de
Stratégie à Sciences Po Paris. Il a notamment publié Retour à
Peshawar (éd. Grasset, 2010) et dernièrement Le Monde en guerre (éd.
Montparnasse, 2016).
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