Cet article non signé
glané dans Le Pays, « quotidien
burkinabé indépendant d’information générale », mérite d’être lu, relu et
médité par tous les patriotes et démocrates ivoiriens. Pourquoi ? Parce
que c’est une anthologie de tous les préjugés et de tous les stéréotypes qui
habituellement font obstacle à la bonne intelligence des processus politiques
ivoiriens. Tout n’y est pas faux; pourtant rien n’y est vrai. La peinture de la
société ivoirienne est très ressemblante ; en revanche, le décor dans
lequel elle est représentée n’est que pure fantasmagorie. Cet article est en
effet un magnifique exemple de travestissement de l’histoire des rapports des
Ivoiriens avec la politique, et avec leurs dirigeants politiques, et en
particulier avec le plus célèbres d’entre eux : Félix Houphouët. Mais ce
n’est pas le premier exemple du genre. Tandis que je lisais cet article, le
souvenir d’une ancienne lecture m’est revenu à la mémoire : « Ce qui a
fait la nation ivoirienne dans les années 50 et 60, c’est le consensus entre
les Ivoiriens, forgé par le pouvoir politique, sur l’idée d’un pays ouvert sur
l’extérieur, économiquement libéral, où chacun trouverait son compte en termes
de revenus et de bien-être. Le miracle ivoirien, la cohésion nationale, se sont
faits autour de ce projet de développement dans lequel on acceptait que la
richesse soit redistribuée entre catégories sociales et entre régions. Ils ont
été renforcés par un discours politique unitaire, martelé par l’ancien
président Félix Houphouët, père de l’indépendance et symbole de cette idée de
nation. » (Bruno Losch, Le Monde
des débats, décembre 2000 ; p. 8.) Ainsi, s’agissant des
ressorts de la vie politique ivoirienne – c’est ce que j’ai appelé « le
décor » –, la plupart de ceux qui écrivent sur (ou qui parlent de) la Côte
d’Ivoire, que ce soient des étrangers ou des Ivoiriens pur jus, n’en tiennent
aucun compte, soit qu’ils les ignorent de bonne foi – tel est peut-être le cas
de l’auteur burkinabé de cet article –, soit que, à l’instar de B. Losch, ils
participent en toute connaissance de cause au vaste et inlassable labeur de
dépersonnalisation et de dépossession des Ivoiriens, qui semble avoir été le
but suprême de ceux qui, pendant trente-trois ans et plus, sous le masque d’un
autocrate de paille, ont façonné ce pays et cette société bizarres ! Car
il est une chose que nous savons bien aujourd’hui, depuis la terrible confidence
d’un ancien chargé de mission au cabinet d’Houphouët rapportée par le
journaliste Didier Dépry : «
Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort
d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était qu’un vice-président.
C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre pays. Il pouvait
dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien x ou y soit nommé
ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites étaient
régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin lui cédait son bureau pour
recevoir les personnalités dont il voulait tirer les oreilles » (Notre Voie 10 septembre 2011).
Comme l’auteur anonyme
de cet article, qui prétend donner des leçons de civisme et de patriotisme aux
Ivoiriens, est probablement un fier citoyen du Burkina Faso, il est fortement
recommandé, avant de lire son article, d’imaginer ce qu’il aurait écrit s’il
s’était agi non de la Côte d’Ivoire mais de sa propre patrie, envisagé sous le
même angle et avec les mêmes préjugés.
Qu’est-ce en effet que
le Burkina Faso, aujourd’hui ? C’est le pays où Thomas Sankara, jugé trop
indépendant selon les critères françafricains, fut brutalement éliminé afin que
le très Françafrique compatible Blaise Compaoré gouverne seul. C’est le pays où dans la suite de ce forfait,
deux autres personnages importants liés au pouvoir furent brutalement éliminés.
C’est le pays où, pour le faire taire à jamais, un journaliste gênant fut
peut-être brûlé vif dans sa voiture sur une route déserte. C’est le pays où,
liés à ce crime odieux et pour protéger ses auteurs, plusieurs autres crimes
furent ordonnés par des personnes très proches du chef de l’Etat, et sont
restés également impunis. C’est le pays d’où, avec la complicité des Salif
Diallo, Gilbert Diendéré et autres Ablassé Ouédraogo, le Français Jean
Mauricheau-Beaupré, ce barbouze jamais repenti, pilotait les
« rébellions » libérienne et sierra léonaise. C’est le pays où un
ancien ministre d’Houphouët, qui avait sans doute cessé de plaire à ses
employeurs françafricains, fut massacré à l’arme blanche dans le secret de la
villa où il était l’hôte de l’Etat burkinabé. C’est le pays d’où partirent les
hordes mercenaires qui tentèrent, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, le
coup d’Etat qui, après son échec, se transforma en une « rébellion »
soutenue à bout de bras par …le président du Faso. Etc… Le tout sous l’œil
impassible de millions d’« hommes intègres », dont pourtant aucune « épouvante »
ne se serait encore emparée…
C’est l’éternelle
histoire de la poutre et de la paille…
Marcel Amondji
@@@@
La malédiction par les « pro » et les
« anti »
Source : Le
Pays 18 février 2013
[Avec des commentaires
intercalés de M. Amondji]
De
nos jours et chaque jour qui passe, il paraît de plus en plus difficile, voire
impossible, de parler de la Côte d’Ivoire sans admettre qu’il s’agit d’une
nation au bord de l’épouvante. Qu’est-ce que l’épouvante ? Comme l’a si bien
défini le philosophe danois Sören Kierkegaard, « l’épouvante est un pouvoir étranger qui s’empare d’un
individu sans que celui-ci puisse s’en arracher ni même ait la volonté de le
faire car on redoute cela même que l’on désire » [C’est
tout à fait ça ! Du 6 février 1949 jusqu’au 11 avril 2011, en passant par
l963-1964, l’« épouvante » était
à l’œuvre… Mais il est faux de dire que si nous ne pouvions pas nous « en
arracher », c’était faute de le vouloir. Sinon, qui aurait pris la peine d’écrire
un article tel que celui-ci].
Dans la société ivoirienne
d’aujourd’hui, fruit des crises sociales et militaro-politiques, il semble
interdit à tout un chacun d’être neutre. Les Ivoiriens sont devenus étrangers à eux-mêmes depuis
la mort de l’aristocrate autoritaire, Houphouët [Ce n’est
pas « depuis… », mais « bien avant… ». En effet, dès 1982, Jean-François
Médard remarquait : « La population étrangère non africaine comprend
une centaine de milliers de Libano-Syriens et une cinquantaine de milliers
d’Européens dont la plupart sont Français. (…). Alors qu’ailleurs elle se fait
plus discrète, ici, elle s’affiche sans complexe ; elle semble tellement
chez elle que cela devient gênant. (…). Comme de plus ces étrangers occupent
des places importantes, les Ivoiriens
semblent largement étrangers dans leur propre pays. Comment peuvent-ils
supporter une telle situation ? »
(Y.-A. Fauré et J.-F. Médard, Etat et
bourgeoisie en Côte d’Ivoire, p. 81).
Quant à la définition d’Houphouët comme « l’aristocrate
autoritaire », elle relève aussi du préjugé. Car, d’une part, la chefferie
de canton dont Houphouët hérita de son oncle Kouassi Ngo était une création des
Français pour le récompenser des services qu’il leur avait rendus et, d’autre
part, « autoritaire », si Houphouët l’était sans aucun doute, l‘imagine-t-on
pour autant exerçant son autoritarisme, par exemple, sur Jacques Foccart ?]. Après lui, quand la Côte d’Ivoire s’est
réveillée de son rêve, c’est pour se retrouver dans un cauchemar éveillé.
Pour comprendre une telle situation, il faut aller au fond
des choses. Car, même si
tout le monde clame ici une volonté commune d’avancer ensemble, en vérité, ce
pays manque de but fédérateur [La formulation est un peu ridicule, mais
il y a beaucoup de vrai dans cette remarque. « L’un des effets les plus néfastes de l’houphouétisme, écrivais-je
pour ma part dès 1995, c’est cette absence de tout sens à la vie des gens qui
leur soit commun ; l’idée de quelque chose à construire ensemble ;
non pas seulement une économie développée, etc., qui est à la portée de
quiconque s’en donne les moyens qu’il soit du pays ou non, mais un projet
humaniste. Au lieu de cela, chacun s’occupe surtout de faire sa propre pelote, au
besoin en association avec des étrangers, comme faisait Houphouët lui-même. »
(M. Amondji, Spicilège,
p. 75)]. Les Ivoiriens disent
chercher les clefs de la démocratie, de la réconciliation et du développement.
Mais peuvent-ils les trouver ? Non, ils ne le peuvent pas puisqu’ils continuent
à se mentir à eux-mêmes. Et, ils ne sont pas encore une nation d’hommes libres
et éclairés. Toujours, jusque-là, au plus profond de lui-même, chaque Ivoirien
semble encore compter sur la vengeance, l’intimidation, l’injure et le désir de
meurtre de l’Autre. Et chaque Ivoirien semble désirer tout. Or, le désir est un
démon inquiet et flottant, qui mène à l’illusion. Rappelons ici cette vérité
simple et élémentaire : la paix et la stabilité de Houphouët ne se fondaient
nullement sur le fonctionnement d’institutions républicaines et démocratiques
véritables, mais sur la prétendue sagesse d’un individu.
Avec
Houphouët, le peuple ivoirien a donc été infantilisé et il n’a pu bénéficier
d’aucune éducation et culture politiques qui lui auraient appris à débattre, à
délibérer et surtout à gérer rationnellement ses contradictions [Cela aussi est vrai ; mais, dit
comme cela, on ne peut pas comprendre à quel point !]. Ce pays continue à payer chèrement un lourd
tribut à cette logique « houphouëtienne » de la divinisation politique.
L’ivoirité, cet arsenal idéologico-politique forgé par Henri Konan Bédié pour
combler son déficit de légitimité et surtout barrer la route du pouvoir à
Ouattara, n’a fait qu’accentuer le processus d’autodestruction du pays.
L’ivoirité
a profondément brisé le corps social ivoirien et fragilisé l’Etat [Oui. Mais, pourquoi ? Mais,
comment ? Si on ne prend pas la peine de le préciser, c’est une
affirmation presque gratuite !].
En ouvrant cette boîte de Pandore, Bédié signait du coup lui-même l’acte de son
suicide politique : il ne pouvait plus appliquer, après Houphouët, sa politique
dite de continuité dans le changement. Après le dénouement violent de la crise post-électorale,
une nouvelle idéologie a vu le jour en Côte d’Ivoire, l’idéologie dite de la
trahison [Si
cela veut dire que la majorité des Ivoiriens rejettent le régime que la France
leur a imposé le 11 avril 2011, c’est vrai ; et c’est tant mieux !]. C’est elle qui sous-tend entièrement cette
malédiction des « pro » et des « anti ». Dans le camp de Ouattara, comme dans
le camp Gbagbo, on retrouve des extrémistes et des radicaux, prêts à manipuler
tous les alibis et prétextes pour en découdre. Entre ces deux camps, chaque
Ivoirien est sommé de se déterminer et de choisir : aucune neutralité n’est ici
de mise.
Le camp de Ouattara ne veut pas reculer. En face, ce qui
reste du camp Gbagbo ne veut pas aussi reculer. Quid donc de la paix et de la
réconciliation ?
Etrangement, la situation ivoirienne actuelle nous fait
penser à celle de la France, juste après la libération. A ceux qui imploraient
sa clémence et son pardon face aux écrivains collaborationnistes comme Dieu la
Rochelle et Robert Brasillach, le général De Gaulle aimait répondre : « Ils ont
joué, ils ont perdu, ils doivent payer ». Appliquée à la Côte d’Ivoire, cette
terrible formule pourrait refléter la position actuelle du pouvoir ivoirien. Et
pour le camp Gbagbo, l’essentiel consiste à la subvertir par cette autre
formule : « Ils ont gagné, ils gouvernent et nous leur rendrons la tâche
difficile ». Bref, nous
avons affaire à une nation imbibée de slogans [Si cela veut dire que la vie politique en
Côte d’ivoire est faite de beaucoup d’esbroufe, c’est assez vrai aussi,
non ?]. On imagine mal
actuellement, qu’en chantant leur hymne national, l’Abidjanaise, les Ivoiriens
songent ensemble à l’unité, à l’amour entre eux, à l’intérieur comme à
l’extérieur de leur pays.
Les récentes manifestations de jeunes proches de l’ancien
président Gbagbo, interdites par le pouvoir ivoirien, ne sont que l’arbre qui
cache la forêt. Ces jeunes eux-mêmes le savent mieux que quiconque, même s’ils
n’arrivent pas encore à comprendre ce qui arrive à leur pays. L’histoire politique de la Côte
d’Ivoire, c’est aussi l’histoire d’une jeunesse longtemps embastillée et
surtout idéologisée [« embastillée » et « idéologisée » : une
association bien étrange…].
Et c’est là qu’il faut bien distinguer l’idéologisation qui mène au nihilisme
et la vraie politisation qui prépare à la citoyenneté. Mais, la jeunesse
ivoirienne surtout estudiantine, doit renoncer à la tentation messianique
perpétuelle, c’est-à-dire à cette fausse idée selon laquelle seuls les jeunes
peuvent et doivent sauver la Côte d’Ivoire.
Quant au pouvoir ivoirien, il doit faire preuve
d’imagination et d’audace politiques pour faire revivre pleinement les valeurs
républicaines et démocratiques. Le régime Ouattara ne doit pas chercher à
instrumentaliser les erreurs et fautes politiques du camp Gbagbo, encore moins
à jouer sur les rivalités au sein de ce qui reste du FPI. Il n’est pas de
l’intérêt politique de Ouattara d’assécher totalement l’opposition politique.
Certes, le FPI, c’est cette belle dame qui se fait
indéfiniment désirer. Mais ce parti semble n’avoir pas encore tiré tous les
enseignements de sa stratégie post-électorale suicidaire. Historiquement,
personne ne peut nier sa contribution essentielle à l’avènement de l’âge
démocratique en Côte d’Ivoire. En accédant au pouvoir dans des circonstances
très défavorables, le FPI a découvert brutalement qu’il souffrait d’une crise
de cadres compétents, intègres et patriotes. A la génération des fondateurs de
ce parti d’« intellectuels » une nouvelle génération de dirigeants sensible aux
mœurs ostentatoires et son univers baalique s’est mise en mouvement, dépourvue
de toute vision stratégique, et de toute vision morale.
Ce parti commet une faute politique et morale en continuant
à voir en Ouattara un traître à la nation ivoirienne. Non, Ouattara n’est pas le chef d’un d’Etat sous
occupation étrangère et qu’il s’agirait de libérer [C’est donc là Ce Qu’il Fallait Démonter ? Mais, si cela est vrai, que deviennent Kierkegaard
et son « épouvante » ? Ou bien devons-nous croire qu’après avoir
été porté au pouvoir par les ambassadeurs de France et des Etats-Unis et le
représentant du secrétaire général de l’ONU, Ouattara a « arraché » les
Ivoiriens à l’emprise du « pouvoir étranger » dont, avant son
avènement le 11 avril 2011, ils étaient les proies plus ou moins consentantes ?]. Comme l’a si bien écrit Séry Bailly, « la
logique politique a, hélas, beaucoup à apprendre encore de l’éthique sportive
comme de la conscience religieuse et esthétique ». Le sport est compétition,
mais dans l’amitié, le respect mutuel et la fraternité. La religion, suppose la
transcendance qui renvoie toujours à « l’humanisme de l’Autre homme ». Quant à
l’art, il est d’abord et avant tout, grâce et générosité. En Côte d’Ivoire,
personne ne semble s’opposer à la paix, à la démocratie, à la réconciliation, à
la justice, mais en même temps, personne n’est d’accord sur les modalités de
leur réalisation. Alors, quel chemin reste-t-il encore à emprunter pour arriver
à la Côte d’Ivoire nouvelle, malgré les tensions et convulsions de toutes
sortes ? Comment bâtir ici une démocratie et une république, sans démocrates et
sans républicains ?
On pourra tout dire, l’équation ivoirienne n’est soluble
que dans un seul concept : la confiance. Sans elle, on ne peut vaincre ici
l’intolérance idéologique et politique. Sans elle, l’opposant, le dissident,
seront toujours vus comme des ennemis qu’il faut exclure de la nation, voire
combattre par les moyens les plus extrêmes. Or, l’opposant, le dissident sont
des concitoyens avec qui il faut débattre et coopérer pour faire de la Côte
d’Ivoire une nation unie, prospère vivante et pacifique. Les Ivoiriens doivent
avoir confiance les uns dans les autres. Le politologue américain, Francis
Fukuyama a bien raison de dire que « la confiance agit comme un lubrifiant qui
fait que tout groupe ou toute organisation fonctionne avec plus d’efficacité ».
Décidément, selon la formule bien consacrée en Eburnie, « tout près n’est pas
loin ».
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